Au début
des années 2000, le ministre russe des Affaires étrangères, Igor Ivanov
(1998-2004), déclarait «nous avons deux alliés, le pétrole et le gaz»
procédant tout à la fois au décollage économique du pays et à une
multiplication par six de la rente énergétique avec pour
conséquence l'augmentation des réserves de la Banque fédérale et le
désendettement de la Fédération de Russie, deuxième producteur mondial
de pétrole derrière l'Arabie Saoudite et premier producteur
et exportateur de gaz naturel avec 45 milliards de mètres cubes de
réserve, soit 25% des réserves mondiales, et une production de 607
milliards de mètres cubes en 2007.
Si, l'élection présidentielle algérienne du 17 avril 2014,
représente à l'évidence un carnaval démocratique avec la candidature
controversée d'Abdelaziz Bouteflika (1999-2014), pour un quatrième
mandat, conforme pourtant à la Constitution de 2008, alors votée
massivement par les députés de l'Assemblée populaire nationale,
introduisant la levée de la limitation du nombre de mandats
présidentiels; elle révèle avec acuité les nouveaux enjeux
géopolitiques de la région saharo-sahélienne à la faveur tant des
progrès techniques que de l'augmentation des cours des hydrocarbures
dans la perspective de l'exploitation de nouveaux gisements attisant les
conflits ou à tout le moins les tensions aux échelles nationale et
globale.
Les médias qui agitent ad nauseam le risque d'une dérive monarchique
de l'actuel Président de la République qui incarnerait une certaine
cupidité politique[1] avec une obsession absolutiste de «la verticale du
pouvoir», s'éloignent à plus d'un titre des vrais enjeux liés à la
problématique du contrôle des ressources énergétiques dans une région
hautement stratégique. En effet, quelle que soit l'approche retenue de
la critique du cadre politique de l'Etat algérien devant l'injonction au
pluralisme politique et aux élections libres, la question énergétique
apparaît centrale car éminemment géopolitique compte tenu des enjeux de
pouvoir et des rivalités qui en résultent constituant un élément clé des
recompositions territoriales aux dépens du cadre de l'Etat-nation qui a
perdu «le monopole de la violence» («Gewaltmonopol»[2]).
De ce fait, la question des élections présidentielles en Algérie ne
peut se réduire à la seule dimension endogène, particulièrement devant
l'émergence de nouvelles formes de gouvernance ainsi que la place
croissante prise par la question des ressources stratégiques surtout
dans le contexte de la mondialisation.
Il faut mesurer d'emblée l'ampleur de cette problématique
du délitement de l'Etat wesphalien à travers la diversité des acteurs,
institutions internationales et nationales, populations et collectivités
locales, associations, firmes pour l'essentiel, car à la suite du
géographe français Jean Gottmann, «la question du cloisonnement de l'espace géographique commeenjeu central de la géographie politique» ne repose plus uniquement sur la dimension territoriale étatique mais sur des échelles spatiales et des acteurs composites [3].
Ainsi, la mondialisation modifie le jeu des échelles, les acteurs,
les formes et les règlements des conflits procédant de la multiplication
des réseaux transnationaux, des revendications des
acteurs infra-étatiques et des nouvelles formes de régulation
supranationale au nom du droit d'ingérence (au sens du philosophe
français Jean-François Revel (1979) ) dans le double contexte de la
concurrence accrue pour les ressources (renouvelables et
non-renouvelables) et de la circulation instantanée de l'information via
Internet.
Alors que l'après Seconde Guerre mondiale est marquée par une
disqualification de la guerre désormais proscrite par la droit
international, la Charte des Nations Unies de 1945 a enlevé aux Etats «le droit légitime de la violence» pour
ne laisser que celui de la légitime défense. Ainsi, la guerre
d'agression est devenue un crime sinon un euphémisme sous l'expression
«guerre asymétrique».
Bref, autant d'éléments qui montrent les effets de la mondialisation
sur les territoires et partant les conflits, évoqués par le géographe
français Paul Claval lors de la 19e édition du Festival International de
Géographie de Saint-Dié-des-Vosges en 2008 dont le thème fut «Entre guerres et conflits: la planète sous tension».
