ELWATAN-ALHABIB
mercredi 18 avril 2018
 

« LA POLICE SECRÈTE GOUVERNE


 TOUJOURS L’ALGÉRIE »








www.la-croix.com
Recueillis par Marie Verdier , le 03/04/2018
Par Mohammed Hachemaoui, sociologue du politique qui enseigne à Science Po Paris (1),
Cinq ans après l’attaque cérébrale qui a considérablement affaibli le président Abdelaziz Bouteflika, la puissante police politique est plus que jamais aux commandes du pays.

 La Croix : Mais qui gouverne l’Algérie ?

Mohammed Hachemaoui : L’accident vasculaire cérébral qui a foudroyé le président Abdelaziz Bouteflika en avril 2013 a mis à nu le régime en révélant au grand jour les institutions qui gouvernent l’Algérie, à savoir la police secrète, l’État profond. Depuis lors s’est mise en place une narration hégémonique qui fait de Saïd Bouteflika, le frère du président, un « vice-roi » à la tête du « clan présidentiel » et qui prétend à une « déstructuration » et une « décapitation du DRS » (le département du renseignement et de la sécurité), la puissante police politique.

N’est-ce pas crédible ?

M. H. : Pourquoi un président, coopté et reconduit par le DRS malgré sa maladie contractée en 2005, attendrait-il d’être anéanti par un AVC pour s’attaquer au monstre institutionnel qu’est le DRS alors qu’il n’a pas pu le faire pendant les 15 ans de ses trois premiers mandats ? La légèreté de ce récit relayé en boucle fait fi de la grammaire qui structure la politique, à savoir la prévalence du pouvoir informel sur les institutions formelles depuis les fondations de l’Algérie indépendante, depuis la naissance du collège prétorien des « 3B », en référence à Abdelhafid Boussouf (le père de la police secrète), Lakhdar Bentobal (ministre de l’intérieur) et Krim Belkacem (ministre de la défense), le noyau dur des chefs au moment de la guerre d’indépendance. Depuis lors, le chef de l’État n’est que la façade institutionnelle derrière laquelle se cache le pouvoir réel, ce dernier ayant été siphonné par le DRS et son redoutable patron depuis 1990, le général de corps d’armée Mohamed Liamine Mediene alias « Toufik ».

N’a-t-il pas été limogé en septembre 2015 ?

M. H. : Plus de deux ans et demi après, aucun décret certifiant le prétendu « départ » de Mohamed Mediene et la nomination de son successeur, Bachir Tartag, n’a été publié. Or ces décrets sont indispensables pour mettre fin aux fonctions du patron de l’appareil le plus puissant de l’Algérie depuis un quart de siècle et pour asseoir l’autorité de son successeur. Et ce n’est pas parce que la police secrète aurait une nouvelle fois changé d’appellation – DSS ou département de surveillance et de sécurité – qu’elle a été dissoute. L’élément de langage « dissolution du DRS », que la presse a répété en chœur, est trompeur.

Saïd Bouteflika n’a-t-il pas pris les rênes du pouvoir ?

M. H. : Lorsque Saïd Bouteflika a été violemment attaqué dans sa vie privée début 2014, nul n’est venu à son secours. Il n’a même pas pu poursuivre devant la justice ceux qui l’avaient calomnié. Si le frère du président était aussi puissant qu’on le dit, n’aurait-il alors pas pu œuvrer à la nomination de proches aux postes stratégiques ? Au contraire il s’est vu imposer le « quatrième mandat » ainsi qu’Ahmed Ouyahia comme directeur de cabinet de la présidence en 2014 puis comme premier ministre, alors que les relations entre celui-ci et Abdelaziz Bouteflika sont notoirement tendues de longue date. De même, Abdelmoumen Ould Kadour, le PDG depuis avril dernier de la Sonatrach (la société nationale des hydrocarbures) et le ministre des Mines Youcef Yousfi, sont des protégés du DRS. Et la liste est longue.

Qui pour succéder au président Bouteflika ?

