ELWATAN-ALHABIB
vendredi 26 avril 2019
 

LA DICTATURE, LA CORRUPTION ET LE MAL-ÊTRE DE L’ALGÉRIE












La construction d’une Algérie nouvelle, démocratique et moderne, devra commencer par la pose de socles solides et de lignes rouges à ne pas dépasser où l’individu doit protéger le groupe et le groupe l’individu sur la base de principes inaliénables.
Par Nesroulah Yous
Si des millions de personnes se retrouvent tous les vendredis depuis le 22 février dernier pour réclamer le changement radical du système politique en Algérie, il est important de marteler que le passage d’une dictature  corrompue vers  une république démocratique ne se fera pas sur un coup de baguette magique. Ce système rentier existant depuis fort longtemps, basé sur la dilapidation des richesses nationales, la rapine et le clientélisme, a non seulement travaillé en profondeur pour diviser le peuple, semer la haine entre algériens, atomiser la société civile et les partis politiques d’opposition et laminer le tissu associatif, mais il a aussi corrompu toutes les institutions et les individus sur le plan matériel comme sur le plan de la réflexion et des idées.
Ce régime fort par ses puissants alliés internationaux a mis en place ses propres partis politiques, ses propres associations, ses médias, ses organes de contrôle et son observatoire des droits de l’Homme. Il a su relancer ses réseaux et ses soutiens à travers le monde et notamment au niveau des instances onusiennes. Pour ces raisons là et malgré la forte mobilisation, beaucoup restent pessimistes et prônent le moindre mal, risquant du même coup de nous ramener 57 ans en arrière.  
Si le peuple, aujourd’hui, en dépassant ses peurs a retrouvé sa dignité et sa fierté en se réappropriant l’espace publique et la politique, nous ne pouvons considérer cette étape comme une grande victoire, car le chemin qui mène à la liberté est très long et semé d’embûches. Il serait simpliste de croire  que la construction d’un Etat de droits basé sur une justice sociale, sans un travail de terrain au préalable, peut se faire en un clin d’œil. Il n’existe pas de démocratie « clefs en main » ! Les libertés se gagnent et la démocratie se construit jour après jour.
Quelques associations de la société civile, des syndicats, des universitaires, organisent, ici et là, des conférences, des débats pour maintenir la mobilisation et sensibiliser l’opinion publique. Des citoyennes et citoyens, des artistes, s’accaparent l’espace publique pour trouver des solutions à la crise politique, au vide juridique, aux formes de gouvernance qui pourraient prévaloir, mais il n’empêche que beaucoup de questions sont éludées volontairement ou involontairement par peur de diviser le mouvement. Même si cela n’est pas primordial, toutes les questions restent d’actualité. Elles doivent être abordées et posées sans tabous notamment en ce qui concernent la transparence et le fonctionnement de nos institutions qui ont failli, l’incapacité des partis politiques à créer une alternative politique, l’incapacité des élites nationales et des différentes corporations à exister en tant que pouvoir et forces motrices de changement, voire force d’éveil des consciences. Aujourd’hui le courage de dire les choses est de mise. Il est important d’affirmer clairement les principes d’une démocratie et les lignes rouges à ne pas dépasser, sinon, la démocratie restera éternellement menacée. C’est parce qu’aujourd’hui, les élites algériennes sont  inaudibles quedominent la médiocrité, le « populisme » et le « m’as-tu vu ? » en Algérie.
Le temps est à l’affirmation, haut et fort, de ce qui est non négociable dans une démocratie et un Etat de droits, afin d’obliger les citoyen.nes individuellement ou collectivement à une profonde réflexion, sans tabous, sur les bouleversements qui doivent s’opérer dans notre société à l’aune du XXI siècle et à l’ère des hautes technologies. Le temps est à la remise en question de chacun d’entre nous, dans l’intérêt de tous, pour permettre l’émergence d’une classe dirigeante ayant l’approbation et la confiance du peuple algérien. Avant cela, tout compromis avec les détenteurs du  pouvoir serait dangereux et mal venu.
La dictature, la corruption et le mal-être de l’Algérie
La corruption ne doit pas être vue uniquement sous le prisme de l’argent. Elle doit être auscultée sous ses formes les plus intimes (clientélisme, passe-droits, modèles et critères de sélection, injustice sociale, violence…etc.) car ce fléau est si destructeur qu’il nous a fait perdre le sens du devoir et de l’intérêt général. Depuis plusieurs décennies, il a emprisonné tous les algériens dans une forme de survie quotidienne, les poussant malgré eux à l’égoïsme et à l’individualisme. Plus encore, la corruption a réussi à pervertir notre façon d’exister, notre façon de penser et notre rapport à l’autre. La construction d’une Algérie nouvelle, moderne, doit commencer par la pose de socles solides et de lignes rouges à ne pas dépasser où l’individu doit protéger le groupe et le groupe l’individu sur la base de principes inaliénables.
