Drones, DRS, réélection de Bouteflika : entretien avec Henry S. Ensher, ambassadeur des USA en Algérie
- le 8 mai 2014 n - Propos recueillis par Hadjer Guenanfa Barack Obama n’a pas félicité Bouteflika pour sa
réélection pour un quatrième mandat. Comment expliquez-vous ce
silence ? Nous avons toujours dit que le gouvernement américain va
travailler avec le président qui sera élu par le peuple algérien.
Et nous avons de bonnes relations avec l’Algérie. Le secrétaire
d’État américain John Kerry a effectué, quelques jours avant
l’élection, une visite en Algérie. Le secrétaire américain à
l’Énergie se rendra à Alger dans quelques jours pour participer à
la Foire internationale d’Alger et le président Barack Obama a
envoyé une invitation au président Bouteflika pour assister au
sommet États-Unis-Afrique. Nous n’avons pas jugé nécessaire de
faire une déclaration sur l’élection présidentielle. Ce silence est-il un désaveu pour Bouteflika ou veut-il
dire que cette présidentielle n’avait finalement aucun intérêt
pour les États-Unis ? Ni l’un ni l’autre ! Le secrétaire d’État américain
a visité l’Algérie trois fois au cours des deux dernières années
(deux visites effectuées par Hillary Clinton et une visite effectuée
par John Kerry). Cela prouve que l’Algérie est un pays
important pour les États-Unis. Et encore une fois, le président
Bouteflika a été invité par le président Obama pour assister au
Sommet US-Afrique. Il y a aussi un échange régulier de visites et
nous jugeons que les relations avec l’Algérie sont très
importantes. La visite de M. Kerry a été critiquée par l’opposition
qui y voyait un soutien au président-candidat… Quand le secrétaire d’État Kerry s’est rendu à Alger, M.
Bouteflika était le président et il y avait un gouvernement
algérien. Des dossiers étaient inscrits à l’ordre du jour.
D’ailleurs je vous renvoie au communiqué final du dialogue
stratégique entre les deux pays. Mais bien sûr, il y a eu des
interprétations politiques concernant cette visite intervenant en
pleine campagne électorale. Nous avions des dossiers à discuter
durant cette visite dont le report n’a pas été possible compte
tenu de l’agenda de M. Kerry. Les Américains donnent l’impression de soutenir le
statu quo… Le peuple algérien avait l’opportunité d’exprimer son
opinion. Il l’a fait le 17 avril. Le gouvernement algérien sent la
nécessité de mener des réformes administratives et
gouvernementales. Des réformes que les États-Unis soutiennent. Le
peuple algérien et la société civile aimeraient bien être
impliqués dans ces réformes d’une manière transparente et les
États-Unis soutiennent ces efforts. Avez-vous des inquiétudes quant à la succession de
Bouteflika et aux tensions claniques au sommet de l’État
algérien ? Il y a pas mal d’interprétations dans cette question. Je
vous dirai simplement que les Américains travailleront avec tout
président élu de manière légitime par le peuple algérien, et ils
vont continuer à le faire quoi qu’il arrive et tant que le
président est élu à travers un processus constitutionnel. M. Kerry a souhaité des élections transparentes en
Algérie lors de sa visite. Est-ce qu’elles l’ont été, selon
vous? Finalement, ce n’est pas l’opinion des Américains qui compte.
Le peuple algérien a choisi son président. Un gouvernement a été
installé et les observateurs internationaux ont jugé que le
processus électoral était bon. À travers mes contacts et mes
déplacements en Algérie, j’ai constaté que le président
Bouteflika est populaire. Quel est le regard des USA sur les droits de l’Homme en
Algérie qui font l’objet de critiques de la part des ONG ? Ce que nous pensons est inclus dans le rapport annuel des droits
de l’Homme du département d’État. Concernant mes appréciations
sur le sujet, je pense que les Algériens sont généralement libres
dans le sens où il n’y a pas de peur ou de menaces sur leur vie.
Chose qui constitue un droit essentiel de l’être humain. Cela
n’était pas possible il y a quelques années. Mais il y a
également la question relative à la liberté d’expression et
d’association. Si les Algériens veulent changer ou réformer le
système, ils doivent bénéficier de la liberté de s’associer et
de s’organiser de manière efficiente. Les changements opérés au sein du DRS ont-ils impacté
la coopération antiterroriste avec l’Algérie ? Honnêtement, non. Il n’y a pas eu d’impact. Nous avons une
coopération entre institutions et il y a des accords entre les deux
gouvernements. Ce n’est pas une relation qui dépend des personnes.
