ELWATAN-ALHABIB
lundi 14 avril 2014
 

Ni glaciation, ni guerre civile, ni attentisme pour notre pays

Une urgente seconde République et un légitime pouvoir de salut public !

 

 

 

 

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le 14.04.14
zoom | © Souhil. B.

Encore une fois, devant la gravité et l’urgence de ce qui se passe en Algérie à l’occasion de cette psychédélique «élection présidentielle 2014», je ne peux m’empêcher de penser que ce serait criminel, de la part de tout Algérien qui se respecte, de surcroît revêtu du privilège de faire un métier d’intellectuel comme j’en ai l’honneur et le privilège, de demeurer indifférent, encore moins silencieux.

Levons tout d’abord une tenace ambiguïté à mon sujet, ambiguïté qui me fait de la peine et qui est injuste, entretenue par certains milieux que cela arrange afin de discréditer mes «dérangeants» discours et interventions en me faisant la réputation d’être un «arriviste» qui a «fui l’Algérie pour mener la belle vie ailleurs», doublé d’un nostalgique dangereux cryptocommuniste, sous-produit d’un non moins dangereux cryptoboumédiéniste.
Tous ceux qui me connaissent savent — j’explique cela en détail dans Algérie, entre l’exil et la curée, paru en 1989) — que j’ai été, de diverses mais fermes et efficaces façons, poussé vers la porte de sortie de mon pays dès le milieu des années 1970. C’était la mort dans l’âme et le cœur déchiqueté que ma famille et moi avons pris la voie de l’exil. Avec nos têtes et nos tripes, nous vivons toujours au sein de ce pays que nous aimons sans limites. La plaie est vive et ne se fermera jamais, pour ce qui me concerne. Quant au cryptoboumédiénisme, innombrables sont les témoins qui pourraient attester du fait que j’étais l’un des plus précoces amères critiques de ce système, alors que beaucoup de ceux qui m’en accusent en étaient de zélés adeptes et profiteurs.C’est donc en Algérien, en simple et total Algérien que je lance ce cri à mon pays et à ceux qui pourraient intervenir, avant que ne soit ouverte la voie au pire, afin de stopper immédiatement cette macabre mascarade électorale et tenter de nous mettre sur des pistes qui pourraient sauver le futur.
Quelle que soit la personne «élue» avec l’actuel «système algérie», le scénario mortifère demeurera et s’aggravera très vite, boycott ou non
Tout d’abord, le non-engagement, l’appel au boycott ou le retrait de la course de «figures» comme les Mouloud Hamrouche, Ahmed Benbitour, Soufiane Djilali, Kamel Benkoussa ou encore le général TaharYala… m’incitent à en faire une lecture à la fois mitigée et amère. Une lecture mitigée, d’un côté, parce que j’ignore les vraies motivations (je ne parle pas des motifs déclarés) qui se tissent derrière chacune de ces attitudes en termes de véritables et profondes convictions ou, encore moins, les authentiques différences et distances par rapport aux socles du «système Algérie» tel qu’il a toujours été et tel qu’il est pérennisé par Bouteflika.
Ces «figures» restent, qu’on le veuille ou non, d’une façon ou d’une autre, «redevables» à ce même système pour leur propre «ascension» et, forcément, peu ou prou liées à l’un ou l’autre des clans des «traditionnels» faiseurs de pouvoir en notre pays… Comment imaginer l’avènement de la radicale révolution des mœurs politiques dont on a urgemment besoin ? Une lecture amère, d’un autre côté, parce que je me vois obligé de faire le constat qui semble se dégager, dans nos sphères de prise potentielle du pouvoir, qu’aucune force-tendance suffisamment solide pour réellement modifier en profondeur ou transcender cinquante années de gabegie politique érigée en cynique et ostentatoire mode de gouvernance qui ne dissimule même plus ni sa profonde corruption ni ses pestilentielles pratiques mafieuses.
Cette gabegie devient de plus en plus surréaliste mortifère «système» mais en plus, désormais, hallucinante arrogance d’incompétents-impotents propre à faire rougir Ubu, Néron, Amin Dada et Caligula réunis ! Car rien, absolument rien, en l’état, ne me paraît, à ce que j’observe, pouvoir stopper l’accélération des létales nuisances (et l’action-pouvoir de leurs acteurs enracinés) qui minent le pays. Autant de murailles dressées contre toute évolution (révolution) digne de ce nom.
Calcul de gain politique pour plus tard ? mais quel horizon de «plus tard» pour un pays descendu aussi bas et sous menace d’explosion imminente ?
Que pourrait, par exemple, un «boycott» généralisé sinon générer une solution d’attentisme qu’on ne peut plus se permettre ? Alors, que faire, quand on peut ou se veut candidat ? Etre un président colmate-brèches ? Arbitre-otage pris dans l’étau d’inamovibles puissants intérêts aussi bien campés qu’inter-neutralisés ? Ou encore caution consentante, marionnette faire-valoir d’un lugubre énième simulacre de scrutin populaire dont les résultats sont d’ores et déjà négociés, décidés et consignés à la décimale de pourcentage près ? Mieux vaut, en effet, se retirer, cela est déjà un bel acte de résistance, mais encore faut-il être plus à la hauteur de l’inédite gravité des événements actuels qui menacent notre pays et appeler à autre chose de plus radical que le boycott !