Si à travers le monde les partis politiques sous l’emprise de la finance ne représentent plus qu’une infime minorité d’électeurs, en Algérie, par contre, il n’existe même plus de partis politiques aptes à apporter une alternative au régime actuel. Il est donc primordial et urgent que la société civile dans son ensemble s’organise pour pallier à ce manque et porter des projets qui pourraient nous sortir de la crise actuelle afin de permettre à l’Algérie de devenir un pays démocratiquement moderne. Les plus grandes démocraties sont celles qui ont à la fois un Etat fort et une forte société civile structurée et organisée pour défendre l’intérêt général et les principes qui soudent les citoyens et protègent l’individu et la société.
Car ce système, certes affaibli, ouvertement défendu depuis le 2 mars dernier par le chef des armées, pourrait se régénérer à tout moment et sous d’autres formes. Le chef des armées, en invoquant sa légitimité historique et celle de l’armée nationale, se donne la posture du « sauveur » – comme l’ont déjà fait avant lui ses prédécesseurs –  ne cessant de marteler qu’il est le seul à pouvoir changer les choses et à garantir la stabilité du pays. Ceci est totalement faux !
            Le peuple souverain doit être le seul sauveur 
Pour rappel, la courte période entre l’ouverture démocratique, le multipartisme et l’arrêt du processus électoral du 11 janvier 1992 qui a permis, dans un premier temps, certains acquis et quelques libertés fondamentales, n’a pas été l’occasion tant espérée pour permettre à la population algérienne de s’organiser  en tant que société civile et poser les premiers prémices d’une réelle démocratie. Le rapide passage aux élections municipales puis aux élections législatives s’est fait de manière partisane, non citoyenne et non corporatiste. Très tôt, la lutte pour la démocratie s’est transformée en  combat idéologique, provocant la guerre civile et d’énormes traumatismes au sein des citoyennes et citoyens. Les vingt années du  règne de Bouteflika qui s’ensuivirent, avec la complicité des chefs militaires et de la finance, ont non seulement étouffé encore plus la société mais ont également  empêché l’émergence d’une élite capable de redresser le pays.
Ce régime a tout fait pour diviser les algérien.nes, atomiser la société en jouant sur le régionalisme, en montant les victimes les unes contre les autres, en utilisant la justice comme forme de répression pour bâillonner les journalistes et les contestataires, en utilisant certains médias pour manipuler l’opinion publique et  pour détourner l’attention pendant que les tenants du pouvoir dilapidaient les richesses nationales. Durant des années, toutes les corporations ont été « ciblées » par le terrorisme islamique et les forces de sécurité. Pire encore, sous couvert d’une certaine « paix » et  la prorogation de la charte dite « charte pour la paix et la réconciliation nationale »,  Bouteflika, avec la complicité de hauts gradés, s’est doté des pleins pouvoirs  pour  verrouiller encore plus la société et vider les institutions de leur substance.
Pour toutes ces raisons, en l’absence de partis politiques forts et  crédibles, nous appelons les citoyennes et les citoyens de chaque commune, de chaque wilaya, de toutes les corporations à travers tout le pays, à s’organiser le plus rapidement possible pour élire des personnes dignes de les représenter et leur établir une feuille de route. L’union de tous ces représentants constituera une force de proposition pour celles et ceux qui auront la charge de mener cette transition démocratique.
L’Algérie ne pourra plus faire les frais d’un retour en arrière et fonctionner avec les mêmes pratiques moyenâgeuses si fortement ancrées dans l’Etat et nos institutions. Notre Etat ne devra plus être sources de favoritisme et sources de graves injustices envers les populations les plus défavorisées.
Le passage d’une dictature vers une démocratie, d’un état clientéliste, séparatiste, vers un état soucieux de l’intérêt et du bien être de ses citoyens, d’une justice aux ordres vers une justice complètement indépendante et impartiale, ne pourra se réaliser qu’avec toutes les forces vives du pays réunies. Ce processus démocratique ne sera possible que si l’on accepte l’idée d’une Instance de Justice transitionnelle ayant les pleins pouvoirs, qui aura comme buts de travailler sur les traumatismes, sur la violence qui traverse toutes couches sociales, sur la réparation vis à vis de toutes les victimes, sur le mode de fonctionnement de notre état, sur la corruption et les graves dérives de nos institutions.
Plusieurs modèles de « Justice Transitionnelle » existent à travers le monde, plusieurs pays en ont fait l’expérience. Si certains ont moyennement réussi, c’est le cas de l’Afrique du sud, d’autres ont mis du temps à se mettre en place ou ont échoué par manque de volonté politique ou d’accompagnement populaire. Même en cas d’échec, ces processus ont un eu un grand impact sur les sociétés et ont eu le mérite de déclencher de grands débats et de produire de la réflexion sur de graves problèmes sociétaux. Ces projets de transition démocratique et de « Justice transitionnelle » sont intimement liés dans l’avènement d’un Etat de droit démocratique.  C’est notre devoir d’y réfléchir et d’en dessiner les grands axes, en tenant compte des paramètres historico-politiques et socio-culturels de notre société, pour permettre sa réussite. Une Algérie moderne et plurielle ne peut se construire sur les erreurs du passé.
 
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