Zaïm Khanchelaoui. Anthropologue des religions
«Le pays se fanatise de partout»
le 18/09/2014
Dans le prolongement du débat lancé par le ministre des Affaires
religieuses sur la réappropriation d’un islam «ancestral», Zaïm
Khanchlaoui, sociologue des religions qui scrute depuis des années les
tendances religieuses, tire la sonnette d’alarme. «Le pays se fanatise
de partout», assène-t-il.
-Le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa,
semble rompre avec la conception orthodoxe qui a longtemps caractérisé
cette institution. Comment expliquer cette nouvelle orientation ?
Nous ne pouvons que nous réjouir de cette avancée significative dans le
discours officiel relatif à la gestion du culte. Or, je ne suis pas sûr
que nous disposions d’un potentiel humain ayant les compétences
requises pour pouvoir accompagner cette réforme. Cela n’est pas aussi
simple. Un tel chantier nécessite la mobilisation de plusieurs équipes
de recherche, des universitaires, des centres de formation, des
académiciens et autres conseillers scientifiques dans les domaines les
plus improbables, tels que la psychanalyse, la logique, l’astronomie,
les mathématiques, la musicologie, la toxicomanie, la physiologie, la
philosophie, sans parler des langues étrangères et l’histoire des
religions autres que l’islam et des doctrines autres que le sunnisme,
domaine dans lequel on constate un sectarisme édifiant et une ignorance
accablante qui véhiculent des stéréotypes dommageables au dialogue inter
et intra-religieux et favorisent la culture de la haine et l’exclusion
de l’autre, comme nous le rappelle l’actualité nationale et
internationale. Les imams qu’on envoyait en France étaient incapables de
prononcer un mot en français. Ce sont là quelques inepties à éviter à
l’avenir si l’on veut espérer parvenir un jour à révolutionner ce
secteur ô combien sensible et voir des imams algériens capables de
capter le monde dans lequel ils vivent. Or, à chaque prêche du vendredi,
nous assistons à un discours qui contredit cette folle espérance.
-Le mouvement salafiste est-il un phénomène massif en
Algérie qui s’empare des lieux de culte et en quoi cette tendance
rigoriste est-elle dangereuse ?
D’abord le salafisme est un euphémisme qui cache derrière lui une secte
ultra dangereuse qui avait été combattue en tant que telle par l’armée
ottomane dès son apparition à Najd, dans la partie la plus arriérée
d’Arabie au XVIIIe siècle avant qu’elle ne parvienne à envahir
l’ensemble du monde musulman. Les tenants de cette secte fanatique ne
reconnaissent personne comme étant musulman à part eux-mêmes et
déclarent apostat tout le reste du monde. Selon leur logique exclusive,
il n’y aurait sur la planète Terre guère plus que quelques dizaines de
milliers à pouvoir se réclamer de la foi musulmane, d’où l’extrême
dangerosité de cette hérésie qui met de facto en péril la vie de plus
d’un milliard de musulmans. Preuve en est que l’islam est aujourd’hui
militairement assiégé par des hordes de barbares affectés le long de ses
frontières historiques, de la Muraille de Chine jusqu’aux confins de
l’Afrique subsaharienne. C’est dire l’ampleur du désastre qui nous
attend en tant que musulmans, qu’on le soit par la foi ou par héritage
culturel.
-Est-il exagéré de dire que l’Algérie est un pays qui se fanatise ?
Je crains que ce ne soit la stricte réalité de notre société, qui
semble s’enfermer dans un espèce d’automatisme ritualisé, assimilé à
tort à de la religiosité. Or, il n’en est rien. Nous assistons plutôt à
une extériorisation malsaine et indécente de la pratique rituelle au
détriment de la foi, ce mystère caché dans le cœur de l’être humain dont
chacun de nous a pu toucher la douceur et la sincérité au contact de
nos parents et grands-parents qui en étaient les derniers dépositaires.
Désormais, c’est toute la société qui en est contaminée. En d’autres
termes, nous sommes parvenus de manière inconsidérée à produire une
société parfaitement wahhabite qui a tourné le dos et à l’islam et à la
modernité. Le pays se fanatise de partout avec une manifestation
grandissante de l’intolérance et du rejet de l’autre.
-Comment cette mouvance s’est-elle installée en Algérie et dans quel contexte?
La date de 1903 marque le début de cette mouvance en Algérie avec la
visite historique du prédicateur égyptien Mohamed Abdou à Alger. Il s’en
est suivi dans les années 1930 l’avènement spectaculaire du mouvement
réformiste qui appelait de ses vœux à l’éradication du maraboutisme, le
qualifiant de paganisme grâce au zèle et au militantisme des oulémas
formés en Arabie et renvoyés ici pour lancer une croisade contre le
soufisme qui fut jadis notre religion naturelle et héréditaire. Ce fut
là le commencement de la fin pour l’islam spirituel et le début de
l’islam politique qui s’affirma dès les années 1980. La suite de
l’histoire tout le monde la connaît.
