Médecins, parents de malades et les associations appellent à la prise en charge des anémies héréditaires
«Quand j’appelle les familles des enfants malades, on m’annonce leur mort !»
Dans une Algérie où certains se permettent le luxe d’aller soigner les
plus simples bobos dans les hôpitaux parisiens, des maladies ravageuses
comme les anémies héréditaires, répandues notamment au nord-est du pays
ainsi que dans d’autres régions, sont encore méconnues et ne bénéficient
d’aucun égard de la part des organismes de santé publique.
Chaque jour, des enfants et les personnes ayant eu la chance
d’atteindre l’âge adulte en dépit de la maladie meurent dans
l’indifférence totale, faute de soins et d’une prise en charge adéquate
capable de leur éviter les complications liées à ces anémies. En termes
de statistiques, la «drépanocytose», anémie à cellules falciformes, est
la première maladie génétique dans le monde avec 50 millions
d’individus.
En Algérie, et en l’absence d’un registre national de ces anémies, l’on
estime de 2 à 4% la proportion de la population portant le trait
drépano-thalassémique, avec une forte prédominance qui peut atteindre
les 90% pour la drépanocytose. Très touchées, les wilayas de Skikda,
Taref et Annaba sont considérées comme des zones endémiques. A Taref, on
estime à plus de 2000 le nombre de malades, et à Skikda une association
locale recense 1100 individus atteints. «Beaucoup de malades nous
échappent et ne sont pas recensés, autrement on aurait été à un nombre
encore plus important que ce que nous avons», soutient un membre de
cette association.
La mort précoce est le destin fatal des malades
En dépit de ces statistiques, le combat des malades et de leurs parents
est encore au stade de revendication de leur droit à une simple
transfusion sanguine, selon les critères scientifiques requis par la
médecine. Cela dit, et dans un but de sensibilisation des pouvoirs
publics, des médecins, des malades et des parents de malades, issus de
plusieurs wilayas du pays, et après un long combat et plusieurs
réunions, ont réussi à obtenir l’agrément de la fédération nationale des
anémies héréditaires, créée officiellement le 24 mars 2013. Le comble,
c’est qu’après une année d’existence cette fédération n’a jusqu’à
présent reçu aucune subvention de la part des organismes publics pour se
lancer dans ses activités. Lors d’une récente réunion à Skikda, des
membres de cette fédération ont tiré la sonnette d’alarme sur la
situation de prise en charge de ces anémiés en Algérie.
Le constat dressé est terrible. La situation de détresse des malades
appelle à une prise de conscience immédiate pour se saisir du cas de ces
maladies. «Les malades, notamment ceux issus des couches sociales
pauvres, sont livrés à eux-mêmes ; dans les régions rurales, ils ne
bénéficient d’aucun suivi médical ni d’un traitement spécifique ou
vaccinal, ce qui leur cause de graves complications ; la situation est
dramatique, on n’arrive même pas à nous occuper de ces enfants, la mort
est leur seul destin», s’offusque-t-on.
«En 2010, on a assisté à la mort, à cause de ces anémies, de plusieurs
enfants dans la wilaya de Taref, c’est cruel !», se désole un malade de
cette wilaya. «Souvent, quand j’appelle les familles des enfants malades
pour m’enquérir de leur situation ou les inviter à des rencontres de
loisirs, on m’annonce leur mort, c’est tragique ; avec le temps,
j’hésite à appeler de peur qu’on me dise que l’enfant est mort»,
confesse Sayoud Mohamed, président de la fédération nationale des
anémiés héréditaires. A cette tragédie s’ajoute l’absence de structures
d’hospitalisation spécialisées dans les wilayas fortement touchées.
Le problème récurrent des ruptures des médicaments et des vaccins,
ainsi que des réactifs de laboratoire pour déterminer le phénotype du
sang à transfuser est venu compliquer la situation. Le ministère de la
Santé est mis au banc des accusés : «On ne se préoccupe pas de nous, ni
de nos malades ou de nos enfants. Qu’on écrive des rapports ou pas,
c’est du pareil au même, nous faisons face à un ostracisme qui nous
bannit de l’existence», fulmine un malade. Il est aujourd’hui urgent,
d’après un médecin de Souk Ahras, de dégager un consensus thérapeutique
national pour la prise en charge de ces anémies.
