Succès de la conférence de l’opposition sur la transition
Emotion et espoir à Mazafran
«Maturité», «entente», «consensus» et «diagnostic de l’impasse
politique nationale». L’opposition algérienne réussit son début d’union
et se dit prête à dépasser ses clivages afin de concevoir «un avenir
meilleur pour tous».
Réunis au niveau du chapiteau de l’hôtel Mazafran à Alger à
l’initiative de la Coordination pour les libertés et la transition
démocratique (CLTD), les acteurs politiques s’inscrivant dans
l’opposition se réjouissent et qualifient, d’emblée, cette rencontre
«d’historique». Et cela pour plusieurs facteurs. Il y a d’abord ce
regroupement, pour la première fois depuis l’avènement du multipartisme
en Algérie, de l’élite politique nationale. Secundo, le dépassement,
comme l’affirment tous les intervenants, des considérations idéologiques
et de l’égoïsme qui ont nourri, pendant longtemps, la division de la
classe politique nationale.
En troisième lieu, la prise de conscience montrée par ces leaders quant
à la nécessité de proposer une alternative à «un système politique
défaillant». «J’ai toujours rêvé de ce moment où des partis avec des
idéologies différentes se rencontrent. Ce n’est qu’aujourd’hui que nous
pouvons parler de pluralisme politique en Algérie», lance l’ancien chef
de gouvernement, Mouloud Hamrouche, lors de son intervention, en saluant
ainsi ce premier pas vers «une entente nationale». Autour de cette
idée, les avis convergent.
Les intervenants soulignent tous l’importance de cette rencontre et
cette détermination à consacrer «l’union» en vue de «sauver l’Algérie».
«Nous sommes réunis aujourd’hui pour partager et discuter de la peur que
nous avons pour l’avenir du pays. C’est une réponse à ceux qui
prédisaient un échec de notre démarche. Nous sommes aujourd’hui
convaincus que la base de la transition démocratique est l’entente»,
affirme Mohcine Belabbas, président du RCD.
«Une crise institutionnelle»
Le président du MSP, Abderrazak Makri abonde dans le même sens : «C’est
un jour historique et important de par la symbolique de la présence (…)
Cette rencontre va participer à changer l’image de l’opposition
construite par le système.» Dans son intervention, le président du FJD,
Abdallah Djaballah, compare cette conférence à celle de Sant’Egidio en
1995 et s’interroge, par la suite, sur la nature de la réponse que lui
réservera le pouvoir. «Le régime va-t-il encore minimiser ce
rassemblement et faire la sourde oreille ? Le pays a besoin d’un débat
large et constructif», insiste-t-il.
Les félicitations viennent aussi de tous les intervenants. Ces derniers
ont saisi cette opportunité pour faire le diagnostic de la crise
politique actuelle. Une crise engendrée, selon le président d’honneur de
la LADDH, Ali Yahia Abdennour, «par le système qui se maintient depuis
1962». «Il doit partir !», déclare-t-il. Mouloud Hamrouche fait une
analyse plus approfondie, en évoquant «une crise institutionnelle», «un
échec du gouvernement et des partis», ainsi «qu’un mauvais rôle de
l’armée». «L’armée a un grand rôle à jouer car elle est un pilier de
l’Etat. Il ne peut pas y avoir de consensus sans une entente nationale»,
martèle-t-il.
Une vision que partage Mokrane Aït Larbi. «C’est l’armée qui a
construit le système. C’est elle qui fait les présidents et les
gouvernements depuis 1962. L’armée ne peut pas se retirer dans les
circonstances actuelles. Elle doit intervenir pour opérer un changement
pacifique», soutient-il. Intervenant au nom du FFS, Ahmed Betatache,
premier secrétaire du parti, appelle «au dialogue comme seul moyen
permettant la résolution de tous les problèmes». «Notre démarche pour la
reconstruction d’un consensus national est basée sur le dialogue avec
tous les acteurs politiques, y compris le pouvoir», dit-il. Les
consultations autour de la révision constitutionnelle ont été également
évoquées par les présents qui dénoncent «une manœuvre du régime».
C’est le cas de Ali Benflis qui s’est exprimé au nom du Pôle du
changement. «L’initiative du système actuel est connue. Les objectifs
derrière cette initiative : gagner du temps au moment où la
problématique autour de la nature du système est posée», dénonce-t-il.
Ce conclave qui se poursuivait encore, au moment où nous mettons sous
presse, devra s’achever par l’adoption d’une plateforme et des
recommandations.
Ils ont déclarés :
-Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement :
«Je suis très content de nous retrouver parmi nous. Je suis d’autant
plus content que cela fait 25 ans que je porte ce rêve (…). Il ne sert à
rien de verser dans le passé ou même de dresser des bilans. La réalité
est que le gouvernement actuel est incapable de gérer (…). Ce
gouvernement n’a pas de bases politique et sociale. Sa seule base est,
malheureusement, l’armée. Or, cette dernière doit être au service de
l’Etat et non du pouvoir (…). Nous sommes dans une impasse totale. Pour
en sortir, il faut une entente nationale qui nous mènera vers un
consensus global (…). Je persiste : l’armée a un rôle à jouer dans cette
opération de transition.»
-Abderrezak Makri, président du MSP :
«Cette rencontre est une occasion pour l’opposition de se réunir (…).
Nous avons décidé de garder nos programmes, nos convictions tant qu’il
n’y a pas de condition d’un exercice politique (…). Nous devons mettre
les bases d’un vrai pays de libertés et montrer que le pouvoir ne peut
pas faire l’impasse sur l’opposition.»
-Mohcine Belabbas, président du RCD :
«Nous nous sommes réunis, aujourd’hui, pour un objectif simple mais
déterminant : sauver l’Algérie. On aurait pu organiser cette rencontre
au lendemain de l’indépendance. Mais le système, qui a squatté la
volonté populaire depuis l’indépendance, n’a pas permis aux Algériens de
se rencontrer (…). Notre présence ici est le premier résultat de la
prise de conscience populaire de la nécessité de changement (…). Cette
rencontre est la preuve que lorsque les ambitions de la classe politique
convergent avec la volonté du peuple, tout est possible.»
-Ahmed Betatache, premier secrétaire national du FFS :
«Le consensus est un vrai défi. Dans ce cadre, il faut éviter les
pratiques et les démarches qui ne suscitent pas de consensus et ne
permettent pas de rapprochement entre nous (…). La responsabilité des
politiques est de créer de nouvelles conditions de consensus (…). La
responsabilité des politiques est de créer les conditions d’une
renaissance et la préservation du pays de tout recours à la force.»
-Karim Tabbou, secrétaire général de l’UDS :
«Je pense que le fait de réunir autant de monde autour d’une même table
est une bonne chose. Il y a beaucoup de convergences. Mais il ne faut
pas oublier que le jeu est piégé et que les autorités refusent,
malheureusement, d’ouvrir le jeu démocratique. Et lorsque le jeu est
fermé, cela mène généralement vers la confrontation. Il y aura,
j’espère, d’autres rencontres qui détermineront les mécanismes de la
mise en œuvre des idées exprimées aujourd’hui.»
-Ali Benflis, au nom du Pôle des forces de changement :
«Nous partageons le constat de la CNLTD que le système doit changer
(…). Nous partageons également le principe de la souveraineté populaire.
Mais je dois rappeler que le dialogue ne doit pas se limiter à un duel
entre le pouvoir et l’opposition, mais doit intégrer un troisième
élément qui est le peuple.»
(Ali Boukhlef)
Madjid Makedhi
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