-Comment expliquer cette adhésion au discours salafiste
alors que l’Algérie a basculé dans un terrorisme aveugle en raison de
cette doctrine fondamentaliste ?
La nature a horreur du vide, si bien que notre espace religieux, resté
longtemps à l’agonie, finit par rendre son âme au diable qui s’en est
bien chargé. Nous avons décidé en 1984 de construire une université
islamique à Constantine, ce fut la fierté de l’Algérie indépendante,
mais nous n’avons pas trouvé mieux qu’un cheikh égyptien pour présider
son conseil scientifique. L’Algérie n’a jamais cessé d’être une terre de
mission pour les orateurs égyptiens, à leur tête le sinistre et
sanguinaire téléprédicateur Al Qaradaoui, relayés par leurs collègues
saoudiens qui finirent par boucler la boucle et prendre le peuple
algérien en otage avec leur idéologie obscurantiste qui avait pour
mission de semer le doute et la discorde parmi les fidèles en leur
inculquant un modèle bédouin crypto-païen remis au goût du jour à coups
de pétrodollars.
Or, que reste-t-il de l’islam originel sinon des larmes, du feu et du
sang ! L’adhésion des Algériens au salafisme est globale. Ces
conséquences commencent déjà à altérer la qualité de notre vie
quotidienne. Il s’agit d’une logique de cause à effet inéluctable qui
entraîne à terme l’écroulement de tout notre système : éducatif,
sanitaire, économique, social, culturel, moral, esthétique, etc.
-Y a-t-il eu des velléités politiciennes laissant s’installer cette «doctrine» en Algérie ?
J’ose espérer que non. Et puis, cela ne relèverait pas du bon sens,
puisque ces mouvements sectaires finissent toujours par dévorer leurs
promoteurs quels qu’ils soient compte tenu de leur nature imprévisible
et de l’incontrôlabilité de leur mission qui s’avère de plus en plus
dévastatrice, y compris dans leur foyer d’origine comme au Yémen, jadis
appelé l’Arabie heureuse. Pactiser avec ces gens c’est jouer avec le
feu. Il y va de notre destin et de notre existence.
-L’Arabie Saoudite, pays du wahhabisme, cherche-t-elle,
selon vous, à propager cette doctrine dans tout le monde musulman et à
quel dessein ?
Affranchie de la tutelle ottomane grâce à l’aide des Anglais, l’Arabie
s’est très tôt chargée d’une sacro-sainte mission : celle de promouvoir
le wahhabisme conformément au Pacte de Najd : propager cette secte
partout dans le monde au détriment de l’islam traditionnel. Il s’en est
suivi la destruction d’importants sites historiques pour y construire
des hôtels de luxe et des centres commerciaux pour les plus riches à La
Mecque et Médine. Le fastueux hôtel Hilton est bâti sur la maison d’Abou
Bakr et celle de Khadija a été remplacée par des toilettes publiques.
La maison de naissance du Prophète transformée en bibliothèque est
désormais interdite d’accès. Le tout sous le poids accablant d’une tour
d’horloge - un Big Ben, nostalgique clin d’œil aux accords secrets de
Sykes-Picot et à Lawrence d’Arabie.
-Les autorités religieuses du pays sont-elles suffisamment
dotées de savoir et de compétences à supposer qu’une volonté existe pour
barrer la route aux «fatwas» jugées dangereuses qui viennent d’ailleurs
?
La gestion d’une religion n’est pas une mince affaire, comme pourraient
le laisser croire certains. Or, nous ne sommes même pas capables de
former des muezzins dignes de ce nom. Au lieu de cela, nous subissons
des cris séditieux émanant des haut- parleurs réglés à fond, qui n’ont
rien à voir avec le ton de la prière et du recueillement, comme pour
repousser les fidèles et les dissuader de répondre à l’appel de Dieu.
N’oublions pas que le métier de muezzin est intimement lié à la musique.
La tonalité du maqam à psalmodier à l’aube n’est pas celle qu’on
déclame à midi ni celle qui doit marquer le coucher du soleil. Il existe
même des écoles de formation pour les muezzins dans les pays où la
religion est bien structurée, comme c’est le cas en Turquie. Que dire
alors de la fatwa ? C’est là, me semble-t-il, une perspective dont les
Algériens sont bien loin d’appréhender la gravité.
Hacen Ouali
Commentaire:
Par Abdelkader Dehbi
A.Dehbi
le 18.09.14
C'est pour quand l'Islam de Tel-Aviv ?
Enregistrer un commentaire