ELWATAN-ALHABIB
mardi 30 avril 2019
 
Légalisme ou légitimisme ?







par Kamal Guerroua


Il est impossible de continuer de tourner aussi longtemps le dos au peuple de cette manière. L'urgence d'un Etat de droit se fait sentir de plus en plus vivement à chaque vendredi de manifestation. Les millions d'Algériens qui descendent dans la rue sont en droit de savoir où va le navire algérien et quel sera l'avenir de leur Hirak. En ce sens, ils ne demandent pas «un simulacre de justice» se limitant à des purges commandées et téléguidées à partir du siège des Tagarins, contre la périphérie des centres «réels» de décision, dans une sorte d'inquisition sélective dont ils ignorent la nature et la portée, mais une vraie démocratie qui les débarrassera vite des parrains d'un «système hors-service».

Autrement dit, Gaid Salah ne peut plus «temporiser» davantage en faisant semblant de ne pas avoir entendu le cri de détresse de ses compatriotes et leur aspiration légitime à la démocratie. S'il continue de s'y prendre avec la crise de la sorte, il s'enfermera dans un déni de la réalité qui jettera un froid chez les masses dans les quelques semaines à venir. D'autant que pour les Algériens aucun recul en arrière n'est envisageable pour le moment. Le départ du système et de ses symboles est une priorité, voire une exigence scellée et non négociable, pour passer à l'étape d'assainissement des appareils d'État et des milieux d'affaires corrompus. Ce départ est d'autant plus nécessaire que les forces anticonstitutionnelles, déjà critiquées lors des multiples discours du chef d'état-major, sont toujours cachées dans l'ombre et bénéficient de surcroît de l'impunité, malgré leurs agissements douteux contre la volonté populaire.

Bref, le message de la rue peut se résumer aujourd'hui de la façon suivante : il faut frapper fort et juste. S'attaquer d'abord aux têtes les plus corrompues dans l'appareil de l'Etat, puis graduellement au reste, dans la clientèle du clan Bouteflika et dans le monde des affaires, tout en ouvrant la voie au Hirak populaire, le seul représentant valable aux yeux de la population, pour assurer la période de la transition politique.

Si Gaid Salah s'en tient au cadre constitutionnel pour gérer la crise, les Algériens dans leur majorité pensent que ceux qui chapeautent les institutions à l'heure présente, que ce soit le chef d'État, ou le gouvernement et ses membres, du reste résidus du système Bouteflika, sont illégitimes, donc systématiquement rejetés et révocables. En quelque sorte, l'institution militaire reste «légaliste» sans chercher la légitimité de ceux qui représentent la façade de ce légalisme, alors que le peuple préfère la voie «légitimiste», tout en sortant du cadre légal tracé par les contours de la Constitution actuelle. D'où la complexité de trouver une solution médiane, qui puisse satisfaire les uns et les autres, sans trop piétiner les lois et les règlements du pays !
 


 
lundi 29 avril 2019
 
ADDI LAHOUARI, SOCIOLOGUE

«L’armée doit contacter des personnalités crédibles»









