Le 20e sommet de la Ligue arabe (29-30 mars 2008)
Le 20e sommet de la Ligue arabe (29-30 mars 2008)
À Damas, les États arabes défient Condipar
Thierry Meyssan*Ce devait être l’occasion d’isoler définitivement la Syrie et de l’humilier, le sommet de la Ligue arabe à Damas a au contraire marqué un échec diplomatique majeur du département d’État. Non seulement la plupart des États membres n’ont pas boycotté la rencontre, mais ils ont approuvé la ligne politique syrienne : intransigeance face à l’expansionnisme sioniste et émancipation vis-à-vis des États-Unis. Présent dans les coulisses du sommet, Thierry Meyssan en analyse les enjeux.
1er avril 2008DepuisDamas (Syrie)Outils Imprimer EnvoyerPays Ligue arabeThèmes Contrôle du « Grand Moyen-Orient »Alors que les regards sont tournés sur l’action du département US de la Défense au Proche-Orient, le département d’État met en œuvre de son côté une stratégie diplomatique originale, en cohérence avec sa vision du monde. À Washington, les partisans du « Smart Power » espèrent qu’une réorganisation des relations régionales permettra aux États-Unis de maintenir leur autorité dans cette zone tout en y réduisant leur pression militaire. Mais Condoleezza Rice vient d’essuyer un sérieux revers au 20e sommet de la Ligue arabe. Ce ratage diplomatique s’ajoute aux échecs du Pentagone en Irak et en Afghanistan et à ceux de Tsahal en Palestine occupée. En définitive, tous les protagonistes régionaux prennent acte de l’impuissance des États-Unis à vaincre la résistance de l’axe Iran-Syrie-Hezbollah-Hamas. Dès lors, ils s’interrogent sur un possible réajustement de leur propre positionnement tout en craignant que l’administration Bush désespérée ne tente d’en finir par tous les moyens au cours des prochains mois.
La technique diplomatique de Condi
À l’échelle mondiale, le département d’État entend substituer à l’ordre international actuel une nouvelle architecture, dite « globale », qui consacre son statut d’hyper-puissance, isole ses adversaires, et institue une hiérarchie entre ses vassaux pour relayer son autorité jusqu’aux confins de son empire. L’idée principale est d’en finir avec le système de l’ONU qui combine une Assemblée générale où chaque État dispose d’une voix égale et un Conseil de sécurité, qui fait office de directoire, dans lequel les décisions de Washington peuvent être bloquées par le veto de quatre grandes puissances (Chine, France, Royaume-Uni, Russie). À la place doit être créée une « Assemblée des démocraties » —dont seront exclus les États refusant le modèle US—, où les droits de vote seront proportionnels aux capacités économiques et aux contributions financières, et donc où les États-Unis se tailleront « la part du lion ». En outre, chaque partie du monde sera gouvernée par une organisation régionale dirigée par un directoire local, dont les membres seront désignés par Washington pour y appliquer sa loi.
Ainsi, le « mini-traité européen » poussé par Nicolas Sarkozy introduit une inégalité entre ses membres en pondérant leurs votes d’une manière nouvelle en fonction de leur importance. Récemment, Nicolas Sarkozy a rompu le tandem franco-allemand, seul capable de dégager une marge de manœuvre à l’Union européenne, puis a jeté les bases d’un directoire franco-britannique pour que l’Union —et surtout la Défense européenne— serve exclusivement les intérêts de Washington. Notez qu’en cette matière, le président français ne défend pas les intérêts de son pays, ni ceux de l’Union, mais réalise les plans du département d’État.
Au Proche-Orient, la Ligue arabe et en son sein le Conseil de coopération du Golfe sont les organisations régionales les plus adaptées pour relayer l’autorité de Washington. À l’origine, la Ligue était dominée par un directoire composé de l’Arabie saoudite, de la Syrie et de l’Égypte. Il n’est évidemment pas question pour le département d’État de réactiver ce triumvirat puisque la Syrie est aujourd’hui le seul État arabe à incarner la résistance à l’impérialisme. À la place Condoleezza Rice a imaginé un directoire Arabie saoudite-Jordanie-Égypte, dans lequel la monarchie hachémite jouerait un rôle au Levant, la dynastie Moubarak aurait le contrôle de l’Afrique du Nord et de l’Est, et la monarchie saoudienne à la fois le contrôle du Golfe et la présidence de l’ensemble.