C’est finalement, peut-on légitimement penser, sans doute plutôt un gain en capital politique que de faire cela (demeurer «en réserve» ou se retirer de la course) en pareille circonstance : y gagner peut-être une réputation de probité et de désintéressement… et prendre une certaine avance pour briguer plus tard d’autres suffrages. Un jeu politicien somme toute avisé, si ce n’était de l’extrême gravité de ce qui se passe actuellement et de l’imminence possible d’un basculement dans des affrontements (récupérés-manipulés de l’extérieur ou non) sanglants. Un scénario à l’égyptienne, à la syrienne ou à la vénézuélienne nous pend au nez et oblige à l’urgence dans l’action, non à l’attentisme du genre «boycott».
Aucun calcul politique de moyen ou long termes ne me semble plus de mise du tout, hélas. Néanmoins, je ne peux que louer, pour le moment, des décisions qui boycottent un jeu de dupes dont on sait les dés grossièrement et cyniquement pipés depuis toujours. Qui peut en effet croire qu’il n’y a pas de méga-magouilles et de super-intérêts derrière cette surréaliste «candidature par procuration» parmi nos «élites», depuis certains des plus hauts gradés de l’armée et de l’Exécutif (lesquels ont d’ailleurs soudain tu leurs tonitruantes diatribes d’il y a quelques semaines) jusqu’au nouveau poids de nos milliardaires et millionnaires ? Ces derniers, même divisés au début quant aux choix à faire entre Bouteflika et les «autres», ont opté pour un choix officiel final qui ne leur fait aucun honneur (en tout cas à l’organe qui les représente) et qui en dit long sur leurs réels intérêts à contribuer à la démocratisation et au développement de l’Algérie ! Et que dire du poids des multiples hautes instances de divers partis, de la Fonction publique, d’entreprises privées et publiques… voire d’officines étrangères et de multinationales en haute accointance avec pratiquement toutes ces mêmes «élites» en même temps ?
Ni boycott ni «printemps algérien» : un coup d’arrêt à tout, tout de suite, et la convocation urgente d’une constituante pour une seconde république !
Sans parler de puissances extérieures fort intéressées par une certaine «continuité» des choses en Algérie : pensons à l’heureux «hasard» de la récente virée algérienne de John Kerry et à l’hallucinante pièce de vaudeville jouée autour de la «traduction» de ses paroles faisant état «d’élections claires et transparentes…» ! Je comprends donc et approuve ces retraits, même s’il peut y avoir d’habiles calculs de plus ou moins basse politique politicienne derrière certains, mais je ne peux résister à me poser la question : in fine, quelle élection de qui aurait été, ou serait, le prélude à la révolution copernicienne dont le système Algérie a besoin ? Quel boycott stoppera une chronique de réélection annoncée, de surcroît ostensiblement souhaitée-appuyée par Washington et consorts ?
Ma lecture serait cependant incomplète si je ne revenais à la question cruciale du rôle de cet énorme lobby montant qu’est le milieu du business en Algérie. Même en proie à de fortes bisbilles entre factions qui ne relèvent pas des mêmes hommes-liges en haut lieu, ce lobby est forcément objectivement porté à plutôt s’accommoder d’une continuité des opacités et magouillages qui tiennent lieu de politiques économiques algériennes qu’à encourager le (vrai) changement. Comment en juger autrement quand à peine 40 membres du FCE sur 500 se présentent à une réunion dont l’objet était le positionnement quant à cette quatrième candidature ? Quand ce lobby finit par adouber officiellement l’inimaginable ? Pour moi donc, la situation est limpide et m’inspire ceci :
1- il est impossible d’imaginer un «challenger» qui ne soit dans l’obligation de s’allier moult appuis occultes de notre sombre «système Algérie» et «alliés internes et externes», y compris parmi la kyrielle de très hauts officiers actuels (presque tous issus de «l’Ouest») nommés et placés par Bouteflika ;
2- il est tout aussi impossible de soutenir ni cautionner une candidature qui ne soit et s’annonce clairement capable d’être en rupture totale (je dis bien totale) avec tout ce qui ce qui touche de près ou de loin à une quelconque «continuité» par rapport au système algérien tel qu’il est depuis pratiquement l’indépendance. Système auquel il convient d’ajouter aujourd’hui les carnages de l’adoption d’une idéologie économique (donc modèle de gouvernance) résolument néolibérale, ce qui n’est pour déplaire à aucune des factions magouilleuses, à commencer par le milieu du business.  