Irzazen.Net ADDI LAHOUARI, «L'armée doit contacter des personnalités crédibles»
Lahouari ADDI
Par Kamel LAKHDAR-CHAOUCHE – Dimanche 28 Avril 2019
Addi Lahouari est Professeur émérite de sociologie à Sciences Po Lyon et Visiting Scholar at Georgetown University, Etats-Unis. Son dernier livre s’intitule Le nationalisme arabe radical et l’islam politique, Barzakh, Alger, 2017. Les revendications exprimées par le mouvement populaire depuis 10 semaines, les propositions faites par Gaïd Salah, le chef d’état-major, à l’intention du peuple, la main étrangère et l’islamisme sont autant de questions débattues avec Addi Lahouari dans cette interview. Concis et précis, il plaide pour la mise en place «d’une instance présidentielle composée de trois ou quatre personnalités crédibles et compétentes. Elle fera fonction de chef d’Etat et nommera un gouvernement de transition».
L’état-major devrait, conseille-t-il, prendre contact avec des personnalités crédibles de la société civile pour négocier trois ou quatre noms pour former une instance présidentielle qui dirigera la transition. Le professeur souligne que «le Hirak va donner l’occasion à de jeunes officiers d’être promus pour assurer la relève nécessaire dans la hiérarchie militaire». Quant à la main étrangère, il affirme que «les services secrets des monarchies du Golfe et d’Israël ont certainement tenté d’intervenir dans le Hirak, mais ils ont échoué».
L’Expression: Après dix vendredis de manifestations, le mouvement populaire reste sans leader. C’est justement le reproche qui est fait à cette révolution pacifique: elle n’arrive pas à dégager ses hommes, ses représentants.
Addi Lahouari: Chaque révolution invente ses mécanismes de transition. Le peuple veut un changement radical du régime. C’est à l’état-major de proposer des solutions qui satisfont cette revendication. Les propositions de Gaïd Salah ne sont pas sincères et c’est pourquoi elles sont rejetées. L’état-major devrait prendre contact avec des personnalités crédibles de la société civile pour négocier trois ou quatre noms pour former une instance présidentielle qui dirigera la transition.
Selon vous donc, ce mouvement populaire donnera naissance à des hommes, à la hauteur des impératifs de l’heure pour prendre en main le destin de la maison Algérie.
Toute société donne naissance à des leaders. Dans les années 1950, nous étions 9 millions, nous étions une société rurale à 80%, nous n’avions presque pas d’étudiants. Nous avons donné naissance à des hommes d’Etat qui ont dirigé la révolution. Aujourd’hui, nous sommes 40 millions, nous avons
1,5 million d’étudiants. Des Ben M’hidi, des Krim Belkacem et des Hamou Boutlélis, il y en a des milliers. Le DRS les a empêchés d’émerger pour mettre à leur place des médiocres comme Ouyahia, Sellal et Mouad Bouchareb.
Le chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, ne cesse de rappeler l’attachement de l’institution militaire aux revendications du peuple et de l’accompagner dans son processus de transition au cours de ses deux derniers discours. Qu’en pensez-vous?
L’état-major n’a montré aucun signe de volonté de changement. La hiérarchie militaire veut juste gagner du temps pour désigner d’autres marionnettes pour diriger la transition sous les ordres de Gaïd Salah.
Ne pensez-vous pas que même l’armée ne doit pas être épargnée par une transition aboutissant à un changement radical que le peuple revendique?
L’institution militaire est composée de gens qui font partie de la société et ils savent ce qui se passe quotidiennement en Algérie. Le Hirak va donner l’occasion à de jeunes officiers d’être promus pour assurer la relève nécessaire dans la hiérarchie militaire. Les généraux impliqués dans la corruption seront mis à la retraite. Quant au lourd héritage des années 1990, les jeunes généraux qui avaient 30 ans en 1990 avec les grades de lieutenant et de capitaine, ils n’ont pas à l’assumer. L’armée n’a pas torturé car la torture est interdite par la Constitution et par le règlement de l’armée. S’il y a des officiers qui ont torturé, c’est à eux d’assumer la responsabilité et non l’armée qui est une institution. Des individus portant l’uniforme ont torturé; ils subiront à titre individuel le jugement de l’Histoire et des hommes.
Gaïd Salah désigne des services étrangers, sans les nommer, en mouvement au sein du mouvement populaire. Y a-t-il du vrai ou s’agit-il juste d’un vieux refrain «de main étrangère» entonné au besoin?
Les services secrets des monarchies du Golfe et d’Israël ont certainement tenté d’intervenir dans le Hirak, mais ils ont échoué. Ils n’ont pas trouvé d’agents locaux en nombre suffisant pour dérailler la protestation. Ceci est à mettre au compte des services de sécurité et de la maturité des Algériens.
Que se passe-t-il, selon vous, entre Tewfik Mediene, ancien rab dzair et le nouveau, Gaïd Salah?
Gaïd Salah a exprimé le point de vue de l’état-major qui ne voulait pas que la gestion de la protestation lui échappe. L’état-major n’a pas apprécié que la rencontre entre Zeroual et Tewfik se déroule sans son accord. Tewfik Mediene voulait que Zeroual assure l’intérim comme président, en espérant qu’il protègera les officiers impliqués dans les violations des droits de l’homme. L’état-major ne voulait pas de Zeroual car il craignait qu’il ne prenne des mesures contre des officiers qui l’avaient écarté en 1998. Mais Tewfik a dû perdre la mémoire. A-t-il oublié l’assassinat du général Saidi que Zeroual voulait désigner à sa place à la tête du DRS?
Que faudrait-il faire des islamistes dans une Algérie d’aujourd’hui qui revendique une rupture radicale?
Les islamistes sont un courant politico-idéologique de la société et ils ont le droit d’exister en tant que parti politique. Je parle des anciens du FIS dissous et non des islamistes de l’administration. Par ailleurs, il ne faut pas avoir peur des islamistes car nous sommes tous des musulmans et en islam il y a plusieurs interprétations et plusieurs écoles de pensée. J’ajouterai deux choses. Premièrement, les vrais islamistes apparaissent aujourd’hui comme «mahgourine» parce que le régime les a combattus non pas par le droit, mais par la torture et la contre-guérilla. Deuxièmement, les islamistes ont évolué. Le discours de Ali Belhadj d’aujourd’hui n’est pas le même avec celui des années 1980. C’est ce que j’avais appelé à l’époque «la régression féconde». En faisant de la politique, les islamistes se rendent compte de la complexité de la réalité. Il n’y a pas d’un côté les musulmans et de l’autre les citoyens sécularisés. Si l’imam al Jouwayni (mort en 1085) revenait aujourd’hui, ou Sahatibi (mort en 1388)), ils mettraient la sécularisation parmi les «maqasid achari’a». Beaucoup d’islamistes ont compris cela. Ali Belhadj fait la différence entre un mauvais musulman et un bon citoyen. Le Tunisien Rached Ghannouchi a compris que le seul régime qui correspond à l’islam est celui qui respecte les droits de l’homme.


Pour que l’Algérie puisse sortir de cette crise que faudrait-il faire, quelle solution proposez-vous?
Il faut une instance présidentielle composée de trois ou quatre personnalités crédibles et compétentes. Elle fera fonction de chef d’Etat et nommera un gouvernement de transition dont la tâche sera triple: 1. nettoyer les services de l’Etat (douanes, impôts, gendarmerie, police, armée, justice…) de tous les fonctionnaires qui ont porté atteinte aux intérêts de la nation; 2.gérer les affaires courantes et prendre des mesures réalistes pour protéger l’économie et encourager les exportations: 3. préparer les élections législatives, présidentielle et municipales dans un délai d’un an à un an et demi au maximum. Le Hirak réussira parce qu’il correspond à une deuxième phase historique de construction de l’Etat. C’est un mouvement sociopolitique profond qui prend sa source dans les aspirations de Novembre 1954. Il aura des conséquences positives sur la société et sur toutes les institutions de l’Etat, y compris l’armée.
 
 
FLN, RND, les voies de la déperdition







par Moncef Wafi


Alors que le gouvernement Bedoui est au plus mal, ses ministres sont littéralement interdits de sortie inauguratrice, le bureau de l'Assemblée populaire nationale (APN) vient de programmer la première séance de questions au gouvernement pour le jeudi 2 mai. Une perche de salut offerte par un parlement décrié et voué aux gémonies à un gouvernement dont personne ne reconnaît la légitimité. La rue a acté le divorce avec ses deux entités en appelant au départ des 2 B, Bouchareb pour l'APN et Bedoui pour le gouvernement, chassant les ministres là où ils se trouvent, obligeant même le chef d'état-major de l'ANP à intervenir.

Cette bouée de sauvetage lancée par le FLN et le RND pose la question de la présence, l'existence même, de ces deux partis dans le paysage politique algérien, eux qui ont été les responsables organisationnels idéaux pour permettre à l'oligarchie d'entrer, par la grande porte, au cœur des institutions républicaines et souveraines. Ces casquettes politiques distribuées à des hommes d'affaires et à des industriels, aujourd'hui inquiétés par la justice, sont le fait de ces deux partis qui ont sacrifié leurs véritables militants et leurs chartes d'éthique au profit de «shab chkara» qui ont payé, au prix fort, leur carte partisane. C'est à travers le FLN et le RND que ces oligarques ont noyauté le Parlement, ont eu accès au Sénat et ont essaimé les structures politiques s'offrant des tribunes parfaites pour mener leurs affaires.

