ELWATAN-ALHABIB
dimanche 25 août 2019
 

Règlements de compte entre les généraux algériens










Les généraux algériens, confrontés depuis février à une vague de contestation sans précédent, étalent désormais leurs différends sur la place publique.
Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major depuis 2004 et véritable « homme fort » de l’Algérie
Cela fait désormais six mois que des défilés sillonnent chaque vendredi des dizaines de villes d’Algérie pour exiger une authentique transition démocratique. Ce mouvement, désigné sous son appellation arabe de Hirak, n’a pas faibli depuis la démission, le 2 avril, du président Bouteflika, au pouvoir depuis vingt ans. La contestation a contraint le chef d’état-major, le général Gaïd Salah, à s’afficher en détenteur effectif de l’autorité exécutive, surtout depuis qu’Abdelkader Bensalah, nommé pour un intérim de 90 jours à la tête de l’Etat, a été maintenu à ce poste à l’expiration de cet intérim, le mois dernier. Les généraux algériens, ainsi privés de paravent civil à leur arbitraire d’Etat, en viennent à porter leurs différends sur la place publique, une première dans un pays où les querelles entre factions militaires se réglaient plutôt en coulisses.
LA CHUTE DU « SEIGNEUR DE L’ALGERIE »
Les Algériens qualifient de « décideurs » les plus puissants des généraux qui exercent de fait l’autorité dans leur pays. Ce terme de « décideurs » s’est popularisé, en 1992, après le renversement du  président Chadli Bendjedid par un groupe de généraux. Les putschistes étaient menés par le ministre de la Défense, Khaled Nezzar, et le chef des renseignements militaires, « Toufik » Mediene. Ces « décideurs » refusaient les concessions envisagées par Bendjedid envers les islamistes, mais ils ont pris soin de demeurer dans l’ombre. Ils n’avaient ainsi pas à assumer publiquement la responsabilité du coup d’Etat, puis de la guerre civile qui en découla. Ils ménagèrent leur pouvoir et leurs intérêts durant la « décennie noire », avant de se rallier en 1999 à la formule Bouteflika, si profitable pour eux qu’ils la reconduisaient depuis tous les cinq ans.
Le général Gaïd Salah, nommé chef d’état-major en 2004, n’a pas participé directement au renversement de Bendjedid. Et il a dû longtemps s’incliner face à « Toufik » Mediene, surnommé le « seigneur de l’Algérie », du fait de l’omnipotence de sa police politique. Mediene ne quitte qu’en 2015 la tête des renseignements militaires, confiés à un de ses anciens adjoints, « Bachir » Tartag, et partiellement démantelés. Gaïd Salah, le chef désormais incontesté des « décideurs », met tout son poids en faveur de la réélection de Bouteflika pour un cinquième mandat. C’est l’humiliation d’un tel diktat qui, depuis le 22 février 2019, jette des millions d’Algériennes et d’Algériens dans la rue. Dans l’espoir d’endiguer la vague de la contestation, Gaïd Salah lui sacrifie le président de la République, dont aucune nouvelle n’a filtré depuis sa « démission ». Mais c’est encore trop peu et trop tard, d’où le coup de théâtre de l’incarcération, le 4 mai, de Mediene et de Tartag, ainsi que de Saïd Bouteflika, le frère du président déchu. Ils sont tous les trois transférés à la prison militaire de Blida sous l’accusation de « complot contre l’autorité de l’Etat », une accusation passible de la peine de mort.
PLEINS FEUX SUR LA « BANDE »
Gaïd Salah charge de tous les maux de l’Algérie la « bande » qui aurait prospéré sous Bouteflika, en collusion avec les renseignements militaires, quadrillant le pays pour mieux le piller. Il se pose lui-même, face à un telle « bande » et à la tête des forces armées, en rempart de l’intégrité et des intérêts de l’Algérie. Il lance une vaste purge qui, au nom de la lutte contre la corruption, frappe deux anciens Premiers ministres, des membres de leur gouvernement, de nombreux officiels et certains des hommes d’affaires les plus en vue du pays. Il prétend ainsi avoir répondu aux aspirations populaires de neutralisation de la « bande » et, cet objectif étant réalisé, il appelle au « retour progressif au calme ». Les manifestants dénoncent une manoeuvre à leurs yeux grossière, où Gaïd Salah se saisirait du Hirak pour régler ses comptes avec ses rivaux, sans rien amender de l’arbitraire militaire en vigueur.
Nezzar, ministre de la Défense de 1990 à 1993, est convoqué comme témoin par la cour militaire de Blida, où il accrédite la thèse d’un « complot » ourdi par Mediene et Tartag. Il se retrouve pourtant, depuis le 6 août, inculpé lui aussi de « complot », ce qui justifie le lancement d’un mandat d’arrêt international, car il s’est dans l’intervalle réfugié en Espagne. Le retournement est spectaculaire de la part du régime algérien, qui avait soutenu Nezzar lors de la procédure ouverte contre lui en Suisse pour des « crimes de guerre » commis durant la « décennie noire ». Un tel retournement s’expliquerait par des attaques lancées, sur un compte twitter attribué à Nezzar, contre la personne même de Gaïd Salah. Il révèle en tout cas la virulence des tensions que cache l’unanimité de façade des « décideurs ».
Akram Belkaïd, un des plus fins analystes de la scène algérienne, voit dans cette affaire la preuve d’une « désagrégation » du système en place, même s’il n’écarte pas le risque d’une « manipulation ». Et il reprend à son compte le « message clair des manifestants: continuez à vous déchirer, nous continuerons à manifester et à militer pour une Algérie nouvelle ». Car il est bien révolu le temps où la chute de telle ou telle figure, même galonnée, pouvait suffire à étouffer la protestation.
 
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