Du blasphème du foot mondialiste 2
Le
mondial 2014, comme les précédents d’ailleurs, aura été le révélateur
d’une situation ubuesque, tant le contraste entre la dégradation
continue des conditions de vie et l’euphorie extatique apparente des
citoyens est saisissant. Habituellement, une telle extase confinant à la
félicité ne peut être produite que par des exercices spirituels bien
suivis. Or, tel n’est pas le cas ici puisqu’on a affaire à un état
second, une espèce de folie collective induite par une drogue
psychotrope. Cette drogue n’est autre que le football érigé en culte,
avec ses fanatiques et ses extrémistes de tous bords.
Les politiques ont bien saisi cette réalité et ne se
privent pas de l’exploiter pour amuser le peuple, le faire rêver et le
réduire à l’indolence et à l’inertie. Ce faisant, ils se mettent
eux-mêmes à l’abri de toute revendication bruyante et de toute
dissidence, ce qui garantit leur pérennité dans les sphères du pouvoir.
C’est ainsi que ceux dont l’équipe a gagné sont bernés par une illusion
de reconnaissance, voire de puissance alors qu’ils vivent dans une
misère sociale et intellectuelle des plus éprouvantes.
L’implication directe des politiques se
traduira par exemple par la prise en charge financière des supporteurs
de l’équipe nationale
Voici
un exemple frappant de cette folie entretenue par les responsables
politiques. Mobilis, l’un des opérateurs téléphoniques, étatique, a
envoyé aujourd’hui-même à ses clients le texto suivant : « Jusqu’au bout
du rêve, Mobilis est le seul opérateur à prendre totalement en charge
les 2000 supporteurs algériens au Brésil pour encourager l’Algérie1. »
Pour ne pas être en reste, Ooredoo, un opérateur
téléphonique privé, « fidèle à sa dimension citoyenne » ose-t-il écrire,
annonce lui aussi une prise en charge de supporteurs, sans autre détail2.
N’est-ce pas là une décision irrationnelle, contraire
à la raison, une décision qui peut sembler altruiste a priori et qui
peut être interprétée comme un acte de patriotisme, alors qu’elle va à
l’encontre des règles élémentaires de l’économie. Un tel comportement
découle directement du fameux adage du terroir algérien « Ezzelt wou
ettfer3ine. » Il est vrai que Mobilis regorge de ressources et que l’on
ne peut pas parler de « zelt » (ruine) au sens de la richesse
financière, revenant du reste quasi exclusivement à l’exploitation
éhontée des hydrocarbures, mais on peut estimer que ce terme de « zelt »
s’applique parfaitement à la situation en ce sens que l’Algérie a été
carrément ruinée par ses gouvernants, de l’aveu même de Bouteflika qui a
reconnu publiquement l’échec de sa politique. «Nous avons échoué»,
avait reconnu Abdelaziz Bouteflika à la veille de son 3e mandat, acquis
en toute illégalité.
C’est une raison de plus pour ne pas les dilapider
dans des dépenses insensées. Mobilis aurait accompli une action
autrement plus appréciable si ces sommes investies dans le séjour de
2000 supporters avaient été mobilisées pour venir en aide à des
étudiants algériens à l’étranger, en finançant des bourses d’études par
exemple. Mobilis aurait d’autant plus séduit s’il s’était investi dans
l’aide à apporter à la région du M’Zab après le malheur qui l’a frappée
tout récemment.
Un autre exemple est celui des liesses populaires3
ayant suivi les victoires de matchs. Tout le monde sait que les
rassemblements de plus de trois personnes, de même que les marches de
protestation sont interdits en Algérie. Même les réunions en salle sont
soumises à l’autorisation de la préfecture. Par quel acte dérogatoire,
ces déferlements populaires ont-ils été autorisés ? Ils ont été tolérés,
voire suscités et encouragés car ils vont en droite ligne de la
politique prônée par les responsables qui n’ont rien d’autre à offrir au
peuple.