Pour être réalisable, ce plan suppose d’ostraciser préalablement la Syrie, ce à quoi s’emploie Condoleezza Rice depuis plusieurs années avec le soutien de la fraction la plus dure des néoconservateurs. Pour ce faire, Damas a été tour à tour accusé d’occuper le Liban (alors que son armée s’y était déployée avec l’accord, sinon à la demande, de la communauté internationale), d’avoir assassiné l’ancien Premier ministre Rafic Hariri (alors que les Assad avaient encouragé les Hariri à piller le Liban), et aujourd’hui de bloquer l’élection du président libanais (alors que le blocage résulte du refus du gouvernement de facto de céder à la majorité populaire). Or, il se trouve que, en vertu de l’ordre alphabétique en langue arabe, la présidence de la Ligue échoit cette année… à la Syrie.
Le boycott
Dans un premier temps, le département d’État a envisagé d’humilier la Syrie à domicile. Les États membres de la Ligue seraient venus au sommet de Damas pour y mettre le président Bachar el-Assad en accusation. Mais ce rêve a tourné court lorsque Condoleezza Rice a compris qu’aucun dirigeant arabe ne se prêterait à ce jeu. À défaut, le département d’État s’est rabattu sur une seconde option : organiser le boycott du sommet.
C’est dans ce contexte que le vice-président Dick Cheney a pu garantir à Riyad sa part du gâteau irakien. La loi électorale publiée il y a quelques jours devrait sans surprise renforcer considérablement le poids des sunnites pro-saoudiens au Parlement irakien, le 1er octobre prochain et, partant de là, dans le gouvernement irakien. En contrepartie, le roi Abdallah a été prié de boycotter le sommet de Damas, bien qu’il soit le président sortant de la Ligue. Riyad a ordonné à ses clients libanais (Saad Hariri a la double nationalité libanaise et saoudienne et représente les intérêts des Séoud au pays du Cèdre) de s’aligner sur son mot d’ordre. En l’absence d’un président élu et d’un Premier ministre reconnu par tous, le Liban aurait dû être représenté par le second personnage de l’État, le président de l’Assemblée nationale, dont l’autorité est acceptée par toutes les parties. Mais le gouvernement de facto de Fouad Siniora (ancien fondé de pouvoir des sociétés du clan Hariri) y a fait obstacle.
La Jordanie n’a pas été difficile à convaincre. Il y a déjà longtemps qu’elle sert de base arrière aux opérations secrètes israélo-US contre la Résistance libanaise, au point qu’une rumeur grandissante l’accuse d’avoir trempé dans plusieurs assassinats dont ceux du général François Hajj (Courant patriotique libre, « aouniste ») et d’Imad Mugnihey (Hezbollah), les deux figures clés de la Résistance militaire.
Le cas de l’Égypte fut probablement plus délicat à négocier. Quel que soient les circonstances, l’Histoire a montré que Le Caire et Damas ne sont jamais aussi forts que lorsqu’ils sont unis. Le président Moubarak sait qu’il affaiblit inutilement son pays en jouant la confrontation. Cependant il a besoin du soutien politique de Washington pour valider sa succession dynastique et de son aide matérielle pour atténuer les conséquences dramatique de l’ouverture sans restriction du pays à la globalisation économique.
A contrario, la Fédération de Russie voit d’un mauvais œil la création d’un directoire régional Arabie saoudite-Jordanie-Égypte qui écarterait son influence hors du Proche-Orient. D’autant que la Syrie est devenue en peu de temps son principal partenaire économique et militaire dans la région. Des facilités portuaires viennent même d’y être mise à sa disposition pour accueillir sa nouvelle et puissante flotte de Méditerranée. Tandis que les joint-ventures russo-syriennes se multiplient. En outre, le Kremlin est excédé par le comportement états-unien et son chapelet de promesses non tenues. C’est sur la base d’un accord convenu lors de la publication du NIE sur le nucléaire iranien (c’est-à-dire de la délégitimation d’une guerre contre l’Iran) que Moscou avait soutenu la conférence d’Annapolis ; et c’est sur la base d’un accord négocié par l’amiral William Fallon et ses amis en vue d’un désengagement militaire régional US que Moscou avait voté la résolution 1803 élargissant les sanctions contre l’Iran. Mais aucun des engagements de Washington n’a été respecté : la conférence de paix prévue en Russie (« Annapolis II ») a été renvoyée aux calendes grecques, et le retrait des GI’s d’Irak devrait s’interrompre au niveau où il était avant l’escalade (surge).
