L’Algérie sur les traces du… Venezuela
Une équipe de recherche en économie de la banque Natixis vient de
publier un rapport spécial sur la crise économique et sociale qui
prévaut au Venezuela, un pays qui dispose de l’une des plus importantes
réserves de pétrole au monde et exporte pour près de 100 milliards de
dollars d’or noir chaque année.
Les indicateurs économiques du pays, tous au rouge, poussent l’équipe
de recherche à prédire une explosion de la situation. Le rapport
souligne, en effet, qu’au Venezuela, la société est aujourd’hui
«polarisée, les supermarchés sont vides, alors que la violence et
l’inflation montent en flèche». Le quotidien des Vénézuéliens «est
difficile» et «le credit default swaps (CDS) du pays suggère une
probabilité de défaut sur la dette d’environ 60% d’ici les trois
prochaines années», ajoute le même rapport. «La bombe à retardement
pourrait exploser», conclut l’équipe de recherche.
Expliquant l’origine de la crise, le rapport note que le Venezuela a
certes réussi à réduire les inégalités et a connu la plus forte baisse
du taux de pauvreté et de pauvreté extrême, mais cette réussite n’est
que le fruit de la multiplication par 5 du prix du pétrole entre 2003 et
2008. Le président Hugo Chavez, mort en mars 2013 et auquel a succédé
Nicolas Maduro, «a amélioré les conditions de vie de sa base électorale,
mais a anéanti l’économie et les institutions en détruisant le climat
des affaires et aggravant la dépendance du pays vis-à-vis du pétrole»,
souligne le rapport.
Aujourd’hui, «le pétrole représente 94% des exportations totales du
Venezuela et le poids du secteur manufacturier s’est considérablement
réduit depuis 2005. L’économie souffre des séquelles d’un syndrome
hollandais aigu : pénurie de produits de base, inflation et déclin
industriel», affirme l’équipe de recherche. Celle-ci pense par ailleurs
que le principal problème est institutionnel et politique : «La maladie
hollandaise a été aggravée par une mauvaise gouvernance, non seulement
au sein de la compagnie pétrolière appartenant à l’Etat (PDVSA), mais
également pour l’ensemble de l’économie.» Ce qui a valu à Venezuela le
qualificatif de «maillon faible latino-américain» en matière de mauvaise
gouvernance, corruption et insécurité.
Une économie vulnérable
Le rapport de Natixis précise que l’économie vénézuelienne est «très
vulnérable malgré un cours du pétrole élevé». Les bénéfices de la
compagnie pétrolière étatique, principale source de dollars, «sont sous
pression». La baisse des exportations de pétrole (1,5 mb/j en 2013
contre 1,7 mb/j en 2012) compte tenu du vieillissement des
infrastructures et du manque d’investissement, et la hausse de
l’endettement de l’entreprise en sont les principales raisons. La
compagnie pétrolière d’Etat subventionne largement le prix de l’essence
(le plus bas du monde), les exportations vers certains voisins et doit
payer une large partie de ses dettes vis-à-vis de la Chine avec un baril
en dessous du prix du marché, explique encore le rapport. C’est la
raison pour laquelle l’équipe de recherche pense que «le gouvernement
vénézuélien devrait être amené à choisir entre la subvention de
l’économie et le remboursement de ses créances».
Pour sa part, Jacques Sapir, économiste et directeur d’études à l’EHESS
estime que le premier enjeu, de court terme, est de stabiliser le taux
des changes : «Il faut que le gouvernement unifie le taux ‘‘officiel’’
et le taux de la ‘‘rue’’, et qu’il mette ce taux sous le contrôle de la
Banque centrale, qui agira alors par des systèmes de dépôts obligatoires
et de taux d’intérêt. Mais sur le fond, il faut à la fois pousser à une
réindustrialisation du pays et au développement de productions locales,
et mettre en place un système social plus juste, fondé sur la
redistribution et non la simple distribution.»
Similitude frappante avec l’Algérie
Il faut dire, par ailleurs, qu’il existe bon nombre de similitudes
entre le Venezuela et l’Algérie dont la rente pétrolière a rendu leur
économie vulnérable, dépendante et volatile. Les choix économiques des
deux pays, concentrés sur l’exploitation d’une ressource non
renouvelable, ont conduit à une politique basée sur la redistribution et
non la production. La mauvaise gouvernance et la corruption généralisée
sont aussi un facteur commun aux deux pays qui occupent les premiers
rangs des classements internationaux. Les différentes stratégies visant à
instaurer une économie diversifiée se sont avérées nulles et sans effet
sur l’économie réelle. D’où la question de savoir si une situation
pareille à celle qui prévaut actuellement au Venezuela peut toucher
l’Algérie. Rien n’est à exclure, d’autant que le semblant d’embellie
économique n’est que le fruit d’une bonne conjoncture internationale,
notamment en matière d’évolution des cours du pétrole.
Lyes Mechti
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