Tous assis : sur un baril de poudre et sur un baril de pétrole
par Kamel Daoud
Le « changement ». Le mot ne change pas. Il est là, assis dans la tête, sans bras ni jambes avec sa
tasse de café froid et nos regards muets. Image d'entame. Car ce fut, encore
une fois, ce que l'on attendait. Depuis les premières photos de Messali. Quelque
chose de radical, profond, net et qui puisse faire redémarrer, en soi, l'envie
de vivre et de partager et de planter le drapeau sur la lune, au lieu de le
laisser planté derrière soi. En gros, le politique en Algérie se résume à deux
mots : changement/reconduction. Boutons On/Off. On
y va ou on retarde. C'est ce qui divise le pays dans la tête. On scrute « le
changement » dans la liste de nouveaux ministres, dans les rumeurs, les
élections et nominations et dans les images de préséances, à l'ENTV. Et on
parle de statu quo, de reconduite, de sursis, d'immobilité et de stabilité,
quand cela ne se fait pas. C'est le binaire algérien. Avec zéro et Un mais avec
l'addition des deux qui donne zéro. Cela arrive dans les pays où le « politique
» se résume entre la famille qui règne et la famille qui attend. Le IN et le
Out. Donc, pour cette fois, malgré soi et les pentes en soi et les évidences
que la terre est ronde, on a attendu un changement. Il ne vient pas. C'est la
même chose qui vous regarde dans le faux miroir de son insolence. Pourtant, il
y a de nouveaux prénoms, des promesses, des gens et cela ne convainc pas. On
attend, depuis si longtemps, qu'on a fini par attendre le radical, pas la
transition, le 1954 et rien de moins.
Bouteflika, assurera-il « le changement » ? Peu probable.
Il va continuer. Il s'est fait réélire pour ne pas « changer ». Car « changer »
aurait dû commencer par lui. On ne change pas les autres si on ne se change
pas. Donc, on continue. Et les hommes qui «entrent» t dans la machine,
peuvent-ils la changer ? Non, dit le manuel du scepticisme. Un peu, pensait
Hamrouche. Oui, crie Sellal. Le 4ème mandat a été vendu, contradictoirement,
comme mandat du « changement de la dernière chance » et comme
stabilité/immobilité. Contradiction dans l'emballage. Sauf qu'il y a l'autre
question terrible : on a tellement attendu le changement qu'on a oublié l'objet
du changement. Car la question est « changer en quoi ? ». Le Pouvoir, chez
nous, a fabriqué un désert où il trouve son pétrole pendant qu'on y cherche
notre eau. Il a détruit le changement comme concept clair. Il n'en reste que le
désir trouble et peu convainquant, pour la masse. On veut changer mais on ne
sait pas en quoi. Il y a si peu d'idées à offrir en posologie. Changer est,
désormais, un vieux souvenir qui s'efface pendant qu'on se répète. On a donc
peur et on ne sait pas quoi faire. On sait qu'il faut « changer », sinon on va
disparaître, mais on ne sait pas qui épouser : le vent fort, un autre père du
peuple, le virage dur de ce moment ou la ligne de son horizon, une barque, ses
chaussures ou son salaire ? Le système est, désormais, alimentaire : il tiendra
sans les prénoms et ses gens. Il est un consensus du moindre effort. On est,
tous, assis sur un baril de poudre mais on est, tous, assis sur un baril de
pétrole. Les deux à la fois. Le mélange. Rien ne change.
Le régime algérien est le régime alimentaire du peuple. Il
faut que ce dernier change pour que le premier s'évapore. On ne peut pas
changer son Président ou son pays tant qu'on n'a pas encore changé de menu.
C'est alimentaire.
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