Aussi le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et son ministre délégué Alexander Sultanov ont-ils fait eux aussi le tour des capitales arabes, mais pour éteindre l’incendie allumé par leurs homologues états-uniens. Ils ont certainement joué un rôle considérable pour convaincre les monarchies du Golfe de ne pas participer au plan états-unien. La Russie a multiplié les fuites pour que nul n’ignore la continuation des préparatifs de guerre US contre l’Iran. Tandis que les diplomates russes n’ont pas manqué une occasion de rappeler à leurs interlocuteurs que, si l’Arabie saoudite souffrirait peu d’une guerre US-iranienne, les petites monarchies du Golfe pourraient en faire les frais, voire en mourir. Quant au président Vladimir Poutine, il s’est personnellement chargé de dire à son homologue égyptien tout le mal qu’il pense du plan états-unien, mais Hosni Moubarak n’a guère de marge de manœuvre.
Les manœuvres de coulisse ont continué jusqu’à la dernière minute. La plus spectaculaire aura été l’annulation in extremis de la participation du président du Yémen, alors qu’Ali Abdullah Saleh avait plusieurs fois confirmé publiquement son intention de venir à Damas. Les télévisions arabes ont saisi la déception qui se lisait sur le visage du président Bachar el-Assad, venu accueillir ses hôtes à l’aéroport, lorsqu’il a vu sortir de l’avion libyen et s’avancer vers lui un simple collaborateur du président. Il avait conçu la dynamique du sommet autour du président Khadafi qui paraissait lui aussi avoir finalement cédé aux pressions. Mais celui-ci, toujours facétieux, sortit un peu plus tard de l’avion pour le plus grand soulagement de ses amis syriens.
Hospitalité syrienne
Damas avait mis les petits plats dans les grands pour recevoir dignement les dix chefs d’État (Algérie, Autorité palestinienne, Comores, Émirats arabes unis, Koweit, Libye, Mauritanie, Qatar, Soudan, Tunisie) qui, bravant les menaces de l’Oncle Sam, l’honorait de sa présence. Et avec un sens tout arabe de l’hospitalité, il accordait à chacun la même attention, des riches Émirats aux pauvres Comores. De plus, de nombreux États non-arabes et des organisations internationales avaient dépêchés des observateurs de haut niveau, du ministre indien des Affaires étrangères au président Oumar Konaré pour l’Union africaine.
Craignant un sabotage, la Syrie avait déployé tous les agents de sécurité dont elle disposait. L’aéroport de Damas avait été fermé au trafic civil et réservé aux délégations officielles. Le centre de conférence, situé à l’extérieur de la capitale, avait été entouré d’une zone de sécurité de plus de 6 kilomètres de rayon où toute circulation était interdite. Des check-points en série filtraient les visiteurs de manière courtoise et néanmoins draconienne. Ces mesures n’ont peut être pas été inutiles. Une tentative terroriste aurait été discrètement déjouée et le sommet a pu se tenir sans encombre.
En outre, la présidence du sommet avait installé un centre de presse —à bonne distance du lieu de la conférence pour protéger leurs altesses des paparazzi—, doté d’un millier de lignes téléphoniques pour la presse écrite et de toutes les facilités pour les centaines de radios et de télévisions satellitaires couvrant l’événement. Atteint d’un étrange complexe d’infériorité, le ministère de l’Information n’osait pas distribuer de dossier de presse aux journalistes de peur d’être accusé de ne pas avoir rompu avec les vieux comportements de la propagande baasiste.
Les travaux
Les sommets de la Ligue arabe ressemblent à des réunions de famille. Il y a des absents (le roi du Maroc et le sultan d’Oman ne se déplacent jamais en personne), des retrouvailles, et souvent aussi des crises de nerfs (au cours de la plupart des sommets une délégation a quitté la table avant la fin de la réunion). On y décide rarement quoi que ce soit. À cet égard le sommet de 2002 à Beyrouth, au cours duquel fut adoptée l’initiative arabe de paix, est une exception. Personne n’attendait donc grand chose des débats eux-mêmes. Le sommet sonnait déjà comme un défi à l’impérialisme états-unien et à ses second couteaux, le Royaume-Uni et la France sarkozyenne, qui s’étaient l’un et l’autre fendus d’une déclaration venimeuse. Et pourtant, peut-être à cause de cette pression étouffante, cette fois les délibérations ont donné lieu à un net rapprochement des positions.