En entrecroisant politique et argent, les chefs de parti ont tout simplement balisé la route à la corruption, aux passe-droits et ont permis la mainmise de ces hommes sur les appareils de l'Etat. Ce n'est pas pour rien que le mouvement populaire a focalisé sur l'ex-parti unique, appelant à ce qu'il se retrouve au musée, parce que personne n'ignore son degré de nuisance et la propension de ses cadres dirigeants à privilégier l'intérêt personnel et clanique au détriment de l'intérêt national. Ses manœuvres délétères pour casser le hirak sont aussi montrées du doigt. Cette défiance envers les deux partis frères trouve également son prolongement dans l'action parlementaire puisque leurs députés, majoritaires grâce au jeu des scrutins, ont toujours avalisé les décisions du gouvernement aussi impopulaires et antisociales qu'elles sont. Les Algériens ont d'ores et déjà acté l'avenir de ces deux partis qui n'ont que trop pollué le ciel de l'Algérie. 

 
dimanche 28 avril 2019
 

Saïd Sadi : « l’état-major de l’ANP botte en touche »









 
28 AVRIL 2019 À 15 H 17 MIN
 
L’ancien président du RCD, Saïd Sadi, dénonce à nouveau les « manœuvres » de l’armée qui refuse de répondre à temps à la revendication populaire.
Dans une longue analyse de la situation actuelle, publiée aujourd’hui sur sa page Facebook sous le titre « peuple et armée : le malentendu historique », il met l’accès sur le divorce consommé, dès vendredi dernier, entre les Algériens et le premier militaire du pays, Ahmed Gaïd Salah.
Selon lui, ce dernier et l’état-major de l’ANP n’ont pas su apporté des réponses adéquates aux demandes populaires. Pis, écrit-il, ils ont tenté de reproduire les mêmes manœuvres que celles du président déchu, Abdelaziz Bouteflika.
Parmi ces méthodes, explique-t-il, le recours à l’amalgame, notamment à travers l’arrestation du patron de Cevital, Issad Rebrab. « Au lieu de réagir à temps et en concordance avec un moment inédit de notre Histoire, l’état-major botte en touche et veut s’ériger en justicier pour faire diversion, espérant tout à la fois voiler ou au moins brouiller les revendications populaires, diviser le mouvement, régler des comptes et polluer le très délicat problème de la corruption en amalgamant les genres et les auteurs », explique-t-il.
Et d’ajouter : « l’arrestation, le même jour, de Issad Rebrab et des frères Kouninef, opérateurs économiques dont les pratiques, les relations et les positions sont aux antipodes les unes des autres, est exemplaire d’un aveuglement panique qui prétend neutraliser une révolution, citée en exemple dans le monde, par des manipulations médiatiques sur fond d’instrumentalisation de la justice ».
« Gaïd Salah victime de cette grossière opération »
Pour Saïd Sadi, « la première victime de cette grossière opération est le chef de l’état-major lui-même ». « Peu ou mal conseillé, le premier militaire du pays est, depuis ce week-end, la cible préférée des manifestants. Pourtant, avec un minimum de lucidité, il pouvait s’épargner ce triste privilège. Et, désormais, ce discrédit ira en s’aggravant si ses sorties médiatiques pendulaires se répétaient », prédit-il.
En période révolutionnaire, précise-t-il, « le temps est précieux ». « Il faut savoir ne pas le dilapider dans de vaines manœuvres. Une issue avantageuse et possible aujourd’hui ne le sera pas forcément demain. Les grands stratèges le savent. Dans les moments de grands basculements de l’Histoire, le déni de réalité est souvent plus préjudiciable que l’incompétence », souligne-t-il.
Selon Saïd Sadi, « escompter un essoufflement du mouvement en spéculant sur les effets du ramadhan ou les désagréments des chaleurs qui arrivent serait le signe de l’autisme propre aux dirigeants illégitimes que l’arrogance, généralement sous tendue par l’affolement, empêche d’apprendre de l’Histoire ».
« D’autres tyrans, habités par une suffisance bestiale et convaincus de leur supériorité technologique ont préféré voir « un coup de tonnerre dans un ciel serein » quand ils ont été confrontés à un séisme planétaire un certain premier novembre 54 », rappelle-t-il.
Même s’il n’en a pas la même expression, et c’est tant mieux, le vent de liberté qui souffle actuellement sur l’Algérie, souligne-t-il, « est de même nature que celui qui a balayé l’ordre colonial ». « C’est, en effet, la deuxième fois que de son Histoire que le peuple algérien se soulève unanimement pour un même objectif », indique-il.
Dans la foulée, il estime que « la mise en forme de l’insurrection citoyenne devient maintenant une urgente nécessité ». « Il nous faudra mieux rationaliser nos débats, élaborer un agenda pour concrétiser le sens libérateur d’un immense message par des propositions structurelles et sociétales pertinentes… », explique-t-il.
 
 
Le stand-by









par Kamal Guerroua



Que la politique est ennuyeuse en Algérie ! Les médias, l'Internet, les réseaux sociaux aussi parfois, sinon peut-être toujours ! Mais posons-nous la question de savoir si cet ennui est intrinsèque ou s'il n'est que la conséquence d'un usage excessif de la surenchère et de la démagogie, ces derniers jours.

Nos politiques ont-ils bien saisi le message de cette rue qui leur demande clairement de plier bagage et de partir ? Et la rue a-t-elle décrypté le double langage, les mensonges ainsi que les retournements de veste de ceux qui l'ont toujours trompée et espèrent encore la tromper ? Entre les deux, les médias disent-ils tous la vérité ou sont-ils en train d'entretenir cette pièce de théâtre qui se joue sous nos yeux ? Et que savons-nous des coulisses du Palais d'El-Mouradia et surtout de ces fameux « décideurs », toujours tapis dans l'ombre ? Il est clair que si la fronde anti-système a rassemblé tous les Algériens autour du même mot d'ordre « dégage !» approfondissant les lézardes d'une nomenklatura qui nage en pleine scoumoune, il n'en demeure pas moins qu'elle a instillé quelques doutes et inquiétudes sur le chemin à emprunter dans l'avenir. En ce sens, le mouvement du hirak qui, jusqu'ici, n'a ni représentants officiels ni porte-parole attitrés, va négocier avec qui et comment, tant que, de l'autre côté de la rive, tout est presque resté fixe, inerte, flou et au même niveau que sous le règne de Bouteflika ?

