Un excellent article de notre ami Nicolas Beau paru sur Mondafrique qui
évoque les liens d' Abderrahmane Sissako avec le régime mauritanien.
Encensé pour "Timbuktu", qui a reçu les sept Césars 2015 vendredi soir,
Abderrahmane Sissako, cinéaste amnésique, est l'ami des dictateurs et le
"conseiller culturel" du président mauritanien Aziz.
Sans même entrer dans les qualités supposées d'un film juste
ennuyeux, bourré de clichés et qui donne du drame malien des images
léchées et sans contextualisation, il faut rappeler qui est vraiment
l'auteur de l’œuvre, Abderrahmane Sissako. Toujours paré d'une chemise
blanche immaculée et largement ouverte, ce BHL des dunes n'est cinéaste
qu'à ses heures perdues. Ce qui le nourrit ces dernières années, ce sont
ses fonctions de conseiller "culturel" attitré du président Mohamed
Ould Abdel Aziz, le chef d'État mauritanien qui a imposé à son peuple
une médiocre dictature de sous-préfecture, en faisant main basse sur les
richesses de son pays.
Tous les ans, le président Aziz organise une grande mascarade appelée
"Rencontre avec le peuple" où il est censé dialoguer directement avec
des personnes "spontanément" sélectionnées de toutes les régions. L'an
dernier, la manifestation avait eu lieu à Néma, dans l'est du pays.
L'année précédente, ce fut à Atar, au nord du pays. C'est un grand show
où l'improvisation se cumule à la médiocrité du discours. Soit dix
heures de direct à la télévision, façon Moscou ou Prague des années de
plomb. Pour le rassemblement d'Atar, le plus grand cinéaste africain que
serait désormais Sissako était à la manœuvre, pathétique éclairagiste
des mises en scène du régime.
Lorsqu'on se rendait ces dernières années à Nouakchott comme l'auteur
de ces lignes en 2012, on apercevait le "grand", l'immense cinéaste
plutôt oisif, qui recevait les rares journalistes étrangers dans les
cafés chics de la capitale mauritanienne. Il fallait entendre Sissako
défendre le bilan d'un régime répressif et corrompu, mais tellement
utile, faisait-il valoir, dans la lutte contre les forces du mal. Au
point d'ailleurs que la Mauritanie d'Aziz n'a pas envoyé un seul soldat
au Nord-Mali combattre les djihadistes aux côtés de l'allié français.
Et ne parlons pas du pacte discret conclu par ce pouvoir avec le
salafisme dont les prédicateurs sont omniprésents dans les mosquées et
avec les groupuscules violents, qui épargnent étrangement ce pays aux
frontières pourtant poreuses.
Des militaires devenus acteurs
L'alliance de Sissako avec le pouvoir mauritanien est d'autant plus
choquante que ce cinéaste a réalisé un très bon film dans sa — courte —
vie de cinéaste, à savoir "Bamako", un Scud efficace contre les biens
mal acquis par les dictatures africaines. Comme les temps changent! Et
comme les chemises blanches se déboutonnent! Ne parlons même pas du
bilan insignifiant de son action comme "conseiller culturel" d'un
président sans culture. Lui-même le reconnait en privé, mais évidemment
pas dans la presse française.
L'ami Sissako n'a rallié la présidence que pour utiliser la
logistique de l'armée mauritanienne afin de tourner son film réalisé à
la frontière mauritano-malienne et recevoir, pendant toutes ces années
grâce à sa sinécure, un confortable traitement. Ce sont des militaires
mauritaniens qui dans son film jouent le rôle des hommes de la police
islamique. Quand on sait le penchant répressif de cette armée
mauritanienne, encore démontré le 12 novembre lors d'une manifestation
antiesclavagiste dispersée brutalement, on comprend pourquoi dans
"Timbuktu", les nervis de la "police islamique" ont l'air si méchants.