En ouvrant la séance inaugurale retransmise par des dizaines de chaînes de télévision arabes, Bachar el-Assad se garda bien de remercier la présidence sortante, l’Arabie saoudite. Il prononça un discours bref et sobre recentrant la problématique de la Ligue sur la question de la paix face à Israël, dans des termes acceptables par tous les membres de la Ligue à quelque niveau qu’ils soient représentés (ou absent dans le cas particulier du Liban). Il rappela à tous que les États arabes sont sur le même bateau et sont contraints de s’unir pour se sauver.
Parmi les orateurs suivants, l’intervention de Mouammar Khadafi était la plus attendue, à la fois parce qu’il faisait sa rentrée à la Ligue après une période d’absence, et aussi à cause de son goût prononcé de la provocation. L’assistance, et surtout les téléspectateurs, ne furent pas déçus par le show. Prenant la parole au seul titre de son pays, mais à l’évidence de concert avec Bachar el-Assad, le président libyen utilisa sa liberté de parole pour dire ce que le statut de président de séance interdisait à son ami syrien d’évoquer. Avec un indéniable talent d’acteur et une dose de cabotinage, Khadafi passa en revue tous les sujets de l’ordre du jour, les traitant avec dérision. Ainsi, il invita ses homologues à soutenir la dénucléarisation de la région faute de quoi, souligna-t-il grinçant, nous nous détestons tellement que nous feront usage de la bombe atomique les uns contre les autres au lieu de la diriger contre nos ennemis. Il brocarda Mahmoud Abbas et ses constantes reculades face à Israël en se moquant du « héros d’Oslo » (c’est en effet lui et non Yasser Arafat qui signa le vain Accord d’Oslo) et en le comparant à Anouar el-Sadate (qui trahit la cause arabe en signant une paix séparée égypto-israélienne). Surtout Khadafi mit ses interlocuteurs en garde : nous sommes cuits, nous y passerons les uns après les autres, déclara-t-il en substance. Nous avons laissé envahir un État souverain membre de notre Ligue sans réagir. Nous sommes tous devenus pro-US, moi y compris, en pensant nous protéger. Mais Saddam Hussein était l’ami de Dick Cheney, comme nous, et ils l’ont pendu ! Le soir, la rue arabe bruissait des boutades de Khadafi. Mais je peux attester que dans la salle du conseil où je me trouvais, les chefs d’États eux aussi riaient de bon cœur, à l’exception de Mahmoud Abbas, impassible.
La suite des travaux eut lieu comme de coutume à huis clos. Il fut convenu de ne pas aborder la question libanaise en l’absence de la délégation concernée. Sur ce point, on en resta donc à la position antérieure de la Ligue et à son flou artistique. Sur les autres sujets, les chefs d’État et de délégation s’exprimèrent avec calme et franchise. Au delà de l’aspect diplomatique que j’ai exposé plus haut sur l’égalité entre les États membres, la question principale était de savoir si la Ligue se positionnait par rapport au projet israélo-US et au projet irano-syro-Hezbollah-Hamas. En définitive, elle l’a fait clairement dans la déclaration finale que même Mahmoud Abbas a approuvée bien qu’elle désavoue toute sa politique. Reprenant les principes de la conférence de Madrid, la Déclaration de Damas stipule d’une part que le retrait israélien des territoires conquis en 1967 est un préalable à la paix et non pas un élément de négociation ; et d’autre part, réaffirme le droit international explicité par les résolutions de l’ONU : création d’un État Palestinien souverain avec Jérusalem comme capitale, inaliénabilité des droits des Palestiniens ; bref que la Ligue s’oppose à la politique israélienne du fait accompli.
Bien sûr, les déclarations de la Ligue arabe doivent être prises pour ce qu’elles sont : des déclarations d’intention que la plupart des États n’ont pas les moyens de mettre en œuvre. Quoi qu’il en soit, cet acte final marque une radicalisation collective de gouvernements qui n’attendent plus rien de bon de la part de leur suzerain états-unien. De ce point de vue, la Déclaration de Damas marque un tournant dans une longue histoire riche en rebondissements et manifeste une volonté nouvelle d’émancipation politique. Les États arabes présents, qui jusqu’ici courtisaient Washington pour trancher leurs différents, ont assimilé les propos de Bachar el-Assad et Mouammar Khadafi que l’on pourrait résumer par la formule « Les Etats-Unis sont un allié qui nous veut du mal ».