M. H. : Le premier ministre Ahmed Ouyahia, comparé par les éditorialistes un mois avant son intronisation aux présidents égyptien Sissi et turc Erdogan, symboles d’un autoritarisme décomplexé dont les pays occidentaux s’accommodent, est désigné de longue date, comme je l’avais déclaré à votre journal lors de la visite du président Hollande à Alger le 15 juin 2015 ! L’agenda diplomatique déroulé par le DRS, aussitôt après l’intronisation d’Ahmed Ouyahia à la tête du Palais du Gouvernement ne laisse aucun doute : visite officielle du premier ministre russe Dimitri Medvedev « à l’invitation » de son homologue algérien en octobre 2017 ; participation du représentant du DRS au 5e sommet Union Africaine-Union Européenne (Abidjan fin novembre 2017) ; escale algéroise très médiatisée d’Emmanuel Macron le 6 décembre 2017 et son tête-à-tête avec le « chef de l’exécutif » Ahmed Ouyahia apportant la caution de Paris au plan de succession post-Bouteflika. Le retour gagnant de Total dans les gisements gaziers algériens donne un petit aperçu de la contrepartie de ce soutien géopolitique.
Pendant la décennie noire, ce « DRS boy » a été imposé au général président Zeroual comme directeur de cabinet de la présidence puis chef du gouvernement de 1994 à 1998, période pendant laquelle il a appliqué avec zèle la feuille de route de la contre-révolution prétorienne néolibérale avec thérapie de choc et contre-insurrection armée. D’où son impopularité ! Il est ensuite ministre de la justice de 1999 à 2003, à l’époque où la politique de l’impunité et de l’amnésie sur les crimes des années 1990 est institutionnalisée. C’est encore lui qui est chef du gouvernement de 2003 à 2006 et de 2008 à 2012 pendant les deuxième et troisième mandats. Et c’est à nouveau lui qui est aux commandes pendant le quatrième mandat. L’élévation du Tamazight comme langue officielle dans la Constitution de 2016 et la décision en janvier dernier de décréter le nouvel an berbère jour férié ont surtout vocation à remédier à l’impopularité et à légitimer en amont l’élection, pour la première fois dans les annales de l’Algérie, du futur président kabyle Ouyahia.

Les « nouveaux oligarques » ne pèsent-ils pas dans la vie politique ?

M. H. : Cette narration fabriquée depuis quelques mois est très fragile. Le DRS, qui a siphonné le pouvoir d’État et institué un capitalisme des copains à l’ombre de la thérapie de choc des années 1990, a hissé sur les décombres des entreprises publiques des magnats dans la grande distribution, l’huile, le sucre, etc. Est-ce un hasard si les acteurs prépondérants de ce capitalisme de copinage, tels CEVITAL et CONDOR et SOVAC, sont aussi proches du DRS ?

La société ne réagit-elle pas ?

M. H. : Depuis la contre-révolution prétorienne et néolibérale des années 1990, la communauté politique a poursuivi son processus de fragmentation et les institutions civiles de l’État et de la société se sont délitées au rythme des assassinats, des purges, des massacres de populations, des départs en exil des cadres, de l’effondrement de l’école et de l’université, etc. Les doutes se confirment sur la mort des moines de Tibhirine Et depuis les soulèvements populaires arabes, la police politique est soucieuse de véhiculer une rhétorique réactionnaire sur la futilité de la révolution et ses risques inhérents de bain de sang. Le DRS algérien est l’héritier de la première contre-révolution prétorienne qui s’est affirmée aux dépens de la révolution algérienne depuis l’éradication thermidorienne des partisans de Messali Hadj parmi les populations civiles en Algérie et le massacre de la direction prolétarienne du premier syndicat algérien (USTA). Le DRS est le stratège de la seconde contre-révolution néoprétorienne et néolibérale des années 1990. D’où la spirale de silence et d’impunité qui entoure les crimes de ce processus historique de contre-révolution permanente. Qui revendique la vérité sur les massacres des populations des années 1990 ? Qui remet en cause l’intégration de l’État garnison algérien dans le dispositif de l’Otan depuis les années 1990 ?

Quel rôle joue la religion ?

M. H. : Il n’y a jamais eu de socialisme en Algérie, contre-révolution oblige. Le gouvernement « socialiste » a fait de l’islam « religion d’État » dès 1963. Le FLN avait pour seul but d’arracher l’indépendance et de procéder à la « restauration de l’État souverain algérien » anté-colonial « dans le cadre des principes islamiques », là où, le père de l’indépendance Messali Hadj prônait, outre la lutte contre le féodalisme, la fondation d’une communauté politique à partir de l’élection au suffrage universel d’une « Constituante souveraine élue par un collège unique sans distinction de race ou de religion ».
Ainsi le régime prétorien, soucieux de ne pas s’aliéner les secteurs conservateurs de la population, fut dès le départ assis sur une contre-révolution. Après l’effondrement de la « légitimité historique » à la fin des années 1980, il a favorisé un fondamentalisme religieux d’un genre nouveau : rigoriste, anti-politique et néolibéral.
Recueillis par Marie Verdier
 
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