ELWATAN-ALHABIB
lundi 28 octobre 2019
 

Contribution

Bons baisers de Russie











 
27 OCTOBRE 2019 À 10 H 10 MIN
 
C’est donc un chef d’Etat virtuel chargé de protéger le pays des ingérences extérieures qui est allé à Sotchi «rassurer» le président russe sur la situation qui prévaut dans la province méridionale de l’empire des tsars. Comme s’il était encore utile de souligner le déphasage géostratégique du pouvoir algérien, l’allégeance a été faite dans une réunion censée inviter les dirigeants du continent africain à se libérer des réflexes de soumission hérités de l’ère post-coloniale !
«Si j’ai demandé à vous rencontrer, c’est pour vous rassurer sur la situation en Algérie qui est maîtrisée… Il y a quelques éléments qui sortent dans la rue pour brandir des slogans…», a bredouillé benoîtement un Bensalah venant d’un pays sans lois ni pouvoir légal et où les manifestations quasi quotidiennes entament leur neuvième mois. Comble d’indigence politique, la baliverne a été servie à un président qui se trouve avoir fait ses classes dans le KGB !
Les Algériens se souviennent du fameux «chahut de gamins» lancé sur une radio française par le responsable de l’Amicale des Algériens en Europe après le soulèvement d’Octobre 1988 qui avait fait près de 600 morts parmi la jeunesse.
Comme dirait notre humoriste national Fellag, chez nous, quand on touche le fond, on ne remonte pas, on creuse. Cette fois, ce n’est pas un apparatchik de seconde main qui est l’auteur de mesquineries cherchant à amadouer les tutelles étrangères pour survivre en payant des prix économiques et diplomatiques exorbitants ; le fautif est celui qui est posé à la présidence pour représenter la nation.
Le rapport du proconsul Bensalah a suscité une légitime indignation en Algérie. Des citoyens qui ont gardé leur sang-froid se sont vengés par la dérision.
Cependant, la plupart des observateurs n’ont retenu que l’ironique sourire en coin de Poutine, oubliant le contenu verbal de sa réponse. Il est pourtant lourd de sens. Voici le message.
«Nous savons que des événements très importants sont en cours en Algérie. Nous souhaitons sincèrement que le peuple algérien surmonte les difficultés de la période de transition». On est loin de «la situation maîtrisée» et exit l’élection. Une lecture politique, même faite au premier degré, ne laisse aucun doute sur l’évolution de la position russe qui appuyait encore l’idée du scrutin présidentiel il y a à peine quelques semaines. Politiquement, Moscou s’aligne sur Ottawa, Paris ou Berlin qui ignorent l’échéance du 12 décembre pour en appeler à «la période de transition» revendiquée dès le mois de février par les Algériens.
Deuxième claque, diplomatique celle-là, Poutine ne s’adresse pas aux dirigeants ni même à l’Algérie, mais «au peuple algérien» ; c’est-à-dire aux «éléments qui sortent dans la rue pour brandir des slogans». Suprême humiliation, lors de la séance de présentation rassemblant les chefs d’Etat africains, le protocole a relégué l’ancien protégé de Moscou à l’extrémité gauche de la photo officielle.
Il ne s’agit pas ici de s’adonner à des analyses subtiles du discours et des cérémonies russes comme le faisaient les kremlinologues du temps de la défunte Union soviétique. Mais passer de la position d’allié stratégique privilégié à celui d’invité accidentel a du sens dans un régime où l’exposition protocolaire est un des codes les plus usités pour signifier la déchéance ou un retour en grâce d’un dirigeant national ou d’un partenaire étranger. Pour le reste, Poutine n’a jamais revendiqué le profil d’un libéral s’embarrassant de fioritures en matière de régularités procédurales ou même de légalisme. Il s’affiche comme un pragmatique qui vise à reconstruire un empire dévasté par soixante-dix ans de communisme et qui, sur la scène mondiale, cherche à renforcer ses alliances et points d’appui géopolitiques au Sud. Avec quelques succès, il faut en convenir, si l’on suit la façon dont il a pesé sur la très complexe crise syrienne.
