Fascinante énigme, courbe de la philosophie, bug du langage et torsion
cérébrale, lien explosé entre le coude et la théorie, le genou et la galaxie.
La dernière phrase de Saïdani est une perle sur pattes : « J'ai vu le Président
qui m'a dit qu'on entend certains partis (parler en son nom). Ça suffit.
Arrêtez de parler au nom du Président ! ». Vous avez compris ? L'homme vous dit
que le Président lui a dit que personne ne doit dire quelque chose au nom du
Président. Mais Saïdani le dit. Il dit qu'on ne doit pas dire et qu'on le lui a
dit de le dire. C'est une équation en boucle. Sans fin. Comme le politique.
Dans le mythe, cela est représenté par l'Ouroboros. Le fameux serpent qui se
mord la queue, incarnant l'infini fini, le cercle ultime, l'enceinte du
paradis, l'anneau qui entoure la terre et maintient les océans en place. Ainsi
de suite. Dans le cas algérien, le Serpent est le Pouvoir. Il est sans fin. Se
mord la queue pendant qu'on mord la pierre. Il ne meurt pas et ne vient pas au
monde. Il est éternel parce que immobile. Il se nourrit de lui-même et se
perpétue. Né en 62, il vit en 62. Nous, par contre, on bouge : on est en 1832
parfois. Parfois, avec plusieurs émeutes, on frôle 1954. On retombe en 1900
quand on s'enfonce dans les hameaux. On est en 88 quand le sucre augmente. Le
serpent n'est pas la sardine : quand la tête est pourrie le reste est vif.
La
sentence de Saïdani est l'incarnation du Verbe du régime : il dit qu'il ne faut
pas dire mais il le dit. Il est la preuve de ce qu'il affirme, le contraire de
ce qu'il soutient. Saïdani a dit qu'il ne faut pas dire au nom du Président qui
lui a dit de ne rien dire. Il est le seul à avoir vu et entendu le Président le
dire. Le régime n'a pas besoin du réel. Il est autonome. Il parle dans sa
propre tête, acquiesce ou se répond. Le verset de Saïdani ressemble au reste :
les consultations, les dialogues nationaux, les transitions, les réformes, les
« ouvertures », le Changement. Le serpent fait tout de lui-même mais à
l'intérieur de lui-même. Il ne peut pas comprendre. Il est son monde et le
monde n'est rien. Il ne peut absolument pas voir, concevoir ou sortir de son
propre encerclement. Si vous dites que les consultations pour la prochaine
constitution sont ridicules, il ne comprendra pas et continuera à rouler sans
bouger et à tourner sans se fatiguer. Si vous dites qu'il faut réformer et
assurer une transition, le serpent restera immobile.
La preuve ? Dites par exemple à Saïdani que
sa phrase est un paradoxe comique. Il vous regardera en silence, avec le sang
froid de son règne, puis continuera de parler. Il n'y a pas de brèche, pas de
possibilité de lui faire admettre que sa phrase de « J'ai vu le Président qui
m'a dit qu'on entend certains partis (parler en son nom). Ça suffit. Arrêtez de
parler au nom du Président ! », est une absurdité. Saïdani est le régime, du
moins la peau du régime, ses écailles, son interface, mais dans l'essence est
de la même essence que le serpent 62. L'ouroboros. Dans la tête du serpent qui
est dans sa tête en même temps. Par exemple, les plus proches de Bouteflika
vous le diront : le bonhomme est profondément convaincu qu'il a sauvé le pays
d'un complot immense en se représentant pour un quatrième mandat à vie. On peut
du coup parler du peuple au nom du peuple. Mais sans le peuple car il n'existe
pas. Le serpent est Un et unique. Il change de peau mais pas de sang.
Il
n'entend rien et ne voit pas autre chose que lui-même. Il ne se sent jamais
ridicule ni ne sera démenti. Il est le mandat unique et le mandat à vie. Et
puisque sa vie est infinie parce qu'il se nourrit de lui-même, il est à vie et
à mort élu et appelé. Saïdani l'a dit. Bouteflika lui a dit de le dire. De ne
rien dire. De garder le silence en l'expliquant. De. Rien ne prouve rien. Le
reste du monde n'existe pas. Il n'y a que le serpent qui entoure notre terre.
Au-delà, le cosmos est infini. En deçà ? Le peuple est fini.
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