En Algérie, des patrons mettent sous pression le FCE pour l’aligner
Ali Haddad, Laid Benamor, Ridha Kouninef, Mohamed Baïri, les centres
de profits de ces chefs d’entreprises et leurs métiers sont
dissemblables. Ils ont un point commun, ils sont mobilisés pour faire
durer Bouteflika. Et mettent le FCE sous pression.
Le Forum des chefs d’entreprises (FCE) connait une situation des plus
embarrassantes avec des pressions exercées par des patrons de « poids »
pour amener l’organisation à se prononcer en faveur d’un quatrième
mandat pour Abdelaziz Bouteflika. Mais, une fois n’est pas coutume, des
résistances s’expriment au sein de l’organisation contre un
positionnement politique sur une candidature devenue un sujet national
de controverse. Une assemblée générale prévue en février pour se
prononcer sur la question n’a pu se tenir faute de quorum. Des patrons
ont choisi délibérément de s’absenter pour ne pas avoir à subir des
pressions. Et ceux qui se sont portés absents ont été très nombreux
puisque seul 44 membres ont fait acte de présence alors que le quorum
est de 134 membres. Une autre assemblée avait été convoquée pour le
début mars mais elle a été reportée, à nouveau, au jeudi13 mars.
Le FCE qui s’est déjà régulièrement prononcé en faveur de Bouteflika
pour les trois précédents mandats est aujourd’hui très divisé. Si en
1999, le FCE n’existait pas encore, le soutien des patrons algériens
était « acquis » pour le « candidat du consensus ». Le Forum des chefs
d’entreprises (FCE) qui a été créé en octobre 2000 en tant «
qu’association à caractère économique » connaitra sa première
présidentielle en 2004. Il appellera, comme les autres organisations à
soutenir Bouteflika. Mais cela ne se passe pas en toute tranquillité,
l’organisation patronale enregistrant à l’occasion sa première grosse
défection. Le patron de Cevital, le groupe privé algérien le plus en
vue, Issad Rebrab, a en effet claqué la porte de l’organisation en
refusant de s’inscrire dans les «enjeux politiques ». Le patron de
Cevital montrait, déjà, que son groupe avait suffisamment de poids pour
défendre une certaine autonomie à l’égard du pouvoir politique. Ses
défenseurs laissent entendre aussi que les entraves rencontrées par la
suite dans la réalisation de certains grands projets en Algérie, dont
celui de la sidérurgie, sont liées à son refus de « s’aligner ». Rebrab
donnera sa propre explication en soulignant qu’il n’était pas
spécialement contre un autre mandat d’Abdelaziz Bouteflika mais qu’il
refusait de voir l’organisation patronale se mêler de politique. Le
patron de Cevital qui était alors vice-président du FCE a fait valoir
que le règlement intérieur de l’organisation « interdisait clairement de
se mêler à la politique ». « C’est une position de principe qui n’a
aucune relation avec un appui ou une opposition aux projets politiques
ou électoraux de quiconque” avait-il expliqué dénonçant une «
déformation » de ses propos par d’autres patrons dans le but de nuire
aux intérêts de son groupe.
A mains levées
En 2009, la révision de la constitution pour supprimer la limitation
des mandats ayant eu déjà lieu en 2008, les intentions du pouvoir
étaient claires. Le FCE n’a même pas attendu de connaître les noms des
candidats pour soutenir, Abdelaziz Bouteflika. Le 29 janvier 2009, une
assemblée générale tenue à l’Aurassi a voté à « main levée », et « à
l’unanimité de ses membres son soutien total” à la candidature de
Bouteflika. Une réunion expédiée en deux heures par des patrons pressés
de passer à autre chose. En 2014, le soutien routinier au « candidat du
système » fait face à une vraie résistance au FCE. Réda Hamiani était
dans cette optique « routinière » encore au début février où il évoquait
la possibilité pour le FCE « d’inviter le Président à se représenter en
lui souhaitant une bonne santé ». Le patron du FCE finira par nuancer
sa position devant les grosses réticences exprimées par des membres de
l’organisation. Slim Othmani, patron de NCA Rouiba, a révélé l’ampleur
des tensions en évoquant des tentatives « d’imposer des choses à des
chefs d’entreprise par la force, par la contrainte et la menace ? (…
certains d’entre nous commencent sérieusement à avoir peur… ». Mais des
patrons favorables à Bouteflika, il n’en manque pas et ils mettent
fortement les pressions sur le FCE pour faire le « bon choix » et
l’amener à un 4ème soutien à Bouteflika ?
