Les libertés publiques sous forte pression : L’Etat policier en marche
Lentement mais inexorablement, l’Algérie vire vers un Etat policier, où
toute voix discordante est étouffée par le gaz ou par la matraque. Le
directeur général de la Sûreté nationale (DGSN) et par ailleurs
général-major retraité de la gendarmerie, qui a promis la «gestion
démocratique des foules», comptabilise la première victime à In Salah.
Le malheureux Moulay Nakhou a succombé à l’inhalation forcée du gaz
lacrymogène alors qu’il se trouvait chez lui quand les CNS ont réprimé,
lundi, les manifestants antigaz de schiste. Agé de 33 ans, ce citoyen
handicapé a dû ainsi payer de sa vie l’entêtement du pouvoir à exploiter
le gaz de schiste.
C’est un premier dérapage à In Salah. Pas ailleurs. Aux quatre coins de
cette Algérie prise à la gorge, le pouvoir, avec ses bras armés et sa
justice aux ordres, entreprend une opération méthodique consistant à
mettre les libertés publiques à genoux. A Laghouat, la justice de
Bouteflika a abattu, mercredi dernier, sa main lourde sur huit militants
pour la défense des droits humains et des chômeurs.
Dans un simulacre de procès à huis clos, ces jeunes militants ont eu
droit à des verdicts sans pitié, de six mois de prison ferme et six mois
avec sursis. Lundi, c’est le tribunal d’El Oued qui s’est distingué
dans ce triste hit parade de la répression en condamnant le président du
comité de défense des droits des chômeurs, Rachid Aouine, à six mois de
prison ferme.
In Salah, un gaz, une victime
Son péché ? Avoir publié un commentaire sur facebook exhortant les
policiers à réclamer leurs droits au lieu de réprimer les manifestants.
Il n’en fallait pas plus pour brandir l’article 100 du code pénal et
l’accuser d’«incitation à attroupement». Rachid Aouine est ainsi envoyé
en taule, au grand dam de la Ligue algérienne de défense des droits de
l’homme (LADDH), pour qui ce verdict souligne à grands traits «la vague
de pression sans précédent que subissent les défenseurs des droits de
l’homme depuis plusieurs mois».
Et quand ce n’est pas justice de Tayeb Louh qui frappe sans état d’âme,
c’est la police de Hamel ou la gendarmerie de Bousteila qui se chargent
de tout mouvement de protestation citoyen. La mésaventure vécue par le
président de Jil Jadid, Soufiane Djilali, sur sa route vers In Salah, en
dit long sur cet Etat policier rampant qui s’installe dans le pays.
Stoppé au niveau de plusieurs barrages, cet homme politique parti
soutenir la population d’In Salah contre le gaz de schiste a eu cette
incroyable réplique d’un gendarme : «Vous êtes un danger pour nous !»
Cette réaction teintée de peur et de manque de confiance peut être mise
dans la bouche de n’importe quel responsable algérien, du chef de daïra
au président de la République.
C’est l’état d’esprit d’un régime finissant qui tente, par des
soubresauts, de se remettre à flot en usant de méthodes et de moyens des
moins recommandables. L’attitude du président Bouteflika, qui glose à
chaque discours écrit sur les vertus de la démocratie et la nécessité de
construire un «front intérieur», paraît au mieux déplacée, au pire
cynique.
Dans un pays qui se prétend libre et démocratique, un journaliste
talentueux vient de se voir retirer son accréditation par le ministère
de tutelle. Les écrits décapants de notre confrère et ami Boualem
Ghomrassa, alias Hamid Yas, ne trouvent pas grâce aux yeux du ministre,
dont le seul ordre de mission est de gérer la rente publicitaire et, si
possible, punir les journaux qui ne le caressent pas dans le sens du
poil.
Le régime et ses relais administratifs et sécuritaires ont
manifestement une feuille de route à suivre dans ce qui semble une
entreprise de soumission de la société.
Front intérieur ? Vraiment ?
Pris de panique par la perspective biologique de passer la main, tôt au
tard, il recourt au bâton contre ceux qui veulent hâter, même
pacifiquement, son départ. L’interdiction systématique des marches de la
CLTD, voire de ses réunions thématiques dans des salles fermées, est un
indice qui ne trompe pas sur la peur panique qui s’est emparé du
sérail. Et en appoint, le pouvoir ressort sa rhétorique incolore et
inodore sur la «stabilité du pays» et les «menaces étrangères» pour
faire passer la pilule de la prétendue manipulation.
Bensalah, Saadani, Ghoul et Sidi Saïd sont invités à réciter à pleins
décibels ce disque rayé qui ne trompe plus personne de Tlemcen à Tébessa
et de Tizi Ouzou à Tamanrasset. Ce quarteron et d’autres serviteurs du
régime clientélisés et payés pour faire ce sale boulot se trompent de
société.
Les Algériens acceptent de moins en moins que leurs libertés soient
placées sous état de siège au nom d’une conception autoritaire de
l’Etat. Les manifestants d’In Salah, les animateurs de la CLTD, les
chômeurs de Laghouat, les journalistes Abdelhai Abdessamia et Hamid
Ghomrassa, Karim Tabbou de l’UDS veulent juste que la force revienne au
droit et s’opposent au droit de la force.
L’Algérie de Bouteflika, qui accueille aujourd’hui un conclave des
ministres arabes de l’Intérieur, sera certainement fière de partager son
«expérience» en matière de répression des libertés. Ces hôtes arabes,
eux, ne se sentiront pas dépaysés…
Hassan Moal
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