«Promesses» du 4e mandat : parole, parole, parole...
Durant les 22 jours de campagne, les représentants du candidat
Abdelaziz Bouteflika ont multiplié les déplacements et les promesses :
la révision constitutionnelle, le réduction du service militaire, le
nouveau découpage administratif, la résolution de la crise à Ghardaïa et
l’aide pour les jeunes. Mais ces promesses sont-elles réalisables ? Des
spécialistes répondent.
- Révision constitutionnelle
«Il y aura en 2014 une révision de la Constitution qui instaurera une
véritable démocratie participative, où tous les Algériens auront à
prendre part à la gestion du pays. Il y aura aussi un élargissement des
prérogatives des élus et les droits de l’opposition seront consacrés», a
martelé Abdelamalek Sellal à Adrar. Il s’agit de «bâtir une république
rénovée en Algérie», dit-il à Blida. A Sidi Bel Abbès, il évoque
«l’édification d’une deuxième république qui sera cédée à la génération
post-indépendance».
Fatiha Benabbou, professeur à la faculté de droit d’Alger et spécialiste en droit constitutionnel
Déjà, la terminologie utilisée me gêne. L’expression «démocratie
participative» est inappropriée. Ce concept, s’il est à la mode,
participe d’un véritable imbroglio. Il demeure dans le flou conceptuel.
Quand à l’expression «seconde république», elle évoque un remaniement
profond qui affecte la nature du régime politique. Ce ne sera donc pas
un simple toilettage de la Constitution. Une telle révision
constitutionnelle peut être mise en place en 2014, mais cela dépendra de
l’ampleur du chantier mis en œuvre et surtout de la qualité des
participants, en l’occurrence, de leur compétence : l’ingénierie
constitutionnelle mobilise des techniques juridiques très précises.
Je serais tentée de vous dire tout est à réformer. Incontestablement,
une nouvelle architecture des pouvoirs doit être redessinée pour établir
la redistribution des pouvoirs.
Renforcer le rôle du Parlement est sans nul doute une priorité.
L’actuel Parlement fait face à une crise de confiance majeure. Aussi
faudrait-il arriver à dépasser le décalage entre la demande de
démocratie qui émane de la société civile et le modèle éculé en place…
Il faut également restituer au Parlement le pouvoir législatif,
actuellement partagé avec le président de la République. Inévitablement,
il faut donner la parole au maximum d’acteurs, en l’occurrence
politiques, mais ceux-ci ne sont plus dupes. Alors, au-delà de
l’écriture d’une nouvelle Constitution, il est indispensable de
réfléchir à une politique constitutionnelle. Ce qui signifie
concrètement, que tout objectif de reproduction de pouvoir, que
s’assigne une Constitution, doit nécessairement s’accompagner d’un
certain partage avec de nouveaux entrants. La révision constitutionnelle
doit être précédée d’un pacte politique et les partis légaux doivent y
être associés. Ils doivent au moins pouvoir accéder au cabinet
ministériel.
- Découpage administratif
«Incha Allah, El Eulma deviendra wilaya», promet Abdelamalek Sellal à
une assistance venue l’écouter à propos du découpage administratif. «Le
président-candidat compte opérer un nouveau découpage administratif. Des
daïras comme El Menéa (Ghardaïa), In Salah (Tamanrasset) ou encore Aïn
M’lila (Oum El Bouaghi) vont être promues au rang de wilaya»,
explique-t-il entre autres.
Abdeslam Ali Rachedi, président du parti non agréé Essabil
La solution n’est pas de créer de nouvelles wilayas. Il faut sortir de
ce système qui n’a pas changé depuis 52 ans. Ces annonces ne sont pas
suffisantes. Une refondation de l’Etat est nécessaire avec une réelle
décentralisation du pouvoir. Tout d’abord, les administrations doivent
avoir plus de responsabilités. Il faut augmenter le nombre de communes,
transmettre plus de prérogatives aux collectivités territoriales, donner
plus de pouvoir aux assemblées locales au détriment du wali et
régionaliser de façon rationnelle 3 ou 4 wilayas. Aujourd’hui, il y a
1500 communes dont 1200 sont structurellement déficitaires. Elles n’ont
aucun pouvoir et n’ont pas de budget. Lorsqu’une APC prend une décision,
elle doit être validée par le wali. L’élu est sous la tutelle de
l’administration. Les élus doivent avoir plus de pouvoir pour une
meilleure administration des habitants. Grâce à la décentralisation, on
peut instaurer une réelle démocratie. Ce sont des promesses
fallacieuses. L’ancien ministre de l’Intérieur, Noureddine Yazid
Zerhouni, avait déjà, à l’époque, promis de faire d’El Eulma une wilaya
et la promesse n’a pas été tenue.
- Jeunesse
Les promesses faites aux jeunes par le clan Bouteflika sont nombreuses.
Le 4e mandat est celui du passage de la génération de la libération à
la génération de l’indépendance. Ils promettent d’intégrer les jeunes
dans la prise de décision et de les aider davantage au quotidien. «Nous
allons multiplier les efforts pour permettre aux jeunes d’accéder aux
dispositifs Ansej et Angem», a répété à plusieurs reprises Abdelmalek
Sellal lors de la campagne.