Faut-il, par conséquent, voir dans la tentative de déstabilisation de
l'Algérie le rôle de «gendarme du monde» [4] incarné par les pays dits
développés avec l'exportation de la guerre sur des terrains extérieurs
comme nouvelle forme de domination des pays riches dans la phase
post-coloniale dépassant la confrontation traditionnelle interétatique
des «boules et du billard»?
A l'évidence, l'Algérie dispose d'un potentiel énergétique encore
largement inexploité attisant les convoitises des pays industrialisés à
travers notamment «la guerre des tubes» loin des principaux foyers de
peuplement. Dans ces conditions, nul n'ignore le rôle dans la région
saharo-sahélienne des puissances économiques et militaires, précisément
des Etats-Unis où toutes les équipes de campagne comportent des
géographes maîtrisant la cartographie et surtout ayant une
bonne connaissance du terrain notamment grâce au SIG (Système
d'information géographique) qui permet aux politologues d'aborder la
dimension spatiale des conflits sinon des tensions géostratégiques
dominants dans le sud de l'Algérie où sont localisées les principales
réserves d'hydrocarbures.
D'un côté, les grandes puissances économiques et militaires veulent
contrôler cette région pour assurer leur approvisionnement notamment
devant la menace terroriste (AQMI) pesant sur les voies d'acheminement
(oléoducs et gazoducs) et les champs pétrolifères; de l'autre, elles
contribuent à la déstabilisation du pays face à la crainte malthusienne
des restrictions énergétiques imposées par lepays producteur, d'une part
par la loi de 2009 dite 51/49 qui plafonne à hauteur de 49%
les participations étrangères au capital des entreprises tant dans les
secteurs stratégiques que nonstratégiques et d'autre part par la
stratégie de l'OPEP, consécutive à la guerre israélo-arabe du Kippour et
partant au choc pétrolier de 1973, ayant favorisé notamment la
nationalisation de l'entreprise pétrolière Sonatrach en 1974.
Toutefois, la très forte dépendance de l'économie nationale
algérienne à l'égard du marché mondial, représentant environ 97% des
exportations en 2012, augmente la vulnérabilité économique du pays qui,
de ce fait, ne peut résister à l'influence des grandes compagnies ainsi
qu'aux tentatives de déstabilisation ce qui explique le choix de la
stabilité politique à la faveur de la popularité du Président-candidat
et face à la crainte d'une diffusion des révoltes tunisienne et
égyptienne.
De plus, le nouveau «grand jeu», reliquat du «Great Game», en
d'autres termes les rivalités entre la Russie et la Grande-Bretagne en
Asie centrale au XIXe siècle rapportées sous l'angle romanesque par
Rudyard Kipling, dans Kim (1900), mené en Méditerranée par les grandes
puissances économiques et militaires au premier rang desquelles la
France et dont le premier acte fut marqué par la chute de Mouammar
Kadhafi en 2011, vise au contrôle des ressources énergétiques et
de l'Afrique largo sensu, théâtre géostratégique du «Scramble for
Africa» depuis le Congrès de Berlin de 1884-1885; comme en témoigne la
guerre civile en Angola entre 1975 et 2002 qui opposa le MPLA marxiste
à l'UNITA soutenue par les Etats-Unis qui entendaient introduire les
majors dans le pays dans le double contexte d'indépendance à l'échelle
nationale et du «containment» dans le cadre de la Guerre froide à
l'échelle mondiale.
Aussi les Accords de Sykes-Picot de 1916, qui constituaient un
partage des zones d'influence au Proche-Orient entre la France et la
Grande-Bretagne, les deux principales puissances
territoriales, étaient-ils alors guidés par des intérêts
pétroliers. Plus encore, la deuxième guerre d'Irak dite «Guerre du
Golfe», déclenchée à la suite de l'invasion du Koweït par les troupes de
Saddam Hussein, est liée à l'enjeu pétrolier.
En effet, l'Irak, qui revendiquait des droits historiques sur
l'émirat (libéré de l' «indirect rule» britannique en 1961), accusait
dans le même temps son voisin méridional de pomper une nappe située en
partie sur son sous-sol et surtout de produire en trop grande quantité
avec pour conséquence la baisse des cours dans le contexte lancinant de
crise économique et morale à la suite de la guerre Iran-Irak
(1980- 1988). En sus, une mainmise sur les ressources pétrolières du
Koweït aurait permis à l'Irak de prétendre à la position d'hégémôn sur
le marché du pétrole. Dans ces conditions, il devient aisé de comprendre
l'intervention états-unienne et surtout la facilité avec laquelle les
Etats-Unis ont pu réunir (entre le 2 août 1990 et le 28 février 1991)
une coalition internationale pour la libération du petit émirat vassal.