L’après-sommet
Toutefois, chassez le naturel et il revient au galop. À peine le sommet clos, Mahmoud Abbas filait en Palestine occupée faire son rapport à Condoleezza Rice des débats tenus à huis clos. La secrétaire d’État états-unienne avait fait le déplacement au Proche-Orient pour être informée sans délai et juger l’ampleur de son échec. Tandis qu’à Paris où l’on craint d’en avoir trop fait, et à Bruxelles où l’on se demande si le vent ne serait pas en train de tourner, la France et l’Union européenne mettaient en place des cellules de suivi pour évaluer les conséquences de ce triomphe diplomatique syrien.
Damas, qui avait été mis au ban des nations, se trouve chargé de nombreuses initiatives de la Ligue pour l’année à venir. La Syrie est donc réintroduite dans le jeu international par la force des choses. De plus, son action a toutes les chances d’être durable puisque l’année prochaine, la présidence reviendra au Qatar, un État modéré, mais pas au sens occidental. Cheik Hamad, toujours aimable avec les États-uniens, a néanmoins défendu pied à pied la cause arabe au Conseil de sécurité et il a épongé les factures du sommet de Damas, un peu coûteux pour la Syrie.
À vrai dire, les États-Unis ne sont pas les seuls perdants de ce boycott raté et la Syrie n’est pas le seul gagnant. Les régimes saoudien, jordanien et égyptien se sont discrédités aux yeux de leurs opinions publiques et leur échec pèsera en politique intérieure. La Libye au contraire sort renforcée, d’autant qu’en s’appuyant sur l’Union africaine, elle vient d’aider les Comoriens à libérer l’île d’Anjouan et à en chasser le dictateur proche de Nicolas Sarkozy qui s’en était emparé. Alors que les délégations se retiraient, Bachar el-Assad échangeait quelques mots avec des journalistes. Répondant à une question de Scarlett Haddad, correspondante de l’hedomadaire français L’Express, qui lui demandait ce que la Syrie comptait faire pour aider les Libanais à sortir de la crise institutionnelle, le président syrien répondit avec un humour détaché : « Nous ? Rien. Nous ne nous en mêlons plus. Nous avons confié le dossier aux Comores », sous-entendu, eux leur montreront comment se libérer des Français.
Thierry MeyssanAnalyste politique, fondateur du Réseau Voltaire. Dernier ouvrage paru : L’Effroyable imposture 2 (le remodelage du Proche-Orient et la guerre israélienne contre le Liban).
Le boycott et la justice
18-03-2008
Les bombes tombent sur la Palestine occupée et les liquidités pleuvent sur les institutions financières qui ont spéculé sur des titres adossés aux prêts hypothécaires étasuniens.Dans le premier cas, toutes les tentatives de nettoyage ethnique des territoires progressivement annexés dans les faits par l’entité sioniste ne réussiront pas à réduire le Peuple Palestinien, ni à faire disparaître dans le geste négationniste la plus scandaleuse et la plus organisée des colonisations du vingtième siècle : la Palestine.Dans le second cas, les interventions répétées de la Fed non seulement n’empêcheront pas la récession mais en la retardant, l’amplifie. Elle a décidé d’accorder des libéralités de plus en plus extensives aux organismes de crédit et aux banques qui ont enferré des citoyens à faible et très moyens revenus précaires dans des dettes à amortissement négatif, comme la baisse du taux d’escompte à 3,25 un dimanche sans attendre la réunion du mardi, et de porter l’échéance des prêts par la Fed à 90 jours au lieu des 30 jours actuellement. La Banque centrale étasunienne qui essaie de lutter contre l’assèchement du crédit (il y a deux semaines, l’Autorité du port de New York non susceptible d’être mal cotée comme emprunteur pour financer des investissements a obtenu un taux de 20%) demande aux institutions de les garantir contre des titres mélangeant les plus sûrs AAA et d’autres, les douteux, donc ceux mêmes à l’origine de la crise. Le dispositif de sauvetage qui consiste à échanger le quart des Bons du Trésor étasuniens contre des créances immobilières privées a renforcé l’accélération de la chute de la valeur du billet vert. Toute créance immobilière est désormais suspecte, et tout investisseur exige pour son rachat direct ou indirect une prime de risque considérable.Lorsque l’euro vaudra 1,6 