Qui sont-ils ?
Le plus en vue reste Ali Haddad, patron de l’ETRHB. Dans la journée
qui a suivi le dépôt de candidature d’Abdelaziz Bouteflika au Conseil
Constitutionnel, il a réuni à l’hôtel Aurassi des membres influents du
FCE. Il s’agissait de préparer l’assemblée générale du 13 mars et aussi
de lever des fonds pour la campagne du président. Les patrons étaient
invités à des engagements « écrits », selon un membre du FCE, variant
entre « 500.000 et 50 millions de DA » pour financer la campagne de
Bouteflika. L’ETRHB, groupe créé à la fin des années 80 a connu un
essor fulgurant depuis l’avènement d’Abdelaziz Bouteflika. Le groupe des
frères Haddad a en effet bénéficié d’un « plan de charge » de 200
milliards de DA au titre des programmes successifs d’infrastructures,
soit près de 2,5 milliards de dollars. De la commande publique qui lui
permet de se hisser au statut de premier groupe de travaux publics du
pays. Ses deux usines de fabrication de tuyaux en BPAT (Hellouane dans
la commune d’Ighzer Amokrane à Béjaia, et à Fornaka, à Mostaganem),
installées pour accompagner la réalisation des grands projets de
transfert d’eau des barrages vers les agglomérations et les centres
urbains du pays lui ont permis d’engranger d’importants revenus. Les
cahiers de charges exigeaient le type de « buses » sortant de ses deux
usines et la plupart des entreprises engagées dans la réalisation de ces
transferts, nationales et étrangères, s’approvisionnaient chez cette
filiale.
Les pro-Bouteflika se recrutent dans toutes les filières …
Entre Ridha Kouninef, patron du Groupe KOUGC et les Bouteflika une
vieille amitié familiale. Le groupe réalise une croissance annuelle à
deux chiffres (10 %). La moyenne entreprise d’il y a une décennie
rivalise aujourd’hui avec les majors mondiaux au sud. Le groupe est lié
au opère dans les domaines de l’hydraulique, le bâtiment, l’électricité,
les travaux publics et le génie civil pétrolier. Il est le principal
partenaire de Sonelgaz pour les grands projets de transport et de
transformation d’énergie électrique avec laquelle il a réalisé des
centaines kilomètres de lignes électriques sur l’ensemble du territoire
national. Il est également le principal partenaire du ministère des
ressources en eau sur plusieurs projets de transferts. Au Sud, il a
réalisé la base de vie KGCI Hassi Messaoud, les voies routières
normalisées des champs pétroliers de HBNS sur 46 Km pour le compte de
l’association Sonatrach /Anadarko, les réseaux Routiers normalisés des
champs pétroliers Rouhd El-Khrouf (64 km), d’Ohanet (60 km), TFT (72 km)
et Bir-Birkine (35 km) en plus de deux aérodromes de classes D et C,
pour ne citer que ces projets. Mais si les intérêts d’Ali Haddad sont
directement rattachés à l’attribution des marchés publics, ceux de Taib
Ezzraimi Abdelkader et Laid Benamor paraissent l’être beaucoup moins.
Ils sont pourtant en première ligne en faveur du 4e mandat. Le patron du
groupe SIM (Semoulerie Industrielle de la Mitidja) s’est diversifié
avec des filiales qui émergent dans la promotion immobilière, la santé
(clinique Amina), l’enseignement et la formation professionnelle. Le
capital social de la SIM a été multiplié par 500 entre 1996 et 2013,
passant de 8,2 millions de DA (105 000 USD environ) à 3,9 milliards de
DA (51 millions USD environ). TaibEzzraimi Abdelkader est aussi le
président du comité d’affaires algéro-russe.
Le patron du groupe agroalimentaire Laid Benamor lui est une nouvelle
puissance financière qui émerge avec une forte exposition médiatique.
Le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 258 millions de dollars en
2012. Il a acquis en 2013 les minoteries publiques d’Eriad en 2013 à
hauteur de 60 % des actions avec un engagement, d’investir 100 millions
de dollars sur les cinq ans à venir. Une privatisation négociée dans la
discrétion qui a été annoncée par les pouvoirs publics comme un prélude à
la relance du processus de privatisation à l’arrêt depuis 2007. Laid
Benamor a rejoint durant la même année le club très restreint des
sponsors de la Fédération algérienne de football (FAF) en prévision du
mondial du Brésil 2014. Abderrahmane Benhamadi DG du groupe Condor, et
frère de Moussa, l’ancien ministre FLN des PTIC, est également engagé en
faveur du 4e mandat. Diversifié et opérant dans de nombreux secteurs,
le groupe compte 9 filiales et a réalisé un chiffre d’affaires de 31
milliards de DA en 2012 (400 millions USD environ).