Par conséquent, l'examen du conflit qui oppose actuellement à
Ghardaïa, dans la vallée du M'Zab, les communautés Ibadites/Mozabites
d'une part et Malikites/ «Arabes» d'autre part, conduit à une réflexion
sur les représentations du «territoire politique et symbolique» (au sens
du géographe français Guy di Méo) comme théâtre des antagonismes
ancestraux réactivés, selon la Secrétaire générale du Part des
Travailleurs (PT) et candidate à l'élection présidentielle, Louisa
Hanoune, par la présence de «forces occultes» d'origine exogène
notamment depuis la création du front sahélien à la suite de
l'intervention militaire de la France en janvier 2013.
Dans ce but, c'est en tant que militant des droits de l'Homme que
Kamel Eddine Fekkar, médecin de formation, se présente à l'émission
Controverse de Khaled Drareni du 8 janvier 2014. Dès lors, l'équation
identité-territoire est un puissant moteur polémogène conduisant à
des antagonismes par l'instrumentalisation de l'identité nationale et/ou
ethnico-religieuse en désignant un adversaire intérieur. Arjun
Appadurai[5] insista, en ce sens, sur la crise du lien entre l'Etat et
les minorités sociologiques ainsi que sur la marginalisation de l'Etat
par les formes prises par la mondialisation avec l'affirmation des
réseaux terroristes conduisant en Algérie à une porosité des frontières
et à une plus grande dépendance à l'égard de la ressource énergétique.
Plus encore, le sociologue indien souligna le double phénomène de
réticularisation et de déterritorialisation dans le cadre des conflits
ethnico-religieux aux échelles diatopique et diachronique (au sens du
géopolitologue Yves Lacoste), dans le cas d'espèce, par la présence
notamment d'ONG (Organisations non gouvernementales) étrangères
instrumentalisant les antagonismes communautaires pour prospérer et
ouvrir, pour le compte des majors du secteur énergétique qui les
financent, un front intérieur (selon le principe ancien «Carthago
delenta est» attribué à Canton l'Ancien lors des Guerres Puniques du IIe
siècle avant notre ère) mettant ainsi en interaction de manière
réticulaire une nébuleuse économico-droits de l'hommiste mondiale et des
populations locales dans le contexte du délitement de l'Etat.
Aussi, la fragmentation urbaine de Ghardaïa est-elle l'expression à
l'échelle locale de la mondialisation et partant les nouvelles formes de
recomposition territoriale conduisant notamment le géo-politologue
François Thual à se demander «si le 21e siècle ne sera pas celui de
la balkanisation politique de la planète en réaction à la mondialisation
et de la retribalisation du monde?» devant la montée des nationalismes
identitaires, source de conflits «d'antériorité» revendiquant une
occupation ancestrale de territoires pour lesquels des groupes et des
ethnies sont décidés à se battre pour affirmer leurs droits selon les
principes kantiens repris par Woodrow Wilson en 1918.
Plus encore, selon la thèse structuro-réaliste[6], la naissance puis
le déclin des grandes puissances, processus historique inexorable et
conflictogène, entraînant des déséquilibres et des recompositions dans
les rapports entre pays du Nord aux dépens du principe du «balance of
power», impliquent uneredistribution des puissances et partant
l'ascension de nouveaux Etats forts modifiant la stabilité du système
international, eu égard à la montée en puissance des BRIC (Brésil,
Russie, Inde, Chine) dont le statut fut défini par le Rapport de Goldman
Sachs de 2003.
[1] Alfred Jarry, Ubu roi, 1896.
[2] Max Weber, Le Savant et le politique, 1917-1919.
[3] Jean Gottmann, The significance of t erritory , 1973.
[4] Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessborad: American Primacy and its Geostrategic
Imperatives, 1997.
[5] Arjun Appaduraï, Fear of Small Numbers: An Essay on the Geography of Anger, 2006.
[6] Kenneth Waltz, Theory of International Politics, 1979.
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