par Kamel Daoud
| mai 1, 2014
Finalement
le
peuple va devenir plusieurs. Un peuple en Kabylie, avec une
histoire mais sans pétrole. Un peuple à Ghardaïa : avec un
Dieu mais deux religions. Un peuple à l’ouest avec un
Président mais qui a deux lieux de naissance. Un peuple à Alger :
c’est l’endroit où on vote le moins mais où habitent le plus
grand nombre d’élus. Un peuple au sud : avec du pétrole sous
le pied et du sable dans la main et du vent dans la bouche. Un peuple
Chaouï, avec beaucoup de militaires mais très peu de pouvoirs. Un
peuple des hauts-plateaux, avec des moutons, des minoteries mais sans
Larbi Belkheir et avec Belkhadem. On peut y ajouter d’autres
peuples aux peuples. C’est désormais facile, faisable. Chacun sa
solution : en Kabylie, certains veulent l’autonomie de la
Kabylie. En réaction au Régime qui a réussi l’autonomie du
régime face au peuple. Mais pour faire comme lui : exclure,
trier, se laver les mains, enjamber et ne plus se sentir concerné.
Certains se souviennent peut-être de la fameuse
lettre de Ronald Rumsfeld, le théoricien de la global-guerre
américain quand il a visité brièvement l’Algérie : il
avait adressé une lettre au « peuple d’Alger ». La
formule avait étonné des millions et a poussé les amateurs à
chercher le sens dans l’histoire algérienne Ottomane. Le ministre
avait peut-être compris, plutôt que d’autres, la nature du
pouvoir : un Dey entouré de janissaires soucieux. Une sorte de
« fratrimoine » sous forme d’un pays décolonisé mais
pas libre de droit. Donc « peuple d’Alger ». Il s’en
suivra d’autres : peuple du sud, de la Kabylie, de l’ouest,
de Ghardaïa et ainsi de suite. L’énorme effet centrifuge du règne
Bouteflika qui réduisit le système à un régime et le régime à
sa famille a eu, comme effet direct, un effet d’émiettement et des
rétractions vers les « origines » de chacun :
tribu, cage d’escalier, commerce, Oujda ou Annaba, confession ou
démissions. Chacun s’agrippe à son ancêtre faute de pouvoir
enfanter une terre pour tous. La cartographie des régionalismes,
longtemps tenue à la lisère du non-dit, devient un atlas national
assumé : on aura le Deylicat d’Alger, le Royaume restauré de
Koukou, la Zaouïa maritime de Ténès, la corporation de Tlemcen
avec la péninsule de Msirda comme nouvelle ENA, les Etats des
Puits-Unis au Sud, l’amicale des meuniers et minoteries des
hauts-plateaux et les peuplades Chaouis Fiers avec les Hordes ANSEJ
comme menace barbare ou le Conglomérat des importateurs. La Kabylie
sera reliée aux ancêtres, Alger au pétrole, Oran à Oujda, le sud
à AQMI et le Sahara aux USA et ainsi de suite.
Dérives sur un Nil asséché. Tout cela pour dire
que tout cela va s’accélérer. Il faut reconnaitre au règne du
Roi Assis d’avoir réussi à mettre fin à l’unanimité autour de
la nation pour le ramener à l’unanimisme autour de sa personne. Il
a restauré une monarchie et, du coup, dix Royaumes se réveillent et
réclament un territoire. Une nation meurt quand chacun rentre chez
soi vers un chez soi qui n’existera plus pour chacun, un par un.
Paradoxe du repli sur soi qui, en réclamant un pays pour chacun,
tombe dans un trou pour tous.
Et donc ? Apres El-Mouwahiddoune et El
Mourabitoune, on a El Mouradioune. Bref royaume assis et murmurant
qui précède notre morcellement. Le « Peuple » est la
seule entité qui, lorsqu’elle se dévore se multiplie et devient
plusieurs peuples.
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