Et cet exécutif «illégitime» qui bat de l'aile va, lui aussi, négocier avec qui et comment, tant que de l'autre côté de la rive, il n'y a qu'une immense foule bigarrée qui le vomit et le voue aux gémonies ? Voilà le nœud du problème ! Si le pouvoir a lâché un peu de lest, en sacrifiant Bouteflika et Belaïz, puis en ouvrant maintenant des dossiers de corruption, ses intentions réelles restent confuses.

En tout cas, la situation politique se complique furieusement dans notre pays alors que le chef d'état-major, au demeurant «le dernier des Mohicans» du système bouteflikien déchu et censé être comme l'unique voix du régime profond, continue de communiquer via des discours, interprétés diversement de part et d'autre. Autrement dit, personne ne sait vers quel côté penche l'aiguille de la balance de ce dernier, dans la mesure où, tantôt il affirme soutenir les revendications légitimes du peuple, tantôt il avertit, sous forme de conseil «paternaliste», au cas où il continue de s'attaquer aux représentants de l'exécutif partis sur des visites de terrain ! Ces tiraillements, d'un côté comme de l'autre, ouvrent à vrai dire le passage à un long stand-by, qui risque malheureusement de durer longtemps !
 
 
samedi 27 avril 2019
 
La tentation bonapartiste pointe









par Kharroubi Habib


Le respect du cadre constitutionnel qu'invoque le vice-ministre de la Défense, chef de l'état-major de l'ANP pour s'en tenir à la poursuite de la transition dont Abdelkader Bensalah est censé être le pilote n'est pas soutenable au vu que vendredi après vendredi le peuple descend dans la rue pour clamer qu'il ne veut absolument pas de cette sorte de transition.

Il est d'autant récusable que Gaïd Salah qui s'abrite derrière pour ne pas faire sienne la revendication de son dépassement voulue par le mouvement citoyen, la société civile et la majorité des partis politiques l'a incontestablement ignoré en s'arrogeant des pouvoirs qui sont indubitablement extra-constitutionnels. Pourquoi alors persiste-t-il à entretenir la fiction de son attachement à une transition dans le cadre constitutionnel alors que les acteurs de la crise politique ayant pris acte qu'il est le détenteur d'un pouvoir de fait l'interpellent pour en user afin de mettre un terme à une situation d'impasse qu'il a lui-même présentée comme porteuse de dangereuses menaces pour la stabilité et la sécurité du pays et préjudiciable pour l'économie nationale qu'il faut par conséquent y mettre un terme dans les plus brefs délais ?

Ce que lui demandent ses interpellants n'est pas « irréalisable » comme il l'a prétendu. Une transition hors cadre de la Constitution bouteflikienne est en effet du domaine du faisable du moment que le peuple le demande et que ses divers porte-parole et représentants se déclarent favorables à une concertation avec le pouvoir de fait qu'incarne le chef d'état-major sur la démarche qui rendrait possible cette option.

En n'assumant pas franchement ce pouvoir de fait qui s'exerce à partir des Tagarins, Gaïd Salah cherche à masquer qu'il a une visée bonapartiste sur le règlement de la crise politique en s'en tenant au respect du cadre constitutionnel pour la transition. Son obstination dans cette position et la résolution du peuple soulevé à ne pas s'y plier font que le chef de l'état-major de l'ANP va devoir assumer le risque d'un divorce entre ce peuple qui ne veut pas abdiquer sa souveraineté légitime qu'il s'est réappropriée et l'institution militaire dont il est le chef.

Ce serait faire preuve de politique de l'autruche que de ne pas voir l'exaspération et la colère qui montent dans le pays suscitées par la non prise en compte des revendications populaires et de ne pas s'interroger pour savoir si elles ne sont pas intentionnellement attisées pour que s'instaure dans le pays une situation propice à la tentation de son règlement dans un cadre ni constitutionnel, ni encore moins démocratique mais par la confiscation du pouvoir au nom de la nécessité de « sauver » l'Algérie des périls qui la guetteraient avec la persistance du mouvement populaire de contestation. 