Ainsi, je peux vous assurer que notre coopération et notre
relation progressent et se développent. Et le gouvernement américain
soutient les efforts de l’Algérie pour stabiliser et sécuriser la
région. L’Algérie est un pays stable et joue un rôle très
important de leadership dans la région. Les États-Unis saluent les
formations et l’assistance offertes aux pays voisins et pas
uniquement sur le plan sécuritaire. Il y a également l’assistance
sur des plans notamment financiers comme cela a été le cas avec la
Tunisie. Avez-vous de nouveaux interlocuteurs dans le domaine de la
lutte antiterroriste ? Je n’ai pas à rentrer dans ces détails. Est-ce que les USA sont prêts à fournir des armes et des
équipements militaires à l’armée algérienne dont des drones par
exemple ? L’objectif des États-Unis est de développer la coopération
sécuritaire avec l’Algérie et d’aller vers une coopération en
matière de défense. Cela inclut la vente d’équipements
militaires. C’est un processus très complexe parce qu’il y a des
lois qui régissent le transfert des équipements militaires à nos
alliés. Les États-Unis continuent à se concerter avec le
gouvernement algérien sur ce sujet. Le transfert de ces équipements doit se faire en conformité avec
les lois américaines et les lois algériennes, et les États-Unis
sont conscients du respect de la souveraineté algérienne et de son
principe de non-ingérence. Pour les appareils pilotés à
distance (drones, ndlr), les États-Unis ne vendent pas
d’appareilsarmés pilotés à distance à
d’autres pays. Par contre, ils vendent des appareils non armés
pilotés à distance. L’Algérie est un pays très vaste et prenant
en considération la menace sécuritaire posée, le contrôle des
frontières fait partie du domaine de coopération entre l’Algérie
et les États-Unis. Un véhicule piloté à distance ne suffit pas
pour la surveillance des frontières. Il est nécessaire d’avoir
une approche systémique pour les sécuriser. En quoi consiste cette approche systémique ? Nous n’avons pas d’accord pour la surveillance conjointe des
frontières. Et l’utilisation des appareils pilotés à
distance est juste un élément dans cette surveillance qui nécessite
un système aérien, un système de patrouilles mobiles, une
coordination entre les différents services de sécurité, le
contrôle des mouvements des personnes et des véhicules, etc. Les États-Unis peuvent-ils vendre des drones non armés à
l’Algérie ? Oui, c’est possible. Il y a des discussions en cours entre les
gouvernements algérien et américain concernant ce sujet. Le Conseil de sécurité de l’ONU a prolongé la mission
de la Minurso au Sahara occidental mais sans élargir son mandat aux
droits de l’Homme, comme réclamé par des ONG… Nous avons toujours dit que les États-Unis soutiennent le
processus des Nations unies et qu’ils continueront à le soutenir.
Notre politique est reflétée dans notre vote de la résolution en
question. Aussi, il faut avoir une vue globale de la situation
au Sahara occidental. Il y a eu un rapport du secrétaire général
de l’ONU sur le Sahara occidental où il a parlé de la situation
des droits de l’Homme. Il y a également un engagement du
gouvernement marocain. Et les États-Unis feront attention à cet
aspect. En 2013, les Américains avaient présenté un texte pour
l’élargissement du mandat de la Minurso avant de faire machine
arrière… Les États-Unis soutiennent les droits de l’Homme des Sahraouis.
Et la politique américaine est claire là-dessus. Il y a des
consultations avec toutes les parties concernées y compris avec les
ONG, américaines et celles des autres pays. La résolution et le
rapport (du SG de l’ONU) font référence aux droits de l’Homme
au Sahara occidental d’un côté et dans les camps de réfugiés à
Tindouf d’un autre côté. Ceci dit, les États-Unis saluent les
efforts de l’Algérie pour l’inclusion d’un mécanisme dans les
camps de Tindouf. Est-ce que la situation au Sahel s’est améliorée
depuis l’intervention française au Mali ? La situation a changé après l’intervention française. Les
groupes terroristes qui étaient présents au Nord-Mali comptaient
aller au centre de ce pays. Le Sahel n’est pas stable d’où
l’importance de la coopération avec les pays de la région et avec
l’Algérie. Les investisseurs américains ne sont pas très présents
sur le marché algérien. Pourquoi ? D’abord, il y a 330 millions d’Américains, 180 millions de
Mexicains en plus des Canadiens. Les sociétés américaines
concentrent leurs efforts sur le marché domestique qui comprend donc
les États-Unis, le Canada et le Mexique. Quand elles envisagent
d’investir outre-mer, elles prennent en considération le choix
d’un grand pays où il y a d’énormes opportunités et un
potentiel et c’est le cas de l’Algérie. Dans les milieux
économiques américains, l’Algérie n’est pas très connue.
L’ambassade et le gouvernement américains sont en train de la
faire connaître. Et nous avons déjà des succès qu’on a pu
réaliser. Je vous citerai l’exemple de General Electric, des
sociétés de construction et des bureaux d’études et de conseil.
Je pense qu’il y a un intérêt croissant pour le marché algérien
mais certains obstacles à l’investissement persistent. Quels sont ces obstacles ? D’abord, il y a le système douanier. C’est extrêmement
difficile de ramener des équipements ou des produits. La question
relative à la propriété intellectuelle qu’il faut respecter. Il
y a également le système bancaire et les lois sur le transfert des
dividendes. Ensuite, la loi 49/51 qui est toujours un obstacle à
l’investissement. Vu la concurrence au niveau mondial pour attirer
les investissements directs étrangers, l’Algérie doit rendre son
environnement d’affaires compétitif. Mais je suis optimiste
concernant les investissements américains en Algérie, parce qu’il
y a un engagement du gouvernement algérien pour réformer son
économie.
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