Opposition : Le retour de bâton
Manifestants poussés dans les escaliers, militants incarcérés pendant
plusieurs jours, étudiants traînés sur le sol et frappés à coup de
bottes. Depuis une semaine, les forces de l’ordre ne prennent plus de
gants. Leur cible : les contestataires.
La manifestation de Barakat mercredi dernier, la marche pour le 34e
anniversaire du Printemps berbère, l’arrestation de deux militants…
Depuis une semaine, le pouvoir a durci ses réponses à la contestation.
Le politologue Rachid Tlemçani estime : «La gestion violente des
événements de Tizi Ouzou, Ghardaïa ainsi que l’arrestation des membres
du mouvement Barakat et des autres ONG ont révélé l’étendue de la crise
au sein de la classe des oligarques et des intouchables.» Pour Halim
Feddal secrétaire général adjoint de l’Association nationale de lutte
contre la corruption, «le clan Bouteflika est très fragile et familial,
il s’est octroyé tous les pouvoirs. Ce clan hermétique et restreint a
réussi à rassembler tout le monde contre lui. Il s’est fait beaucoup
d’ennemis à cause de la gestion catastrophique du pays : la mauvaise
gouvernance, la corruption généralisée et le climat d’impunité.» Et
d’ajouter : «L’élection présidentielle est cruciale : c’est un moyen de
confirmer sa pseudo-légitimité vis-à-vis de l’étranger. Il s’est
finalement attribué une légitimité par la fraude.» Rachid Tlemçani
poursuit : «C’est la première fois qu’une opposition ferme, ouverte et
publique s’est constituée contre le clan présidentiel.
Le pouvoir se recroqueville sur lui-même et actionne les vieux réflexes
du système autoritaire.» Soufiane Djilali, président du parti Jil
Jadid, fait le même constat : «Le pouvoir a été remis en cause. Il perd
pied, la fraude a eu raison du soutien populaire.» Kamel Benkoussa,
ex-candidat à l’élection présidentielle, estime, quant à lui, que «le
régime a peur de se faire dépasser par la propagation des revendications
citoyennes sur le territoire national. Nous assistons à la naissance
d’un réel éveil citoyen en Algérie. Le régime qui ne comprend pas le
peuple algérien, retombe donc facilement dans ses vieux travers en
faisant usage de la force».
Réponse politique
C’est aussi l’avis de Moussa Touati, arrivé dernier du scrutin. «Le
pouvoir a quelque chose à se reprocher. La fraude est la raison pour
laquelle l’Etat veut empêcher toute manifestation avec une telle
violence», développe-t-il. Selon Soufiane Djillali, la répression était
prévisible : «Face à une opinion publique qui s’éloigne et à une
opposition de plus en plus en forte, le pouvoir panique. Après une
utilisation abusive des moyens de l’Etat durant la campagne, le peuple
n’a plus confiance. On assiste à la mise en place de la phase finale
impliquant la force brutale. Quand on a moins de carottes dans le
panier, on multiplie les coups de bâton». Halim Feddal rejoint cette
analyse : «Un régime sans légitimité populaire n’a que la répression
comme moyen de dialogue avec le peuple.»
La jeunesse et internet sont perçus comme une menace pour le pouvoir,
selon Kamel Benkoussa : «Le régime a peur de cette société civile
‘‘virtuelle’’, qui est aussi capable de se mobiliser dans la rue.
D’ailleurs la vitesse de propagation de la vidéo de Tizi Ouzou sur les
réseaux sociaux a provoqué une telle indignation et les autorités ont dû
réagir.» La violence à Tizi Ouzou était pour lui un choix calculé du
régime. «Le pouvoir a fait le choix, sciemment, de réprimer la
manifestation pacifique à Tizi Ouzou. Il ne pouvait pas empêcher avec
force les manifestations dans tout le pays vis-à-vis de l’opinion
internationale. Il se serait mis à mal avec ces puissances qui ont
soutenu cette élection. Ainsi, les événements de Tizi Ouzou apparaissent
simplement comme des dépassements locaux», soutient Soufiane Djilali.
Pourtant, «le message est destiné à tous les Algériens», dit-il. Même
si l’appareil sécuritaire a atteint ses limites depuis bien longtemps,
la répression a été terrible à l’égard de jeunes manifestants
pacifiques, regrette Rachid Tlemçani, qui insiste : «La violence n’est
pas la solution.» Kamel Benkoussa se montre pessimiste : «Les
répressions à venir seront très certainement l’élément déclencheur qui
incitera les différentes formations politiques démocratiques à dépasser
leur ego et à se fédérer derrière la société civile et devenir, enfin,
une réelle force d’opposition.» «La jonction entre le mouvement social
d’une part et la récente contestation électorale politicienne d’autre
part est en train de façonner une nouvelle dynamique conflictuelle. Il
est de l’intérêt du clan dominant de prendre en considération cette
nouvelle réalité, prévient aussi Rachid Tlemçani. L’Algérie de
Bouteflika 4 est différente des précédentes. Elle est bien décidée à
crever l’abcès. Le grand dérapage qui guette le pays deviendrait plus
problématique que la crise sécuritaire des années 1990. La nouvelle
conflictualité en perspective serait préjudiciable pour tous les
Algériens, y compris ceux qui ont expatrié des capitaux à l’étranger au
détriment de l’investissement national productif. Veut-on mettre le feu
aux poudres ?»