On comprendra que je fais ici allusion à ce que, devant l’insondable cul-de-sac dans lequel nous sommes et devant l’impossible attentisme, notre armée se décide à prendre les choses en main car elle reste le dernier recours. Mais c’est une grande question qui est ici posée car elle touche aussi le cœur de ce que j’appelle le «système Algérie». Sans l’ALN, puis l’ANP et ses hauts gradés, à commencer par le défunt Boumediène, rien de consistant sur l’histoire algérienne récente et contemporaine ne peut se dire. Tout d’abord, il est clair que notre armée — en particulier bien sûr, ses hauts officiers — est loin d’être si homogène et monolithique qu’on pourrait le penser.
Tous les cadres de l’ANP, sans doute plus particulièrement parmi les générations promues post-indépendance, ne sont pas, loin s’en faut, des accapareurs tous azimuts, des assoiffés de prestige, de luxe, de pouvoir-hagra ou de sombres éminences grises. Il y a donc, en Algérie, armée et armée, et en particulier les nouvelles générations de hauts gradés capables de penser et agir de façon désintéressée-transcendantale. De surcroît, le rôle historique de cette institution en a toujours fait un élément incontournable parmi les institutions et les interlocuteurs de la politique de notre pays. Elle doit donc prendre, plus que jamais, de grandes responsabilités devant l’histoire.
Notre pays n’en peut tout simplement plus. Les temps de l’amateurisme et des incompétences boulimiques ont atteint leurs ultimes limites. Il y a péril imminent en la demeure Algérie. Il faut absolument que l’unique institution qui en est capable, notre armée, «stoppe tout» immédiatement et convoque en urgence une Assemblée constituante en règle (la Tunisie vient d’en recueillir les fruits, pourquoi pas nous ?) représentative de toutes les tendances politiques, ethniques, régionales… de toute l’Algérie, de tous ses recoins, et veiller à ce qu’elle aboutisse à une seconde République largement appuyée sur le peuple et la société civile, et non pas sur des groupes de pression, de forces ou d’influences instituées telles que la religion, l’argent, la propriété, les clercs de service...
C’est là le scénario de salut public algérien que je privilégie depuis toujours et que je réclame depuis des années : tout effacer et reprendre à zéro ; seule l’amputation rapide et à vif peut venir à bout de la gangrène. Et cette gangrène est aussi profonde que tentaculaire, comme en témoignent les tristes statistiques suivantes concernant le classement et la situation de l’Algérie dans le monde : 185e place (sur 192 pays) dans le Doing Business, 152e place dans la corruption, 175e place dans l’efficacité de l’administration, 134e place dans l’innovation et recherche (sur 141 pays), 146e place dans liberté économique (sur 178 pays)… dépendance dramatique des importations en produits de consommation tels que le sucre (100%),  les légumes secs (85%), les viandes rouges (18%), les huiles végétales (95%), les céréales (70%), les viandes blanches (90%), le lait (57%),  et même… les poissons (11%)… Ajoutons au portrait les avalanches de scandales politico-financiers qui n’en finissent plus (Khalifa, Sonatrach, autoroute Est-Ouest, BRC…), les taux d’inflation et de chômage record, les injustices et inégalités abyssales, l’inéluctable imminente dégringolade des prix mondiaux des hydrocarbures combinée à la non moins inéluctable montée en flèche des prix des produits importés… et nous avons un cocktail si explosif que toute solution «attentiste» ne serait qu’un criminel plongeon vers de bien sombres perspectives.
Peut-être, diront certains, que ce que je propose s’apparente aussi à une forme d’attentisme… soit, mais quel autre choix avons-nous ? Sinon l’espoir qu’un nouveau pouvoir sorti des suffrages du peuple (avec un intérim le plus bref et le plus neutre-intègre possible) puisse nous tracer des voies de sortie, hors les pièges des girons néocolonialistes de type «mondialisation/néolibéralisme» dont on constate chaque jour les carnages et telles que certaines qui ont fait leurs preuves comme en Malaisie, Indonésie, Corée du Sud…

Omar Aktouf : Professeur titulaire, HEC Montréal.
 
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