Qu'on coure après le temps ou qu'on cherche à le tuer, l'attente est irrémédiablement au cœur du décor que plante la nouvelle réalité politique en Algérie. Chacun attend que quelque chose bouge chez l'autre pour espérer un bond en avant. Or, les choses restent malheureusement en l'état et tout le monde stagne, comme se complaisant dans l'expectative. Le chef d'état-major Gaïd Salah attend que le peuple l'entende et suive ses directives pour qu'il puisse satisfaire toutes ses revendications et le peuple attend que Gaïd Salah l'entende et suive ce qu'il propose pour se débarrasser d'un système qu'il ne peut plus supporter. Puis, ceux qui ont été récemment incarcérés attendent, sans doute, qu'on les relâche et le peuple attend, à son tour, qu'on les condamne et jette le reste «des vampires» au cachot.
Si le grand chef militaire en tenue léopard semble marquer, en quelque sorte, le point auprès de l'opinion publique par cette opération «mains propres», il n'en reste pas moins peu convaincant sur les démarches à venir, notamment celle de l'élection présidentielle du 4 juillet prochain. Saisi de ce que les anciens nommaient «la sainte colère» contre ceux qui sont accusés de fomenter un coup contre l'autorité de la grande muette et contre ces masses révoltées qu'il somme de «se raisonner» et d'accepter manu militari son calendrier, le général n'a dans son esprit qu'une chose : il est le maître de la maison et le garant légal de la Constitution. A ce titre, ses décisions sont irrévocables et il est impensable, voire impossible de «virer tout le monde», comme le réclament bien les millions de manifestants qui descendent dans la rue chaque semaine.
En revanche, celles-ci pensent qu'il hallucine ou qu'il vit dans un autre monde car il ne sait pas, prétendent-elles, l'état réel où se trouve le pays, ravagé par l'épidémie de la peste instillée dans son corps par les prédateurs et les corrompus de tout bord. En suspension, le temps plonge dans le vide et toute la nation attend, en vain, dans un lac de perplexité, avec ce goût amer des nuits blanches dans la bouche, une issue possible à la crise. Puis, étant donné le nombre incalculable d'hypothèses fantaisistes débitées par les médias et les analystes qui pullulent sur les plateaux-télé, le peuple, trop las des paradoxes ennuyeux des pronostics, regarde sans cesse sa montre et compte les jours qui restent à Bensalah, le dernier des Mohicans du clan des vampires, pour faire son solde de tout compte des corrompus.
C'est du temps gagné sur la mort, ironisent les connaisseurs du labyrinthe du Système et ses dédales. Car, d'après eux, c'est à l'instant où l'on attend plus rien que sonnera le glas d'un système vieux de soixante ans, lequel savait bien jusque-là se renouveler et prendre de la force à chaque tournant, à chaque crise, à chaque échec de la mobilisation populaire contre lui.
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