Lettre ouverte à la chaîne de télévision M6
J'ai
moi-même pu constater, en visionnant le premier épisode de Pékin
express, combien votre émission a été tournée avec une hauteur, une
morgue, un irrespect, marquant ainsi une grande déconsidération de
toutes ces ethnies durement pourchassées et persécutées.
A propos de l'auteur
Membre du Collectif Halte Au Massacre En Birmanie
Objet : Lettre ouverte à la chaîne de télévision M6, suite à la diffusion de Pékin Express en Birmanie.
Je me permets de vous écrire au sujet de la nouvelle saison de votre
émission Pékin Express, réalisée en Birmanie, afin de rectifier de
graves contre-vérités et de souligner un évident manquement à la
déontologie à laquelle souscrit en principe tout journaliste, tout
réalisateur.
Permettez-moi de vous rappeler, ainsi qu’aux téléspectateurs, que
cette émission a été tournée dans un pays dirigé par une junte
militaire depuis plus de 50 ans ; un pays dans lequel les droits Humains
sont systématiquement bafoués, et où les minorités ethniques subissent
de terribles exactions : massacres, déplacements forcés, viols,
confiscations de terre, tortures, arrestations arbitraires, attaques
délibérées contre des civils, emprisonnement en raison d’activités
politiques, d’appartenance religieuse, d’origine ethnique, et la liste
est loin d’être exhaustive.
La persécution des ethnies Rohingyas, Kamans, Kachins , Chins,
Shans, Karens… ne date pas d'hier et est malheureusement toujours
d’actualité. Le mépris affiché – envers l’ensemble des minorités
ethniques birmanes persécutées dans leur pays – à travers cette
émission, qui présente la Birmanie comme une destination exotique et
d’aventures, est plus que déplacé, choquant et extrêmement insultant
pour toute conscience morale.
J'ai moi-même pu constater, en visionnant le premier épisode de
Pékin express, combien votre émission a été tournée avec une hauteur,
une morgue, un irrespect, marquant ainsi une grande déconsidération de
toutes ces Ethnies durement pourchassées et persécutées.
Il se trouve qu’à quelques kilomètres du lieu où les candidats ont
atterri, à Mandalay, se situe la ville de Meiktila, où en mars 2013,
les habitants musulmans ont été pris pour cible par une foule de
bouddhistes extrémistes soutenus par les forces de l’ordre birmanes ;
maisons, mosquées, madrasas ont été sauvagement incendiées. Résultat :
Plus de 40 musulmans birmans ont perdu la vie, dont plusieurs, brûlés
vifs, et plus de 9 000 personnes déplacées et parquées dans des camps.
Vos candidats ont ensuite transité par la ville de Lashio (Etat de
Shan). Or, en Mai 2013, la ville de Lashio a également fait l’objet de
plusieurs attaques barbares dirigées contre la communauté musulmane.
Dans l’état Shan, on dénombre pas moins de 140 affrontements entre
l’armée Birmane et l’armée Shan du Sud, depuis la signature d’un accord
de cessez-le-feu signé en décembre 2011.
En octobre 2013, près de la ville de Kunhing, 80 militaires birmans
ont attaqué l’armée Shan du Sud. Des obus de mortier ont été tirés,
provoquant la fuite de leur village d’une centaine de civils terrifiés,
fuyant la violence des attaques.
Il est également à noter que certaines questions ont été posées aux
candidats, tel que le nombre d’Ethnies reconnues en Birmanie. A cette
question, il a bien évidemment été répondu 135 Ethnies officielles. Or,
il me parait nécessaire de vous rappeler que l’Ethnie des Rohingyas a
été déchue de sa nationalité birmane en 1982, par une loi
discriminatoire mise en place par le dictateur Ne Win. Les Rohingyas ne
sont donc plus reconnus comme une Ethnie à part entière par le
gouvernement Birman, mais désignés comme des migrants illégaux, alors
que l’Histoire atteste et prouve leur existence et leur appartenance à
la Birmanie depuis des siècles.
Cette ethnie, majoritairement présente dans l’état d’Arakan, est
régulièrement victime de massacres et est placée dans des camps dans
lesquels l’aide humanitaire n’est plus acheminée. Nous assistons là à
un véritable Apartheid (passé sous silence par la communauté
internationale) privant les Rohingyas de leurs droits les plus
élémentaires, au point où l’ONU elle-même les reconnait comme « l'une
des ethnies les plus persécutées au Monde ». Leurs conditions de vie
sont si alarmantes et préoccupantes que nombre de rapports émanant de
différentes organisations non gouvernementales et défenseurs des droits
Humains tirent la sonnette d’alarme.
A titres d’exemple, en Avril 2013, l'ONG Human Rights Watch a
publié un rapport, évoquant « une campagne de nettoyage ethnique contre
les Rohingyas, à travers le refus de l’accès à l’aide humanitaire et
l’imposition de restrictions à leur liberté de circulation » et dénonce
l’existence d’au moins quatre fosses communes dans lesquelles sont
entassés les corps des victimes.
Tout récemment encore, en février 2014, Fortify Rights publiait un
rapport intitulé « Politiques de persécution : mettre fin aux
politiques abusives du gouvernement à l’encontre des musulmans Rohingyas
de Birmanie » (« Policies of Persecution: Ending Abusive State
Policies Against Rohingya Muslims in Myanmar »). Ce rapport révélait
l’implication de l’État et des autorités régionales dans les violations
des droits Humains commises à l’encontre des Rohingyas. Il qualifiait
ces violations de crimes contre l’Humanité.
Quant à la question concernant Madame Aung San Suu Kyi, qualifiée
de "célèbre défenseur des droits de l’Homme" en Birmanie, permettez-moi
de m’insurger et de m’indigner devant une telle supercherie, une telle
imposture ! Il est totalement faux de prétendre que Madame Aung San Suu
Kyi serait un défenseur des Droits Humains, puisqu’elle a elle-même
annoncé que son but n’était pas de défendre les Droits de l’Homme mais
qu’elle était bel et bien une femme politique.
Son silence lâche et coupable, devant ces persécutions à
l’encontre des minorités ethniques de son pays, en dit d'ailleurs long
sur le degré d’implication de ce "prix Nobel de la Paix" et pose la
question de la légitimité de ce titre. Enfin, je tiens à préciser que
depuis la reprise des massacres en Juin 2012, j’ai pu me rendre à cinq
reprises en Birmanie, et que je suis scandalisée par la diffusion d’une
telle émission et par l'indifférence éhontée démontrée par votre chaine
à l'égard des ethnies persécutées dans ce pays. Le caractère insultant
de l’émission et la banalisation de cet état criminel et génocidaire
qu'est la Birmanie m’ont littéralement révoltée.
C'est pourquoi j'ai décidé, de rendre publique cette lettre, afin
d'informer nos concitoyens, puisque les médias tels que le vôtre ne
semblent pas se sentir concernés par ce devoir d'information. Tout comme
moi, je suis persuadée qu’ils seront horrifiés.
Madame, Monsieur, lorsque vous travaillez à divertir un public,
tout en l’instruisant, vous seriez bien avisés d'adopter un minimum de
rigueur et d’honnêteté intellectuelle, et de veiller à ne pas
transgresser les règles de la déontologie, et surtout, à ne pas passer
sous silence des vérités évidentes. Ce faisant, vous ne faites
qu’ajouter à la confusion générale. Et je vous parle ici du droit à la
vie, à la dignité, et au respect de l’intégrité morale de toute
personne humaine.
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