ELWATAN-ALHABIB
lundi 18 août 2014
 
Poètes d'une parole essentielle
 
 
 
 
par K. Selim
Les Palestiniens survivants qui continuent de sortir les corps des décombres de Gaza pour les enterrer dans la dignité, en serrant les dents, suivent avec attention et émotion les nouvelles de la bataille que livre leur immense poète Samih Al-Qassim à la mort. Atteint d'un cancer du foie depuis trois ans, l'état de santé de Samih Al-Qasim s'est dégradé ces derniers jours. Et tout le monde s'est souvenu que c'est au mois d'août 2008 que son complice et «jumeau» de la poésie de résistance, Mahmoud Darwich, a tiré sa révérence.

Pourquoi les Palestiniens, qui meurent si facilement dans le silence ou dans si peu de bruit, sont-ils à ce point attachés à leurs poètes au point de ne pas se résigner à les voir partir ? Probablement parce que leur voix dit l'essentiel de leur humanité de manière si forte, si puissante et si humaine qu'elle transcende tous les clivages et dépasse tous les discours politiques. Les Palestiniens ont été bouleversés par le départ de Mahmoud Darwich, mais ils ont découvert, durant ces années d'absence, combien sa présence est forte. Ils ont pu voir combien ses mots continuaient à creuser des sillons profonds dans les consciences. Combien ils gardaient intacte la vérité d'un combat qui, comme c'est le cas de tous les mouvements de libération, connaît des hauts et des bas.

Samih Al-Qassim dont les poèmes - comme ceux de Mahmoud Darwich - ont été amplifiés avec grand art par Marcel Khalifa, est de la même stature que son «jumeau». Il ne prétend pas au statut de «porte-parole», un vilain mot que les poètes ne peuvent que réprouver ou tourner en dérision comme Samih sait si bien le faire. Lui et Mahmoud ne sont pas des porte-paroles. Ils sont cependant la parole palestinienne par excellence. Samih Al-Qassim est un résistant. Dans tous les sens du terme, un homme qui ne plie pas, qui ne cède pas, qui contrarie, qui combat. Sans être un surhomme. Juste en étant un homme, qui aime la terre, le pain, les choses de la vie… Un homme qui considère que le cancer qu'il a dans son corps est moins grave et moins sournois que le «cancer de l'occupation».

Pourquoi les Palestiniens ne se résignent pas à perdre leurs poètes ? Parce que leur voix est une thérapie contre l'oppression. Des voix qui reconstruisent continuellement, dans la colère, dans l'amour, dans l'odeur du pain et du café au matin, dans le geste pudique et tendre de la mère, un pays volé et interdit. Ils deviennent ainsi les créateurs d'une mémoire vivante, des constructeurs et des accumulateurs de sens pour un peuple mené d'un absurde à l'autre, d'une injustice à l'autre.

«Je sais que mon corps est ton lit… Et mon âme ton drap / Je sais que tes rives se rétrécissent sur moi… Je ne t'aime pas ô mort. Mais je n'ai pas peur de toi», a écrit Samih Al-Qassim dans une déclamation de défiance au mal qui le ronge. Et il n'en a pas peur vraiment. Certes, il aimerait encore un peu de temps, il a des choses à faire sur cette terre, marier un fils, terminer un livre, engager une autre œuvre. Mais si elle vient, dit-il avec son humour indestructible, «Toz, fiha». C'est qu'il est déjà vainqueur. Comme Mahmoud. Ses poèmes-chansons, appris en Palestine et au-delà, continueront à résonner dans les cœurs et à perpétuer le combat par-delà la mort.

Les Palestiniens aiment leurs poètes parce que nul ne les exprime aussi bien. Sur la page Facebook des amis du poète, les messages sont nombreux et poignants. Il est leur voix ce poète qui a dit : «Moi, sur mon dos il y a des rochers mais il n'a point plié».
 
Commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]





<< Accueil
"Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs." Malcom X

Archives
février 2007 / mars 2007 / avril 2007 / mai 2007 / juin 2007 / juillet 2007 / août 2007 / septembre 2007 / octobre 2007 / novembre 2007 / décembre 2007 / janvier 2008 / février 2008 / mars 2008 / avril 2008 / mai 2008 / juin 2008 / septembre 2008 / octobre 2008 / novembre 2008 / décembre 2008 / janvier 2009 / février 2009 / mars 2009 / avril 2009 / mai 2009 / juin 2009 / juillet 2009 / août 2009 / septembre 2009 / octobre 2009 / novembre 2009 / décembre 2009 / janvier 2010 / février 2010 / mars 2010 / avril 2010 / mai 2010 / juin 2010 / juillet 2010 / août 2010 / septembre 2010 / octobre 2010 / novembre 2010 / décembre 2010 / janvier 2011 / février 2011 / mars 2011 / avril 2011 / mai 2011 / juin 2011 / juillet 2011 / août 2011 / septembre 2011 / octobre 2011 / novembre 2011 / décembre 2011 / janvier 2012 / février 2012 / mars 2012 / avril 2012 / mai 2012 / juin 2012 / juillet 2012 / août 2012 / septembre 2012 / octobre 2012 / novembre 2012 / décembre 2012 / janvier 2013 / février 2013 / mars 2013 / avril 2013 / mai 2013 / juin 2013 / juillet 2013 / août 2013 / septembre 2013 / octobre 2013 / novembre 2013 / décembre 2013 / janvier 2014 / février 2014 / mars 2014 / avril 2014 / mai 2014 / juin 2014 / juillet 2014 / août 2014 / septembre 2014 / octobre 2014 / novembre 2014 / décembre 2014 / janvier 2015 / février 2015 / mars 2015 / avril 2015 / mai 2015 / juin 2015 / juillet 2015 / août 2015 / septembre 2015 / octobre 2015 / novembre 2015 / décembre 2015 / janvier 2016 / février 2016 / mars 2016 / avril 2016 / mai 2016 / juin 2016 / juillet 2016 / août 2016 / septembre 2016 / octobre 2016 / novembre 2016 / décembre 2016 / janvier 2017 / février 2017 / mars 2017 / avril 2017 / mai 2017 / juin 2017 / juillet 2017 / août 2017 / septembre 2017 / octobre 2017 / novembre 2017 / décembre 2017 / janvier 2018 / février 2018 / mars 2018 / avril 2018 / mai 2018 / juin 2018 / juillet 2018 / août 2018 / septembre 2018 / octobre 2018 / novembre 2018 / décembre 2018 / janvier 2019 / février 2019 / mars 2019 / avril 2019 / mai 2019 / juin 2019 / juillet 2019 / août 2019 / septembre 2019 / octobre 2019 / novembre 2019 / décembre 2019 / janvier 2020 / février 2020 / mai 2020 /


Powered by Blogger

Abonnement
Articles [Atom]