 
vendredi 26 avril 2019
 

LA DICTATURE, LA CORRUPTION ET LE MAL-ÊTRE DE L’ALGÉRIE












La construction d’une Algérie nouvelle, démocratique et moderne, devra commencer par la pose de socles solides et de lignes rouges à ne pas dépasser où l’individu doit protéger le groupe et le groupe l’individu sur la base de principes inaliénables.
Par Nesroulah Yous
Si des millions de personnes se retrouvent tous les vendredis depuis le 22 février dernier pour réclamer le changement radical du système politique en Algérie, il est important de marteler que le passage d’une dictature  corrompue vers  une république démocratique ne se fera pas sur un coup de baguette magique. Ce système rentier existant depuis fort longtemps, basé sur la dilapidation des richesses nationales, la rapine et le clientélisme, a non seulement travaillé en profondeur pour diviser le peuple, semer la haine entre algériens, atomiser la société civile et les partis politiques d’opposition et laminer le tissu associatif, mais il a aussi corrompu toutes les institutions et les individus sur le plan matériel comme sur le plan de la réflexion et des idées.
Ce régime fort par ses puissants alliés internationaux a mis en place ses propres partis politiques, ses propres associations, ses médias, ses organes de contrôle et son observatoire des droits de l’Homme. Il a su relancer ses réseaux et ses soutiens à travers le monde et notamment au niveau des instances onusiennes. Pour ces raisons là et malgré la forte mobilisation, beaucoup restent pessimistes et prônent le moindre mal, risquant du même coup de nous ramener 57 ans en arrière.  
Si le peuple, aujourd’hui, en dépassant ses peurs a retrouvé sa dignité et sa fierté en se réappropriant l’espace publique et la politique, nous ne pouvons considérer cette étape comme une grande victoire, car le chemin qui mène à la liberté est très long et semé d’embûches. Il serait simpliste de croire  que la construction d’un Etat de droits basé sur une justice sociale, sans un travail de terrain au préalable, peut se faire en un clin d’œil. Il n’existe pas de démocratie « clefs en main » ! Les libertés se gagnent et la démocratie se construit jour après jour.
Quelques associations de la société civile, des syndicats, des universitaires, organisent, ici et là, des conférences, des débats pour maintenir la mobilisation et sensibiliser l’opinion publique. Des citoyennes et citoyens, des artistes, s’accaparent l’espace publique pour trouver des solutions à la crise politique, au vide juridique, aux formes de gouvernance qui pourraient prévaloir, mais il n’empêche que beaucoup de questions sont éludées volontairement ou involontairement par peur de diviser le mouvement. Même si cela n’est pas primordial, toutes les questions restent d’actualité. Elles doivent être abordées et posées sans tabous notamment en ce qui concernent la transparence et le fonctionnement de nos institutions qui ont failli, l’incapacité des partis politiques à créer une alternative politique, l’incapacité des élites nationales et des différentes corporations à exister en tant que pouvoir et forces motrices de changement, voire force d’éveil des consciences. Aujourd’hui le courage de dire les choses est de mise. Il est important d’affirmer clairement les principes d’une démocratie et les lignes rouges à ne pas dépasser, sinon, la démocratie restera éternellement menacée. C’est parce qu’aujourd’hui, les élites algériennes sont  inaudibles quedominent la médiocrité, le « populisme » et le « m’as-tu vu ? » en Algérie.
Le temps est à l’affirmation, haut et fort, de ce qui est non négociable dans une démocratie et un Etat de droits, afin d’obliger les citoyen.nes individuellement ou collectivement à une profonde réflexion, sans tabous, sur les bouleversements qui doivent s’opérer dans notre société à l’aune du XXI siècle et à l’ère des hautes technologies. Le temps est à la remise en question de chacun d’entre nous, dans l’intérêt de tous, pour permettre l’émergence d’une classe dirigeante ayant l’approbation et la confiance du peuple algérien. Avant cela, tout compromis avec les détenteurs du  pouvoir serait dangereux et mal venu.
La dictature, la corruption et le mal-être de l’Algérie
La corruption ne doit pas être vue uniquement sous le prisme de l’argent. Elle doit être auscultée sous ses formes les plus intimes (clientélisme, passe-droits, modèles et critères de sélection, injustice sociale, violence…etc.) car ce fléau est si destructeur qu’il nous a fait perdre le sens du devoir et de l’intérêt général. Depuis plusieurs décennies, il a emprisonné tous les algériens dans une forme de survie quotidienne, les poussant malgré eux à l’égoïsme et à l’individualisme. Plus encore, la corruption a réussi à pervertir notre façon d’exister, notre façon de penser et notre rapport à l’autre. La construction d’une Algérie nouvelle, moderne, doit commencer par la pose de socles solides et de lignes rouges à ne pas dépasser où l’individu doit protéger le groupe et le groupe l’individu sur la base de principes inaliénables.
Si à travers le monde les partis politiques sous l’emprise de la finance ne représentent plus qu’une infime minorité d’électeurs, en Algérie, par contre, il n’existe même plus de partis politiques aptes à apporter une alternative au régime actuel. Il est donc primordial et urgent que la société civile dans son ensemble s’organise pour pallier à ce manque et porter des projets qui pourraient nous sortir de la crise actuelle afin de permettre à l’Algérie de devenir un pays démocratiquement moderne. Les plus grandes démocraties sont celles qui ont à la fois un Etat fort et une forte société civile structurée et organisée pour défendre l’intérêt général et les principes qui soudent les citoyens et protègent l’individu et la société.
Car ce système, certes affaibli, ouvertement défendu depuis le 2 mars dernier par le chef des armées, pourrait se régénérer à tout moment et sous d’autres formes. Le chef des armées, en invoquant sa légitimité historique et celle de l’armée nationale, se donne la posture du « sauveur » – comme l’ont déjà fait avant lui ses prédécesseurs –  ne cessant de marteler qu’il est le seul à pouvoir changer les choses et à garantir la stabilité du pays. Ceci est totalement faux !
            Le peuple souverain doit être le seul sauveur 
Pour rappel, la courte période entre l’ouverture démocratique, le multipartisme et l’arrêt du processus électoral du 11 janvier 1992 qui a permis, dans un premier temps, certains acquis et quelques libertés fondamentales, n’a pas été l’occasion tant espérée pour permettre à la population algérienne de s’organiser  en tant que société civile et poser les premiers prémices d’une réelle démocratie. Le rapide passage aux élections municipales puis aux élections législatives s’est fait de manière partisane, non citoyenne et non corporatiste. Très tôt, la lutte pour la démocratie s’est transformée en  combat idéologique, provocant la guerre civile et d’énormes traumatismes au sein des citoyennes et citoyens. Les vingt années du  règne de Bouteflika qui s’ensuivirent, avec la complicité des chefs militaires et de la finance, ont non seulement étouffé encore plus la société mais ont également  empêché l’émergence d’une élite capable de redresser le pays.
Ce régime a tout fait pour diviser les algérien.nes, atomiser la société en jouant sur le régionalisme, en montant les victimes les unes contre les autres, en utilisant la justice comme forme de répression pour bâillonner les journalistes et les contestataires, en utilisant certains médias pour manipuler l’opinion publique et  pour détourner l’attention pendant que les tenants du pouvoir dilapidaient les richesses nationales. Durant des années, toutes les corporations ont été « ciblées » par le terrorisme islamique et les forces de sécurité. Pire encore, sous couvert d’une certaine « paix » et  la prorogation de la charte dite « charte pour la paix et la réconciliation nationale »,  Bouteflika, avec la complicité de hauts gradés, s’est doté des pleins pouvoirs  pour  verrouiller encore plus la société et vider les institutions de leur substance.
Pour toutes ces raisons, en l’absence de partis politiques forts et  crédibles, nous appelons les citoyennes et les citoyens de chaque commune, de chaque wilaya, de toutes les corporations à travers tout le pays, à s’organiser le plus rapidement possible pour élire des personnes dignes de les représenter et leur établir une feuille de route. L’union de tous ces représentants constituera une force de proposition pour celles et ceux qui auront la charge de mener cette transition démocratique.
L’Algérie ne pourra plus faire les frais d’un retour en arrière et fonctionner avec les mêmes pratiques moyenâgeuses si fortement ancrées dans l’Etat et nos institutions. Notre Etat ne devra plus être sources de favoritisme et sources de graves injustices envers les populations les plus défavorisées.
Le passage d’une dictature vers une démocratie, d’un état clientéliste, séparatiste, vers un état soucieux de l’intérêt et du bien être de ses citoyens, d’une justice aux ordres vers une justice complètement indépendante et impartiale, ne pourra se réaliser qu’avec toutes les forces vives du pays réunies. Ce processus démocratique ne sera possible que si l’on accepte l’idée d’une Instance de Justice transitionnelle ayant les pleins pouvoirs, qui aura comme buts de travailler sur les traumatismes, sur la violence qui traverse toutes couches sociales, sur la réparation vis à vis de toutes les victimes, sur le mode de fonctionnement de notre état, sur la corruption et les graves dérives de nos institutions.
Plusieurs modèles de « Justice Transitionnelle » existent à travers le monde, plusieurs pays en ont fait l’expérience. Si certains ont moyennement réussi, c’est le cas de l’Afrique du sud, d’autres ont mis du temps à se mettre en place ou ont échoué par manque de volonté politique ou d’accompagnement populaire. Même en cas d’échec, ces processus ont un eu un grand impact sur les sociétés et ont eu le mérite de déclencher de grands débats et de produire de la réflexion sur de graves problèmes sociétaux. Ces projets de transition démocratique et de « Justice transitionnelle » sont intimement liés dans l’avènement d’un Etat de droit démocratique.  C’est notre devoir d’y réfléchir et d’en dessiner les grands axes, en tenant compte des paramètres historico-politiques et socio-culturels de notre société, pour permettre sa réussite. Une Algérie moderne et plurielle ne peut se construire sur les erreurs du passé.
 