Tayeb Belaïz : «Des actes isolés»
Le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et des Collectivités
locales, Tayeb Belaïz, a affirmé hier que les «dépassements» émanant
d’agents de police le 20 avril dernier à Tizi Ouzou relevaient de
comportements «exceptionnels» et d’«actes isolés». «Les corps de
sécurité sont tenus par le respect rigoureux des lois de la République
dans toutes leurs interventions», a précisé le ministre lors d’une
conférence de presse qu’il a animée à l’issue d’une visite de travail et
d’inspection à la direction des unités républicaines d’El Hamiz. Pour
le ministre de l’Intérieur, «les corps de sécurité ont fait montre d’un
haut degré de professionnalisme dans le traitement des émeutes,
manifestations et marches dans certaines wilayas». «Le directeur général
de la Sûreté nationale, le général-major Abdelghani Hamel, a ordonné
qu’une enquête soit ouverte à ce sujet et je pense que les personnes
impliquées dans les dépassements ont été suspendues de leurs fonctions
par mesure préventive», a indiqué Tayeb Belaïz.Selon lui «l’enquête suit
son cours» et si des «preuves corroborent les faits signalés, ces
personnes seront déférées devant la justice comme tous les citoyens».
«L’Etat a accompli son devoir et les services de sécurité sont tenus par
le respect de la loi. L’agent de police est le premier à qui incombe le
respect de la loi et la préservation de la dignité des citoyens»,
a-t-il martelé. «A défaut de plainte, des sanctions administratives
seront imposées aux personnes impliquées», a ajouté le ministre. Le DGSN
a instruit, lundi, les autorités compétentes d’ouvrir une enquête
urgente sur le contenu d’une vidéo montrant des agissements de policiers
contraires à l’éthique professionnelle dans la wilaya de Tizi Ouzou.
A Ghardaïa, un responsable mozabite sous contrôle judiciaire
Il fait pourtant partie des «modérés», selon des observateurs des
violences à Ghardaïa. Khodir Babbaz est membre du FFS et de la cellule
de coordination et de suivi, qui observe les poussées de violence dans
la ville. Cet habitant mozabite a également des responsabilités au sein
de l’association locale des commerçants. Mardi, alors qu’il se rend au
commissariat pour aider un habitant du quartier de Melika, il est arrêté
par la police et incarcéré. «Je suis allé au commissariat n°1 pour
demander les raisons de l’agression sur cet homme de Melika. Les
policiers m’ont insulté et frappé et j’ai été arrêté», raconte-t-il.
Les forces de l’ordre l’accusent d’avoir agressé et frappé des agents.
Lui soutient que c’est tout le contraire : «Une fois à l’hôpital, un
policier m’a dit : ‘Maudit soit l’Etat qui vous donne votre liberté, si
j’avais le pouvoir je boirais ton sang.’ Le deuxième policier, un
inspecteur, a poursuivi : ‘Celui pour qui tu as voté ne pourra rien pour
toi’.» Après la visite médicale, Khodir Babbaz est ramené au
commissariat où il passe la nuit de mardi à mercredi en garde à vue
avant d’être présenté devant le procureur. Il est relâché mais placé
sous contrôle judiciaire.
Sur place, on ne comprend pas ce qui s’est passé. «Khodir Babbaz est un
représentant mozabite correct qui n’a jamais appelé à la violence,
contrairement à certains. Si lui est attaqué par les forces de l’ordre,
ce sont tous ceux qui résistent à l’appel à la violence qui vont être
fragilisés», commente un observateur. «Je n’accuse pas tous les
officiers, mais il y a des policiers qui veulent que la situation
s’empire. Je pense qu’ils ont pour but de l’aggraver», témoigne Khodir
Babbaz qui met directement en cause le chef de la sûreté et cinq de ses
hommes. Ces nouveaux événements accentuent le sentiment de manipulation
de certains notables mozabites. «Cela fait 4 mois que la population
demande une commission d’enquête et il n’y a rien. Tandis que des
policiers ont eu des promotions après des bavures», déplore-t-il.
Leïla Beratto
Hassiba Hadjoudja
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