dollar dans quelques jours ou quelques semaines, la monnaie européenne aura doublé sa valeur en moins de six années.Cette baisse incontrôlée, au profit d’une répartition sur le citoyen du risque pris par les spéculateurs, et incontrôlable est en voie d’asphyxier l’économie européenne.Les agences occidentales régulatrices de la monnaie ont inventé le socialisme pour les très riches. Elles encourageaient il y a peu les spéculations des acteurs de la haute ingénierie financière en s’interdisant tout contrôle au nom de la Liberté chère à Reagan-Bush, prennant de l’argent public, l’impôt du contribuable, afin d’éponger leurs opérations qui auraient dû provoquer leur faillite.Le Venezuela a annoncé son intention de commercialiser son brut en euros.Cette décision ne semble plus idéologique mais procède du simple bon sens de la ménagère.À quand une décision concertée de tous les exportateurs qui se sont liés les poings et les pieds dès la fin de la seconde guerre mondiale au billet vert de se faire payer dans une monnaie qui ne soit pas de singe ? Même affiché à 110 dollars le baril, la chute quotidienne sans parachute de l’instrument d’échange rend dérisoire cette cotation.La visite de Cheney de 9 jours dans l’Orient Arabe porte en elle les suppliques et les menaces vis-à-vis des dirigeants de l’OPEP qui décideraient d’un décrochage.La guerre en Afghanistan-Irak-Palestine du remodelage du Moyen-Orient est en train de coûter des sommes astronomiques, si astronomiques qu’elle en sont fictives car que veulent dire trois mille ou sept mille milliards pour un pays qui a un déficit budgétaire de 60% son PNB, plus que ce que le FMI concède aux pays « en voie de développement » et qui ne réglera jamais sa dette ?La France peut glorifier sous toutes ses formes l’entité sioniste criminelle, au Salon du Livre ou en accueillant la sinistre police des frontières opérant dans les check-points pour récolter des fonds, la cause palestinienne pourtant dépourvue des voix intellectuelles dignes de ce nom qui la portent sur la scène mondiale est de plus en plus entendue.Le boycottage des maisons d’édition arabes du Salon du Livre de Paris a porté ses fruits. C’est ainsi que fut portée la contradiction au consensus mou sur la fable de la neutralité de la culture en matière de politique. Des centaines de millions d’anonymes portent la Palestine blessée dans leur cœur tant qu’elle ne pourra se poser sur sa Terre aujourd’hui confisquée.Les centaines de manifestations dans le monde, parfois durement réprimées comme en Tunisie ou en Égypte, en sont un très modeste témoignage.Le spleen baudelairien, le romantisme du désespoir inventés au 19ème siècle et qui ont resurgi en fin du vingtième sous la forme de No Future anarcho-punck étaient l’indice d’une société bourgeoise industrielle qui sacrifiait la paysannerie en la transformant en lupen prolétariat agrégé autour des villes, dans les banlieues, et l’absence d’issue aux intellectuels de la classe moyenne.Les états d’âme des juifs israéliens hébreuphones, soit le cynisme fondé sur un suprématisme du Juif comme Élu ou le début du questionnement sur le bien-fondé d’une occupation militaire qui spolie les Palestiniens le jour et hantent les nuits des Israéliens selon l’expression d’Élias Sambar, sont inscrits dans un contexte politique particulier et le reflètent.L’éditorialiste littéraire du Haaretz l’a dénoncé là où il a pu le faire.Les écrivains israéliens dont ont été exclus les russophones, 20% de la population, et les arabophones, 25% des citoyens d’Israël sans la nationalité puisque non juifs, ont dû signer un contrat les engageant à ne pas « médire » en réalité dire la vérité sur Israël en échange de leurs frais de voyage.N’ont-ils donc pas été payés ainsi pour faire de la propagande ?Cela rappelle les pires et plus sombres heures de l’histoire européenne récente.Honte aux participants qui ont ignoré qu’Israël pratique des crimes de guerre et l’apartheid.Des Tahar Benjelloun par exemple se sont irréversiblement tâchés de complicité.Tant pis pour eux, des Alain Krivine, Ilan Pappe, Aharon Shaptaï ont sauvé à cette heure l’honneur des intellectuels et ont servi la cause universelle de la Palestine et de la justice.Convergence des Causes18 mars 2008