… et surtout dans la concession automobile
Les autres soutiens actifs de Bouteflika au sein du FCE se comptent
parmi les concessionnaires automobiles. Il s’agit des patrons des
groupes IVAL, Mohamed Bairi, SOVAC, Mourad Oulmi, MahieddineTahkout, et
Ahmed Mazouz. SOVAC, distributeur de plusieurs marques automobiles,
notamment Volkswagen et Audi a réalisé a réalisé une partie conséquente
de ses 40 milliards de DA de chiffre d’affaires en 2011 (450 millions de
dollars environ) grâce aux commandes publiques.MahieddineTahkout, qui
détient la concession automobile multimarque Cima Motors, est
aujourd’hui à la tête de l’un des plus grands groupes en Algérie assis
sur un quasi monopole dans le transport universitaire. Ahmed Mazouz qui
commercialise, lui aussi, plusieurs marques d’automobiles a acquis
récemment l’entreprise de conserves N’Gaous, une ancienne entreprise
publique cédée par l’Etat à un autre privé avant d’être «renationalisée
». Il se place ainsi, parmi les plus importants groupes de
l’agroalimentaire en Algérie. Selon une source proche du FCE, ces quatre
concessionnaires se chargent de la levée des fonds pour Bouteflika 4 au
sein de la distribution automobile. Proche des Bairi, Mazouz et
Tahkout, Mohamed Djemai n’est, lui, pas membre du FCE mais, c’est de
loin, le plus iconoclaste des soutiens financier de Bouteflika 4.
Associé dans un groupe familial, EssalamElectronics en l’occurrence, il a
été deux fois député. Après sa séparation avec son partenaire
sud-coréen en 2010, EssalamElectronics a lancé sa marque Starlight qui
fait son petit bonhomme de chemin dans le secteur de l’électroménager.
Dans les couloirs de l’Assemblée populaire nationale (APN), on lui
attribue l’introduction dans la LFC 2011 d’un amendement autorisant
l’importation de la friperie, prohibée depuis 2008.
Les plus « anciens » sont les plus prudents
Tous les chefs d’entreprise importants du FCE ne sont pas des zélés
du 4e mandat. A commencer par son président qui semble ajuster ses
positions à la température générale de l’organisation. Ancien ministre
délégué chargée de la petite et moyenne entreprise (1992-PME), Réda
Hamiani a été le fondateur de l’une des premières organisations
patronales, la Confédération algérienne du patronat. Il est
copropriétaire d’une poignée de petites entreprises familiales activant
dans le textile, commerce d’automobiles, agroalimentaire et systèmes de
climatisation. La plus importante est la Sarl Redman qui commercialise
l’habillement pour hommes de la marque portant le même nom de
l’entreprise. Originaire de Mostaganem, 70 ans, président du FCE depuis
2006, Réda Hamiani n’est pas « personnellement » hostile à un soutien au
4ème mandat. Mais au fil des jours et des tensions, il s’est retrouvé
obligé de tenir compte des réticences qui s’expriment au sein de
l’organisation. Sa dernière déclaration publique à ce sujet penche
clairement pour un « non-positionnement » de l’organisation sur
l’élection présidentielle. Omar Ramdane son prédécesseur à la tête du
FCE est également prudent même c’est par lui que le FCE s’est « engagé »
en politique. Originaire de l’Ouarsenis, Officier de la wilaya IV
historique, Omar Ramdane, aujourd’hui président d’honneur du FCE, jouit
au sein de l’organisation d’une autorité que lui confère son parcours
combattant. Il est le patron de la Sarl au capital social de 1,5
milliard de DA (20 millions USD environ) Modern Ceramics qui fabrique
des produits de briqueterie et de tuilerie. Omar Ramdane, selon nos
sources, pensait sur la base « d’informations sûres » que le président
Bouteflika ne se présenterait pas pour un 4ème mandat. Il aurait de ce
fait œuvré à éviter une prise de position par l’assemblée générale. Mais
une fois cette candidature acquise, il est devenue partisan d’une prise
de position du FCE en faveur de Bouteflika. Le 13 mars prochain, les
patrons voteront. A bulletin secret cette fois. Pas à mains levées.
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