Si le maître du Kremlin avait vu la moindre possibilité de réussite dans le choix électoral de l’armée algérienne, il s’y serait engouffré sans état d’âme. Favoriser un régime historiquement proche, qui plus est se trouve être un des principaux clients de son complexe militaro-industriel vaut bien quelques entorses à la transparence du vote et aux libertés publiques qui, de toutes façons, ne figurent pas au premier rang des préoccupations de Moscou. L’ancien membre du KGB qu’est Vladimir Poutine a pris le risque d’éconduire son affidé de façon aussi cavalière parce que, désormais, pour lui aussi, la proximité avec des militaires conspués chaque jour est devenue trop encombrante. Ces derniers n’ont pourtant ménagé aucun effort pour demeurer dans le giron moscovite. Les responsables de l’armée algérienne ont, en effet, préféré dispenser leur Spectre* de la cérémonie de prestation de serment du nouveau président tunisien, lequel s’était, en vain, empressé d’afficher sa disponibilité envers l’Algérie. Les faibles énergies de Bensalah, si elles devaient être sollicitées, ne le seraient que pour des relations vitales pour un pouvoir seul au monde ou quasiment. C’est dire si le soutien de Moscou est important pour Alger.
Cette fois, la désillusion est à la mesure des dividendes attendus dans cet ultime pèlerinage. Délivrée dans un cénacle regroupant les grands pays africains, la réaction du président russe résonne comme un faire-part funéraire adressé à la communauté internationale. L’ostentatoire prise de distance de Moscou marque un tournant dans la politique de fuite en avant de l’état-major de l’ANP qui a toujours considéré la couverture du Kremlin comme une assurance-vie contre toute autre forme d’isolement diplomatique ou de pression politique.
Il reste à Gaïd Salah les aléatoires complicités de pétromonarchies dont on sait qu’elles ont été récemment chargées par le tuteur américain de décliner une offre de service algérienne qui consistait à proposer d’installer en Algérie un autre Sissi. Bien maigre surface d’adossement.
Certes, il faut toujours demeurer prudent face aux stratégies du régime de Poutine. Mais si ce désaveu n’était pas démenti par une spectaculaire volte-face dans les prochains jours, il ne manquera pas d’impacter la scène nationale, à commencer par les appréhensions qu’il induira dans les rangs d’une institution militaire assurée d’un soutien sans faille de Moscou depuis 1962. Même conjoncturel, le retrait de confiance de Poutine occasionne une fragilité supplémentaire à l’état-major dans la mesure où son dernier et plus important protecteur exprime publiquement pour ne pas dire officiellement son doute quant à sa durée de vie et hésite sur la suite à donner à ce qui est bien perçu par toutes les grandes nations comme un cadavre politique. Cette nouvelle donne met déjà la révolution en situation de devoir anticiper une rupture que le peuple algérien appelle de ses vœux.
Cela veut dire qu’en plus des marches, d’autres luttes pacifiques, longtemps inhibées par la bien-pensance et l’attentisme de certaines élites, vont enfin placer le combat à la mesure des exigences de la rue. A ce propos, on ne saluera jamais assez la position du commandant Bouregâa qui, honorant son combat d’hier, a refusé de reconnaître la justice d’un pouvoir illégitime. Il en est de même pour l’appel lancé par les syndicats pour une grève générale programmée pour la fin du mois. Prolongeant les concerts nocturnes de pilons et de klaxons du jeudi, ces deux décisions placent enfin la stratégie révolutionnaire au niveau des attentes citoyennes démontrant, dans le même temps, aux partenaires étrangers qu’en dehors de la souveraineté du peuple rien ni personne ne peut engager le destin algérien. Une perspective historique s’esquisse de façon quasi messianique. Le fait que le 1er novembre tombe un vendredi est déjà vu par nos concitoyens comme un don du ciel. Le déclenchement, le déroulement et l’issue des révolutions dépendent généralement de considérations historiques et sociologiques spécifiques à une époque donnée dans la vie d’un peuple.
Des facteurs sociaux, politiques et culturels objectifs ayant longtemps sédimenté dans les combats antérieurs leur confèrent leurs rythmes et leurs méthodes. De ce point de vue, la révolution actuelle ne fait pas exception ; elle est la réplique majeure de sacrifices de plusieurs générations qui ont conçu et porté le projet démocratique national. Mais quand la dimension symbolique de l’Histoire vient stimuler les luttes, elle joue toujours un rôle de catalyseur. Dans ces moments privilégiés, les ferveurs populaires se transforment alors en dynamiques libératrices.
Ce ne sera pas la première fois que le peuple algérien se choisit un 1er novembre pour précipiter son émancipation d’un ordre politique anachronique et absolutiste
Par Saïd Sadi
 
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