Crise ukrainienne : Le dessous des cartes
par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles
Bruits de bottes
aux frontières de l'Ukraine et annonce de nouvelles sanctions économiques
contre Moscou. A la veille d'un scrutin présidentiel voulu par Kiev,
pro-occidental, et un référendum prévu par les pro-russes, le climat ne prêche
pas pour la paix en Ukraine.
Ainsi, les dessous
de la crise ukrainienne mettent au grand jour les vrais acteurs (adversaires ?)
que sont les Américains et les Russes qui s'affrontent autour d'enjeux
géostratégiques majeurs : la maîtrise et le contrôle de toute la zone du
Caucase et de ce qu'elle renferme comme ressources énergétiques et comme porte
d'entrée principale des pays asiatiques. Du coup, sur le terrain ce sont les
Américains et les Russes qui montrent leurs «muscles» et déploient quelques
forces militaires ça et là dans le voisinage de l'Ukraine : 750 soldats
américains sont arrivés en Pologne et en Lituanie, alors que Moscou est à la
manœuvre aux frontières ukrainiennes. Pendant ce temps, les Européens se
contentent de suivre les USA en multipliant les menaces de nouvelles sanctions
économiques contre la Russie et en se réunissant régulièrement à différents
niveaux de responsabilités pour donner une cohérence à leur démarche politique
commune. Les nouvelles autorités de Kiev, elles, brandissent la menace d'une
«troisième guerre mondiale» qui risque d'être provoquée par Moscou. D'une
manière générale, le discours politique distillé par Kiev et amplifié par les
médias occidentaux met toute la responsabilité de cette crise et les risques
d'une guerre mondiale (c'est l'affirmation du chef du gouvernement ukrainien,
Arseni Iatseniouk) sur le dos des Russes. Autrement dit, les Occidentaux sous
la conduite des Américains sont exempts de toute responsabilité dans les
événements qui secouent l'Ukraine depuis la fin de novembre 2013. A y voir de
près, depuis le début de cette crise en novembre dernier, nous assistons à un
défilé de hauts responsables occidentaux à Kiev : ministres, délégués des
droits de l'Homme, missions diplomatiques de l'OSCE et jusqu'au vice-président américain,
Joe Biden, sans compter les délégués d'ONG occidentales, alors que la Russie
s'est gardée de ce genre de présence ou de pression diplomatique directement
dans les terres ukrainiennes. Dans ces conditions marquées par une offensive
diplomatique et politique des Occidentaux en Ukraine, c'est-à-dire aux
frontières russes, peut-on accuser la Russie de vouloir défendre ses intérêts
au seuil de sa maison ? Certes, le régime de Vladimir Poutine n'est pas un
modèle de démocratie, mais lui est-il interdit de défendre les intérêts
géostratégiques de son pays ? Les perdants dans cette crise sont en réalité, en
plus du peuple ukrainien, les Européens dont l'échange commercial et la
sécurité énergétique sont tributaires d'une coopération «tranquille et équitable»
avec la Russie. Les Américains, eux, sont indépendants au plan énergétique et
loin au plan géographique. Et pourtant, immédiatement après les annonces du
président américain de nouvelles sanctions contre Moscou, à partir de Séoul
(Corée du Sud) et de Kuala Lampur (Malaisie) où il était en visite vendredi et
samedi, les Européens, par la voix de la chancelière allemande, Angela Merkel,
annoncent une réunion (encore une) des ministres des Affaires étrangères de
l'UE pour décider d'un nouveau train de sanctions contre la Russie. Là encore
la nature des sanctions est laissée au libre choix de chaque pays membre de
l'UE. Cela traduit bien l'embarras des Européens à s'entendre sur une stratégie
commune et cela ne les empêche pas de rentrer dans la logique de «l'escalade»
qu'ils dénoncent par ailleurs. C'est toute l'ambiguïté à la fois de la
diplomatie européenne et de la nature de cette crise. Ce jeu d'annonces, de
menaces et de bruits de bottes aux frontières ukrainiennes fait grimper la
tension en Ukraine même où se prépare un autre affrontement politique décisif :
l'élection présidentielle anticipée voulue par Kiev pour le 25 mai prochain,
précédée par le référendum sur l'avenir des provinces de l'est de l'Ukraine,
voulu par les populations russophones pour le 11 mai. Ce sont deux événements
politiques cruciaux qui trancheront aussi bien l'avenir de l'Ukraine et l'issue
de l'affrontement géostratégique entre Moscou et Washington essentiellement.
Les Européens se rangeront, comme à l'accoutumée, derrière le «mot d'ordre» des
Américains. Quant aux Ukrainiens «pro-européens» et «pro-russes», ils n'ont et
n'auront d'autre avenir qu'en Ukraine pour peu qu'ils se libèrent des tutelles
politiques de Moscou et de Washington mais pensent et agissent d'eux-mêmes. Si
cela est possible.
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