Mais l'ami Sissako n'est apparemment pas regardant sur les CVs de ses
"acteurs."
Sissako, le BHL des dunes.
On pouvait croire que le président Aziz, ce militaire parvenu au
pouvoir par un coup d'État et blanchi par Paris, avait nommé Sissako à
ses côtés pour imposer une "vitrine" présentable à son régime qui ne
l'est pas. On a vu le cinéaste à la chemise blanche, cet automne,
parader aux cotés de "son" président au sommet organisé par le président
Obama pour les chefs d'État africains. Au départ, le président Aziz ne
recherchait pas, via le cinéaste, à vendre une image de son pays. Ce
militaire casanier qui a très peu voyagé a toujours utilisé en termes de
communication des méthodes moins sophistiquées. Le pays est en effet
largement fermé à la presse étrangère. Et en privé, les représentants de
l'Organisation internationale de la francophonie se plaignent que la
Mauritanie soit un des rares pays où ils ne puissent pas contrôler les
processus électoraux, fussent-ils entachés de fraude massive comme ce
fut le cas l'année dernière.
Si le président Aziz a tenu à promouvoir son ami Sissako, le BHL des
dunes, c'est parce qu'au départ le cinéaste voulait réaliser un film sur
l'esclavage, resté autorisé en Mauritanie jusqu'en 1981 et réprimé
pénalement seulement en 2007 ! Et encore, la loi est-elle à peine
appliquée. Voici en effet le venin qui mine la société mauritanienne en
profondeur. Chacun sait que les descendants d'esclaves qui se mobilisent
actuellement massivement pourraient bien faire vaciller ce régime
militaire. Pas question que Sissako tourne sur un pareil sujet. Le deal
était ainsi parfaitement clair: "nous t'aiderons, lui a expliqué le
président Aziz, si tu parles des méchants djihadistes qui inquiètent
tant nos amis occidentaux. Mais l'esclavage doit rester tabou". Ce qui
fut fait et avec le succès que l'on sait, lorsqu'on voit l'avalanche de
louanges sur ce mauvais et ennuyeux péplum qu'est Timbuktu, ce film de
"résistance" contre le mal.
En attendant, la résistance contre les immenses séquelles de
l'esclavage en Mauritanie attendra. Habitué des geôles mauritaniennes,
Biram Dah Ould Abeid, leader de "l'Initiative pour la résurgence du
mouvement abolitionniste" (INRA), vient d'être à nouveau arrêté le 11
novembre dernier. Sa faute? Ce leader charismatique et populaire, arrivé
deuxième à l'élection présidentielle malgré la fraude, menait avec
d'autres militants une campagne de sensibilisation contre l'esclavage
foncier. Détenu à Rosso, il ne peut même pas recevoir de visites.
Peut-être que ce grand humaniste qu'est Abderrahmane Sissoko aura une
pensée pour ce courageux militant emprisonné. Ou mieux encore, le BHL
des dunes aura-t-il l'audace, durant ses innombrables interviews en
France, d'évoquer la situation de l'esclavage dans son pays?
ENCADRÉ
Biram et ses codétenus refusent de comparaître
Les détenus d’opinion, à leur tête, Biram Abeid Dah, Président d’INRA
et Prix 2013 de l’ONU pour les Droits de l’homme, refusent de
comparaitre devant le tribunal de la ville de Rosso (Sud de la
Mauritanie). Les militants antiesclavagistes, incarcérés depuis le 11
novembre 2014, à la suite de la participation à la Caravane pour
l’abolition de l’esclavage foncier, ont découvert, juste hier, que leur
procès se tenait aujourd’hui. Ni eux, ni leur défense, ne furent
informés dans les délais réglementaires. Aujourd’hui, une
impressionnante manifestation pacifique, organisée par les militants et
sympathisants de la cause antiesclavagiste, a relié la prison de Rosso
au Tribunal pour exiger la tenue d’un procès équitable.
Mondafrique
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