A ce titre, il y a lieu de noter que des discordances dans la prise en
charge des malades ont été soulevées, à l’exemple d’une hématologue de
Tizi Ouzou qui soutient mordicus que la morphine est couramment utilisée
dans les traitements de la douleur chez le drépanocytaire, pendant que
dans des hôpitaux de l’Est algérien l’usage de ce produit est encore
tabou. L’autre défi appelle à la mise en place des structures d’accueil
et d’hospitalisation à travers les wilayas, notamment les plus touchées.
Pour arriver à ces objectifs, un plan d’action a été soumis au MSPRH au
mois de novembre dernier par la fédération nationale des anémies
héréditaires lors d’une rencontre avec des responsables du département
ministériel de Abdelmalek Boudiaf.
Nécessité d’un sursaut de conscience
Selon le Dr Sebti, qui a été accueilli avec le président de la
fédération au siège du ministère, ce premier contact a été fructueux à
tout point de vue. «Ils nous ont écoutés et pris des notes sur les
points que nous avons soulevés», affirme ce médecin, pédiatre de son
état, à Skikda. Cette rencontre a permis notamment d’évoquer la question
de l’harmonisation de la prise en charge des malades drépanocytaires et
des thalassémiques dans les différentes structures publiques de la
santé. D’autres recommandations ont tourné autour de la mise en place
d’un système de dépistage ciblant les familles porteuses du gène malade
et les zones à forte prévalence de ces anémies, ainsi que l’introduction
de l’électrophorèse d’hémoglobine dans les examens prénuptiaux pour
éviter les mariages à risque.
A terme, l’objectif est d’arriver à la création d’un centre de
référence de prise en charge des malades dans les zones endémiques
(nord-est algérien). Si la fédération s’est réjouie de l’amélioration
des conditions de transfusion sanguine dans les hôpitaux, elle déplore
les ruptures fréquentes des médicaments, notamment les produits liés à
la chélation du fer (Kelfer, Desféral) et le manque total des pompes
pour ce type de traitement. Elle insiste sur un autre plan sur la
vaccination au Pneumo 23, un vaccin anti-pneumococcique fortement
recommandé, tout comme elle appelle à la généralisation de l’utilisation
des antalgiques majeurs (dérivés morphiniques) dans les hôpitaux pour
le traitement de la douleur lors des épisodes sévères des crises
vaso-occlusive.
A noter que la fédération algérienne des anémies héréditaires est dans
l’attente du feu vert du ministère de l’Intérieur et des collectivités
locales pour son adhésion à la fédération internationale de la
thalassémie (TIF) ou thalassémic international fédération).
Qu’est-ce que les anémies héréditaires
Si dans la littérature médicale ces anémies sont définies comme étant
des maladies à transmission génétiques caractérisées par une altération
de l’hémoglobine, elles sont essentiellement dues à deux formes graves
qui ont pour noms la drépanocytose et la thalassémie. La première a été
découverte chez la population noire de l’Afrique et de l’Amérique du
Nord, mais elle est aussi très répandue dans plusieurs régions du monde
et en Algérie. La seconde affecte principalement la population du bassin
méditerranéen et de l’Extrême-Orient.
A titre comparatif, dans des pays comme Chypre, très touché par la
thalassémie, on est arrivé à mettre en place un système de prise en
charge des malades qui a permis d’augmenter leur espérance de vie pour
atteindre les 60 ans dans certains cas, et d’envisager l’éradication
totale de la maladie. En France où l’on estime le nombre de malades à
plus de 3000, des centres hospitaliers performants sont réservés pour le
traitement de ces anémies, qui, pourtant, ont apparu à la faveur du
flux migratoire qu’a connu l’hexagone.
Chez nos voisins maghrébins, la Tunisie et le Maroc plus
particulièrement, dont les proportions de prévalence se rapprochent de
l’Algérie, on est à un stade de traitement et de dépistage plus avancé
par rapport à ce qui se fait dans notre pays. (A. Z.)
Amor Z.
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