jeudi 25 avril 2019
 

Impasse politique et désaccords d’approches : Légitimité libératrice contre légalité bloquante










 
25 AVRIL 2019 À 10 H 30 MIN
 
Paradoxal. Il plane une grande inquiétude sur le pays, alors qu’il est porté par une grande espérance née de l’insurrection citoyenne, partie de l’historique journée du 22 février.
Deux mois après et grâce à une mobilisation populaire aussi inédite qu’originelle, l’Algérie a franchi un pas géant dans le démantèlement d’un système politique révolu.
Les Algériens sont désormais entrés de plain-pied dans l’esprit d’un nouveau système qui pour l’heure ne voit pas encore le jour. Le chemin sera encore long et la tâche sera encore plus difficile pour bâtir ce nouvel ordre démocratique auquel aspire la révolution démocratique en cours.
Cependant, si les visages du régime incarné par Abdelaziz Bouteflika ont pour la plupart disparu de la scène, par contre ses usages, ses mœurs et ses pratiques sévissent encore.


Le tout escorté d’un discours officiel des plus menaçants. Propulsé bon gré malgré au-devant de la scène, le chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, est en première ligne et ne cesse de pilonner.
A tout-va. Avec lui, l’armée n’est plus la grande muette. Au fil des discours, où menace et conciliation s’alternent, il prend toute la place officielle. Le chef de l’Etat, Abdelkader Bensalah, est totalement effacé, à l’image de «son» Premier ministre, disparu des écrans radar.
Mais constatant que l’attachement obstiné au formalisme constitutionnel pour donner un prolongement politique à l’insurrection citoyenne conduit inéluctablement à l’impasse, le patron de l’ANP s’énerve et perd son sang-froid.
Son discours de Blida avant-hier atteste de cette nervosité  extrême chez le général de corps d’armée.
Mitrailler, les yeux fermés, l’ensemble de la classe politique et désigner ces membres comme des «ennemis» qui ne «veulent aucun bien pour l’Algérie», pour la simple raison que les opposants et, à juste titre, rejettent la «proposition» du chef de l’Etat a créé, au sein de l’opinion, une tension.
De l’incompréhension et des inquiétudes sur l’avenir du mouvement populaire et son aboutissement. L’armée doit rassurer et non pas faire peur ; le moment recommande la sagesse à tous les niveaux de responsabilité. Les Algériens redoutent une reprise en main autoritaire.
D’évidence, l’option exclusivement constitutionnaliste avec le maintien de l’agenda électoral ne peut constituer une réponse à la crise politique que traverse le pays.
Vouloir l’imposer contre l’avis de l’ensemble de la société et surtout contre le bon sens politique, c’est poursuivre le chemin vers l’impasse. Les divergences politiques et les désaccords d’approches ne doivent pas déboucher sur une confrontation violente ou une escalade verbale.
La situation politique que vit le pays depuis deux mois requiert une démarche nouvelle avec de nouveaux mécanismes à mettre en place devant conduire à une véritable transition. Le contexte exige sérénité et lucidité.
Le pays regorge de capacités et de compétences disposées à conduire cette période avec beaucoup de responsabilité.
Il est vrai que pour l’armée nationale – seule force institutionnelle encore solide –,  il serait difficile de quitter définitivement l’ordre constitutionnel en vigueur. Sortir de la légalité peut en effet faire courir un risque politique pour une institution scrupuleusement attachée au formalisme et à la discipline.
Cependant, il s’avère que les lois et textes fondamentaux régissant la vie politique nationale se trouvent dépassés par la nouvelle situation qui s’est créée dans le pays.
Une situation qui ne peut s’accommoder d’une Constitution plusieurs fois remodelées pour renforcer le pouvoir du Président déchu. Elle est désormais devenue source de l’impasse.
Elle ne peut constituer la base pouvant servir de règle à l’émergence d’un régime politique nouveau. Elle est l’incarnation du système politique ancien et contre lequel des millions d’Algériens se sont soulevés.
Comment faire alors ? L’armée, qui est fortement sollicitée pour aider et accompagner le processus de changement, peut s’appuyer sur la légitimité populaire pour permettre aux élites politiques et sociales d’élaborer collectivement le modèle dans lequel la transition pourra enfin évoluer.
Il ne faut plus retarder l’échéance. L’armée et son chef peuvent faire confiance au génie et à l’intelligence politique des Algériens. L’insurrection citoyenne en cours est salutaire pour le pays.
C’est un moment politique exceptionnellement rare dans l’histoire de la nation, porteur d’une espérance collective et qui ressuscite l’utopie algérienne.
 