Tout ce qu’ils ont à présenter, c’est l’illusion,
l’illusion d’une puissance mondiale hissée au niveau de la Corée, de la
Russie, de l’Allemagne et autres puissances reconnues. Le fait est qu’il
s’agit d’une victoire obtenue au foot et il faut savoir raison garder
après ce succès somme toute relatif et limité. Les pétards et autres
objets pyrotechniques étant interdits à la vente, on se demande par quel
miracle des spectacles gigantesques ont-ils pu être montés à travers
toute l’Algérie et surtout dans la capitale, occasionnant ça et là des
accidents aussi stupides que souvent tragiques. Combien de supporteurs
ont payé de leur vie ces moments de folie ? Combien de blessés a-t-il
fallu transporter vers des hôpitaux le plus souvent pauvres en moyens et
équipements ? Là est la triste vérité.
Alors que les efforts auraient dû être déployés dans
le développement tous azimuts dans un pays manquant de tout en dépit de
ressources largement suffisantes et de potentialités humaines enviables,
les politiques qui ont fait main basse sur toutes les institutions et
les gèrent comme s’il s’agissait de propriétés privées, saisissent
toutes les opportunités qui s’offrent à eux pour donner une illusion de
bonheur à ceux dont ils sollicitent les voix et qu’ils ignorent
superbement aussitôt maintenus à leurs postes.
Restons dans le domaine sportif puisque c’est le
thème de cette contribution. Qu’ont fait les politiques pour développer
ce secteur ? Les installations sportives n’existent pas en nombre
suffisant. Dans un pays aussi jeune et débordant de vitalité, aucune
politique sérieuse n’a été menée pour permettre le développement
harmonieux, physique et mental, du jeune Algérien, selon l’adage bien
compris : « un esprit sain dans un corps sain » et l’émergence d’une
élite sportive nationale saine. J’entends par saine, une élite sportive
désintéressée, c’est à dire dont l’esprit est détourné de toute
considération pécuniaire excessive et démesurée, une élite très motivée,
rompant avec toute forme de dopage et désireuse de remporter des succès
légitimes et bien mérités. Où est-elle cette élite ?
L’Algérie a donc régressé depuis l’équipe alignée en 1982 en Espagne par Mahieddine Khalef
L’équipe nationale algérienne alignée au Brésil est
composée de 17 joueurs binationaux, des franco-algériens, si bien que
certains ont osé la formule « d’équipe nationale française bis ». Cette
année-là, et les joueurs et le coach venaient du cru, ce qui est loin
d’être le cas aujourd’hui. Cette critique ne vise pas les joueurs qui, à
un moment donné, ont dû s’exiler pour affirmer leur talent et
progresser dans un environnement favorable; elle vise les politiques qui
n’ont rien fait pour les retenir. Trouvez-moi donc un motif sérieux de
joie ou de fierté à tout ce cirque !
Quand on apprend qu’un imam a émis une fatwa autorisant les joueurs à rompre le jeûne4,
on ne peut que s’inquiéter du terrain perdu par la religion, car si la
rupture est légale pour un voyageur, elle ne l’est que pour la journée
du voyage. Que dire alors lorsque cette dérogation est accordée à un …
joueur ?
Quand on apprend que les autorités algériennes envisagent sérieusement de mettre en place un pont aérien5
pour transporter d’autres contingents de supporteurs en cas de victoire
contre l’Allemagne, on ne peut que réaliser l’ampleur de leur délire et
du désastre qui frappe ce pauvre pays.
Ce n’est pas verser dans l’algéro-pessimisme si cette
chronique s’attaque sans concession aux acteurs d’une politique
insensée atteints de surcroît de la folie des grandeurs, car tout est
question de priorités.
« Au lendemain de la fête, on se gratte la tête. » dit le dicton populaire
Au lendemain de ce mondial, les Algériens tomberont
de très haut. Ils retrouveront leur cadre de vie familier, avec un taux
de chômage effrayant, un pouvoir d’achat sans cesse érodé, une
urbanisation sauvage, un commerce informel parasitaire, la misérable hogra, la corruption et tous les autres fléaux abominables que j’évite de citer ici, en ce mois béni de Ramadan.
Sortiront-ils enfin de cette léthargie mortifère et
auront-ils la sagesse de s’unir toutes tendances politiques confondues
pour entreprendre une œuvre autrement plus exaltante et salutaire, celle
politique, de chasser du pouvoir l’équipe de mafieux actuellement à la
tête du pays et l’autre économique de reconstruction et de
développement ?
L’Algérie de l’Émir, de Ben-M’Hidi, Amirouche,
Abbane, Lotfi et tant d’autres de ses valeureux fils mérite mieux qu’une
banale victoire au foot.
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