-
Oussama Nadjib
-
mardi 6 mai 2014
"L’Algérie peut passer du modèle prédateur à celui
de la guerre" – Ahmed Benbitour sur Radio M
Pour
Ahmed Benbitour, les risques d'explosion sociale sont élevés si le
système de gouvernance n'est pas changé (Ph. Y. Boukettache)
L’ancien Premier
Ministre, Ahmed Benbitour, a estimé aujourd’hui, sur Radio M, que le
pouvoir algérien fait dans la fuite en avant en restant enfermé dans
«l’engrenage de la rente et de la prédation».
«On donne aux
algériens de fausses informations sur les ressources énergétiques
nationales en parlant de réserves alors qu’il faut parler en termes de
production qui est en baisse,» a lancé ce matin Ahmed Benbitour, invité
du « Direct » de Radio M, la web radio de Maghreb Emergent. Alors que la
vérité à dire aux algériens, est que les 2/3 de la production de
pétrole vient de Hassi-Messaoud et 2/3 du gaz de Hassi R’mel. « Et comme
on s’est engagé vis-à-vis de l’extérieur sur la base des réserves et
non sur la production, on a eu tendance à pomper en négligeant une
gestion raisonnable et le travail de maintenance, » a-t-il poursuivi. Ce
qu’il faut dire aux algériens est que la rente s’amenuise et que des «
années de disette » sont devant-nous.
Ahmed Benbitour s’est attaqué
au mythe du salut par le gaz de schiste qui est devenu le cœur du
discours « rassurant », sur l’avenir de la rente énergétique du pays. Il
fait valoir que le gaz de schiste est disponible partout dans le monde
et que son développement aura pour effet de créer une offre abondante et
donc de faire baisser les prix. Selon lui, le développement du gaz de
schiste dépendra aussi de l’existence d’une industrie de forage que
l’Algérie ne possède pas, contrairement aux Etats-Unis où, relève-t-il,
le coût de production est supérieur au prix de vente du gaz. Les coûts
d’extraction du gaz de schiste sont, en l’état actuel des choses, cinq
fois plus couteux que pour le gaz conventionnel. « L’option de gaz de
schiste n’est valable que dans la logique d’une recherche
d’autosuffisance, elle ne l’est pas dans l’esprit d’une rente, et c’est
tant mieux », a-t-il indiqué. L’ancien chef de gouvernement note que le
Conseil National de l’Energie ne s’est pas réuni depuis quinze ans, ce
qui constitue une aberration pour un pays aussi dépendant de ses
ressources pétro-gazières.
Les perspectives sont mauvaises
Pour
Ahmed Benbitour, le système de gouvernance actuel est devenu une vraie
menace pour l’avenir immédiat du pays. Les « perspectives d’avenir sont
mauvaises » et un « choc avec la rue », qu’il ne souhaite pas, est une «
probabilité forte ». C’est dans cette perspective qu’il situe l’action
de la CNLTD (Coordination nationale pour les libertés et la transition
démocratique » afin qu’elle offre une alternative. « L’explosion de la
rue est une probabilité » alors que le « pays va à la dérive » avec un
pouvoir qui ne cherche que des « réformes cosmétiques ». Pour lui, le
changement de gouvernement est sans intérêt, le président désignant qui
il veut sans en référer au parlement ou au Premier Ministre. Même la
présidence de la république n’échappe pas au délitement institutionnel. «
A la présidence, il y a un chef d’Etat mais de quel instrument
dispose-t-il ? » note Benbitour en relevant l’inexistence de département
de réflexion et de conseillers.
De modèle prédateur… à celui de la guerre
Pour
l’ancien chef de gouvernement, même au risque de paraître impopulaire,
il est du devoir de l’opposition d’éclairer la population des graves
risques encourus pour le pays. « On ne peut pas continuer à faire croire
à la population que les choses vont bien» alors qu’on va vers la
disette. Pour lui, le changement a un « coût conjoncturel » mais il est
moins lourd que celui du statuquo. « On va manquer d’argent dans les
prochaines années et il faudra, soit traiter les choses par une
suppression des subventions ou bien faire de la création monétaire avec
ses effets sur l’inflation ». La situation sera d’autant plus compliquée
que l’Algérie, en situation de déficit, n’aura même pas l’option de
passer par le FMI car elle ne sera pas capable d’emprunter sur le marché
international faute de garanties suffisantes. « Sur l’usage de la
rente, on a le modèle norvégien centré sur le développement de la
ressources humaines, le modèle du golfe qui va vers les dépenses de
prestige et le modèle de la prédation où se trouve l’Algérie. Il y a un
quatrième modèle, celui de la guerre pour la rente comme ce qui se passe
en Libye et en RD Congo ». Et, avertit Benbitour, « si la gouvernance
ne change pas, l’Algérie peut passer du modèle « prédateur » à celui de
«la guerre ».
Enregistrer un commentaire