 
Un New Deal algérien est-il possible ?









par Kamal Guerroua


Ce n'est pas en changeant un haut responsable décrié par la rue par un autre, comme si l'on est dans un jeu de pions sur l'échiquier institutionnel ou politique, que l'on peut absorber la colère d'un peuple qui demande, pendant maintenant huit semaines consécutives, un vrai changement du régime de gouvernance. Les officiels du pays doivent comprendre que «Yetnhaw gâa» (qu'ils dégagent tous !), ce slogan-phare qu'on voit souvent sur les banderoles brandies par des millions de manifestants, est plus qu'un coup de gueule de circonstance. Il véhicule un message politique d'une rare lucidité, à décrypter et à acter rapidement par ceux d'en haut : l'Algérie a besoin d'un nouveau souffle. Pour cela, elle doit se reconstruire sur de nouvelles bases, avec une nouvelle génération de dirigeants, une nouvelle stratégie, des nouvelles idées, des nouveaux visages. Cela dit, les masses ne veulent pas seulement qu'on fasse tomber des têtes en les substituant par d'autres, pour leur vendre l'illusion qu'on est en train de faire bouger les choses dans le bon sens, mais de démanteler tout ce système de corruption au sein de la présidence, les ministères, le syndicat officiel, les universités, les consulats, les administrations et les compagnies publiques, tissé en réseaux informels de népotisme, de mâarifa, de prédation et de passe-droit. Elles veulent que le pouvoir leur revienne de fait et de droit. Elles s'attachent surtout à l'idée que la transparence soit la règle n° 1 qui régisse les rapports entre les institutions de l'Etat et que les décideurs de l'ombre sortent enfin de leurs bunkers pour affronter la réalité du terrain et rendre les comptes de leur gestion au petit-peuple. En gros, c'est à une opération de refonte institutionnelle radicale et profonde que les Algériens appellent, loin de «ces toilettages placebo» qui ne sont, d'ailleurs, qu'un cautère sur une jambe de bois. Cela est d'autant plus urgent que l'Algérie est, à l'heure présente, gravement malade et que tous les secteurs sont infestés par la crise. Cela se ressentait depuis longtemps, mais malheureusement, rien n'a été fait pour qu'elle guérisse et prenne le train du changement et de la démocratie. Si le départ in extremis de Bouteflika, puis maintenant du président du Conseil constitutionnel ouvre quelques nouveaux horizons pour le Hirak, il n'en demeure pas moins que la perspective de la répétition des mêmes vils scénarios, comme par le passé, pour pérenniser ce système poussif, soit la crainte de tous. Quoique tout le monde sait qu'aucun jeu de guignols ne puisse désormais détourner le mouvement citoyen de ses revendications démocratiques légitimes. Reste, enfin, la position de l'institution militaire, laquelle est à un rendez-vous avec l'histoire, en tant que garante de la Constitution. Celle-ci devrait ouvrir le passage à une transition démocratique en bonne et due forme, en prenant des mesures concrètes, en cohérence avec la volonté du peuple et ses missions constitutionnelles. C'est la seule voie pour concrétiser le New Deal algérien. 