Mourad Goumiri, président de l’Association des universitaires algériens pour la promotion des études de sécurité nationale
Il ne faut pas attendre du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, de
doctrine ni de stratégie, il est pragmatique et populiste. Il use et
abuse de dispositifs qui existent sur le terrain (Ansej, Angem) et il
tente de les étendre, tant que la manne financière issue de la rente
pétrolière le lui permet. Les messages de type «emploi et habitat» sont
toujours porteurs auprès des populations et en particulier auprès des
jeunes. Mais il faut distinguer le discours politique de sa réalisation
sur le terrain. La réalisation de ces promesses durant le quinquennat
n’est pas condamnable. Économiquement, c’est différent. Il va falloir
calculer au millimètre près les capacités de production nationale et
celle à importer dans les industries en amont du logement : celles
extractives (agrégats, sables et autres), celles des intrants (ciment,
acier, bois, peinture, électricité, vitrerie, plomberie sanitaire), la
production du foncier urbanisable (assiette de terrain, aménagements de
VRD, allocation des espaces, viabilisation), le financement et les
assurances des acquéreurs et des entrepreneurs et en aval, les
entreprises de réalisation, les capacités d’ingénierie (bureau
d’ingénieurs, d’architectes, d’urbanistes), la maîtrise (main-d’œuvre
qualifiée dans tous les corps de métiers du bâtiment), industrialisation
des techniques de construction, la cession des logements (traçabilité,
transparence et accès au marché immobilier). Force est de constater que
notre pays est loin d’atteindre la maîtrise et l’orchestration
intersectorielle exigée par l’ensemble du processus. Dès lors,
l’importation massive est la seule variable d’ajustement retenue par les
pouvoirs publics pour pallier ces manques et jusqu’à épuisement de la
manne pétrolière. Après c’est l’inconnu.
- Ghardaïa
Le 10 avril, Abdelmalek Sellal, directeur de campagne de Abdelaziz
Bouteflika, s’est rendu à Ghardaïa pour y sonner plusieurs meetings. Il a
affirmé : «La politique de Abdelaziz Bouteflika est axée sur
l’ouverture et le dialogue avec tous les citoyens. Après l’élection et
l’installation du nouveau gouvernement, je reviendrai et je resterai ici
jusqu’au règlement du problème.»
Brahim Dadi Hamou, notable mozabite et ancien fonctionnaire au ministère de la Jeunesse et des Sports.
La balle est dans le camp des responsables. Ils sont bien capables de
résoudre le problème. Il faut de la volonté. Les promesses sont faites.
On attend maintenant l’intervention de l’Etat sur plusieurs volets. Il
faut d’abord punir les gens qui ont provoqué cette pagaille, des
personnes connus des services de sécurité. Le second volet concerne
l’économie. De nombreuses maisons et commerces ont été détruits. Il faut
réévaluer et rembourser. L’Etat a promis 700 000 DA, mais il y a des
personnes qui ont tout perdu. Il faut ensuite que les personnes
responsables de la pagaille demandent pardon aux Mozabites très
affectés. Il faut demander pardon et se pardonner parce que la société
est à bout de nerfs.
Ahmed Mellakh, un des représentants des jeunes malékites
Le problème de Ghardaïa ne va pas se résoudre. Pas mal de choses se
sont passées avant les élections. Au début, on ne voulait pas voter dans
un Etat qui ne protège pas son peuple. Le jour du scrutin, on a eu peur
pour le pays et on a finalement accompli notre devoir. Ghardaïa a voté
pour Abdelaziz Bouteflika parce que c’est celui qu’on connaît le
mieux. 452 maisons malékites ont été brûlées. Les ravages sont immenses.
Les personnes qui sont intervenues voulaient un printemps arabe en
Algérie qui commence à Ghardaïa. Mais la situation est calme depuis
l’élection. Le problème de Ghardaïa ne peut se résoudre qu’avec ses
enfants et le gouvernement. Il y a à Ghardaïa une zone où l’Etat n’est
même pas encore entré. C’est là qu’il y a des problèmes et que les
responsables des pillages et des destructions se réfugient. On a peur,
on attend que l’Etat agisse, et on bougera.
- Service militaire
«Je viens d’apprendre que le gouvernement a décidé d’élaborer, sur
instruction du président Bouteflika, un projet de loi pour réduire la
durée du service national de 18 à 12 mois. Et cette année de service
national sera intégrée dans le calcul de la retraite des jeunes
appelés», déclare Sellal, le 12 avril à Tiaret. Il indique que le projet
prévoit également une revalorisation de l’indemnité attribuée aux
jeunes appelés du service national, sans donner plus de détails.
Akram Kharief, spécialite des affaires de défense
C’est une promesse purement politicienne et réalisable durant le
quinquennat. L’essentiel est que les hommes formés reçoivent leur 3 mois
d’instruction. Le reste n’est que bénéfique pour l’armée. La durée du
service militaire ne peut pas être inférieur à un an, car les soldats
formés ne pourraient pas être employés efficacement. Pour pallier la
réduction de la durée du service militaire, ils vont doubler les
effectives. L’actuel mobilisation des troupes aux frontières et à
l’intérieur du pays peut être soutenues avec l’application de cette
réforme. L’armée va renforcer les contrôles aux frontières et va durcir
la recherche des insoumis. De toute façon, l’ANP essaye de compenser le
manque d’hommes par l’utilisation beaucoup plus présente des nouvelles
technologies et une meilleure logistique. L’augmentation d’achats
d’avions, de transport et d’hélicoptères confirme cette tendance.
Hassiba Hadjoudja et Salsabil Chellali
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