 
mardi 23 avril 2019
 

La chute de l’aigle est proche











American eagle against USA flag background
Aurions-nous atteint ce moment crucial où l’hyperpuissance en déclin se met à douter d’elle-même ? La presse américaine vient de relater ce que l’ancien président Jimmy Carter a dit à Donald Trump lors de leur récente entrevue. Le locataire de la Maison-Blanche avait invité son prédécesseur à lui parler de la Chine, et Jimmy Carter a rapporté publiquement la teneur de cet entretien lors d’une assemblée baptiste en Géorgie. C’est une véritable pépite.
“Vous craignez que la Chine nous passe devant, et je suis d’accord avec vous. Mais savez-vous pourquoi la Chine est en train de nous dépasser ? J’ai normalisé les relations diplomatiques avec Pékin en 1979. Depuis cette date, savez-vous combien de fois la Chine a été en guerre avec qui que ce soit ? Pas une seule fois. Et nous, nous sommes constamment restés en guerre. Les États-Unis sont la nation la plus belliqueuse de l’histoire du monde, parce qu’ils désirent imposer des valeurs américaines aux autres pays. La Chine, elle, investit ses ressources dans des projets tels que les chemins de fer à grande vitesse au lieu de les consacrer aux dépenses militaires.
Combien de kilomètres de chemin de fer à grande vitesse avons-nous dans ce pays ? Nous avons gaspillé 3 000 milliards de dollars en dépenses militaires. La Chine n’a pas gaspillé un centime pour la guerre, et c’est pourquoi elle est en avance sur nous dans presque tous les domaines. Et si nous avions pris 3000 milliards pour les mettre dans les infrastructures américaines, nous aurions un chemin de fer à grande vitesse. Nous aurions des ponts qui ne s’effondrent pas. Nous aurions des routes qui sont maintenues correctement. Notre système éducatif serait aussi bon que celui de la Corée du Sud ou de Hong Kong.”
Qu’un tel bon sens n’ait jamais effleuré l’esprit d’un dirigeant américain en dit long sur la nature du pouvoir dans ce pays. Il est sans doute difficile, pour un Etat qui représente 45% des dépenses militaires mondiales et dispose de 725 bases militaires à l’étranger, où les industriels de l’armement contrôlent l’Etat profond et déterminent une politique étrangère responsable de 20 millions de morts depuis 1945, d’interroger son rapport pathologique avec la violence armée.
“La guerre au Vietnam, disait déjà Martin Luther King, est le symptôme d’une maladie de l’esprit américain dont les piliers sont le racisme, le matérialisme et le militarisme”.
Mais cette question concerne surtout l’avenir. Par la faute de leurs dirigeants, les USA sont-ils condamnés à connaître le sort de ces empires qui ont sombré à cause de leurs ambitions démesurées, littéralement asphyxiés par le poids exorbitant des dépenses militaires?
A la fin de son mandat, en 1959, le président Eisenhower dénonçait avec des accents prophétiques un complexe militaro-industriel qui faisait peser une chape de plomb sur la société américaine. Pas plus que Donald Trump ou Barack Obama, il ne se souciait du sort des populations affamées, envahies ou bombardées par l’Oncle Sam au nom de la démocratie et des droits de l’homme. Mais comme Jimmy Carter aujourd’hui, il pressentait sans doute que la course aux armements serait la principale cause du déclin de l’empire.
Car les néoconservateurs et autres « Docteur Folamour » du Pentagone, depuis plusieurs décennies, n’ont pas seulement fait rimer démocratie libérale et massacre de masse au Vietnam, au Laos, au Cambodge, en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, sans oublier les tueries orchestrées dans l’ombre par la CIA et ses succursales, de l’extermination de la gauche indonésienne (500 000 morts) aux exploits des escadrons de la mort guatémaltèques (200 000 morts) en passant par les bains de sang exécutés pour le compte de l’empire par les lobotomisés du djihad planétaire. Les stratèges de l’endiguement du communisme à coups de napalm, puis les apprentis-sorciers du chaos constructif par importation de la terreur, en effet, n’ont pas seulement mis la planète à feu et à sang.
Marionnettes de l’État profond américain, ces bellicistes qui ont pignon sur rue au Congrès, à la Maison-Blanche et dans les think tanks néocons ont également plongé la société américaine dans un marasme intérieur que masque à peine l’usage frénétique de la planche à billets. Car si le bellicisme des Etats-Unis est l’expression de leur déclin, il en est aussi la cause. Il en est l’expression, lorsque pour enrayer ce déclin, la brutalité des interventions militaires, des sabotages économiques et des opérations sous fausse bannière est la marque de fabrique de la politique étrangère américaine. Il en est la cause, lorsque l’inflation démentielle des dépenses militaires sacrifie le développement d’un pays où les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus nombreux.
Alors que la Chine investit dans les infrastructures civiles, les Etats-Unis laissent les leurs à l’abandon au profit des industries de l’armement. Washington fait des rodomontades à l’extérieur, mais laisse le pays se déliter à l’intérieur. Le PIB par habitant est colossal, mais 20% de la population croupit dans la pauvreté. Les prisons sont pleines : les détenus américains représentent 25% des prisonniers de la planète. 40% de la population est frappée par l’obésité. L’espérance de vie des Américains (79,6 ans) est passée derrière celle des Cubains (80 ans). Comment un petit pays socialiste, soumis à l’embargo, peut-il faire mieux qu’une gigantesque puissance capitaliste auréolée de son hégémonie planétaire ? Il faut croire qu’aux USA la santé de la plèbe n’est pas la préoccupation majeure des élites.
Habile compétiteur, Donald Trump a gagné les élections en 2016 en promettant de restaurer la grandeur des Etats-Unis et en s’engageant à rétablir les emplois perdus à cause d’une mondialisation débridée. Mais les résultats obtenus, faute de réformes structurelles, infligent une douche froide à ses ardeurs incantatoires. Le déficit commercial avec le reste du monde a explosé en 2018, battant un record historique (891 milliards de dollars) qui pulvérise celui de 2017 (795 milliards). Donald Trump a complètement échoué à inverser la tendance, et les deux premières années de son administration sont les pires, en matière commerciale, de l’histoire des États-Unis.
Dans ce déficit global, le déséquilibre des échanges avec la Chine pèse lourd. Il a atteint en 2018 un record historique (419 milliards) qui dépasse le bilan désastreux de l’année 2017 (375 milliards). La guerre commerciale engagée par Donald Trump a surtout aggravé le déficit commercial américain. Alors que les importations de produits chinois vers les USA continuaient de croître (+7%), la Chine a réduit ses importations en provenance des Etats-Unis. Donald Trump a voulu utiliser l’arme tarifaire pour rééquilibrer le bilan commercial des Etats-Unis. Ce n’était pas illégitime, mais irréaliste pour un pays qui a lié son destin à celui d’une mondialisation dictée par des firmes transnationales made in USA.
Si l’on ajoute que le déficit commercial avec l’Europe, le Mexique, le Canada et la Russie s’est également aggravé, on mesure les difficultés qui assaillent l’hyperpuissance en déclin. Mais ce n’est pas tout. Outre le déficit commercial, le déficit budgétaire fédéral s’est creusé (779 milliards de dollars, contre 666 milliards en 2017). Il est vrai que l’envol des dépenses militaires est impressionnant. Le budget du Pentagone pour 2019 est le plus élevé de l’histoire des Etats-Unis : 686 milliards de dollars. La même année, la Chine a dépensé 175 milliards, avec une population quatre fois supérieure. Rien d’étonnant à ce que la dette fédérale ait battu un nouveau record, atteignant 22 175 milliards de dollars. Quant à la dette privée, celle des entreprises et des particuliers, elle donne le vertige (73 000 milliards).
Certes, les USA bénéficient d’une rente de situation exceptionnelle. Le dollar est encore la monnaie de référence pour les échanges internationaux et pour les réserves des banques centrales. Mais ce privilège n’est pas éternel. La Chine et la Russie remplacent leurs réserves en dollars par des lingots d’or et une part croissante des échanges est désormais libellée en yuans. Les Etats-Unis vivent à crédit aux dépens du reste du monde, mais pour combien de temps ? Selon la dernière étude du cabinet d’audit PwC (“Le monde en 2050 : comment l’économie mondiale va changer ces 30 prochaines année”), les “pays émergentbruno_guigues” (Chine, Inde, Brésil, Indonésie, Mexique, Russie, Turquie) pourraient peser 50% du PIB mondial en 2050, tandis que la part des pays du G7 (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Japon) descendrait à 20%.
La chute de l’aigle est proche.
Par Bruno Guigue
 
"Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs." Malcom X

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