C'est depuis Oran
que le premier ministre Abdelmalek Sellal a annoncé officiellement la
candidature du président Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat,
entre Schwarzenegger et l'Afrique verte réunis dans cette ville pour
parler de développement durable. Un développement durable qui se porte
aussi mal que le président A. Bouteflika, ce que ne cache pas M. Sellal,
également président de la Commission nationale d'organisation de
l'élection présidentielle : « Certes, reconnaît-il, débonnaire, il n'est
pas en mesure de faire tout par lui-même... » mais quelle importance
puisque « son intelligence, à elle seule, suffit à tenir les rênes de ce
pays ? » (Le Quotidien d'Oran, le 23 février 2 14). La preuve ? «
Bouteflika, vous le connaissez tous, c'est une référence, une icône
universelle ; tous les émirs viennent lui rendre visite. » Plus modeste à
son propos, se posant à lui-même la question de savoir pourquoi il
n'était pas lui-même prétendant au poste de président, il répond : «
L'Algérie est trop grande pour moi, elle me dépasse. » Comment ne pas le
croire ?
On comprendra à la
lecture de déclarations aussi invraisemblables dans un pays partageant
les frontières sahélo-sahariennes avec guerre au Mali et intervention
militaire de la France dans ce pays, milices armées en Libye, Niger
convoité, enclave du Sahara occidental sous protection de l'armée
algérienne investie par des 4X4 en balade enlevant des étrangers,
affaire Tiguentourine, Tunisie en pleine révolution, échanges de tirs
aux frontières algéro-marocaines (fermées), on comprendra que les
Algériens se demandent si la préparation des élections présidentielles
en Algérie est une farce ou un cauchemar ?
Un cauchemar en développement durable
Le ton de cette
campagne inédite, que même un auteur de politique fiction aurait jugée
impossible, tant elle dépasse les possibles de l'imaginable, avait été
donné par le secrétaire général contesté du FLN, Amar Saïdani. « Le
président est connu pour être un homme qui aime ménager le suspense et
prendre son temps », avait-il donné en guise d'explication au silence
d’Abdelaziz Bouteflika. Puis, quelques mois plus tard, dans un langage
aussi vulgaire qu'incroyable, il interpellait non pas le général-major
Mohamed Mediene, comme le veut la culture de l'ex parti unique, mais «
Toufik ». Prenant à témoin les opinions sidérées, il déclare : « Je
milite pour la séparation des pouvoirs. Pour un état civil. Je dis, par
contre, que si un mal m'arrive, ce sera l'œuvre de Toufik. »
Putativement donc, le général-major Mohamed Mediène, patron du tout
puissant DRS, Département du renseignement et de la sécurité, ne serait
qu'un vulgaire assassin, doublé d'un incompétent notoire, incapable de
protéger le président Boudiaf, assassiné, et incapable de protéger les
zones pétrolières avec l'affaire de In Amenas. La république tremble
...à peine.
Rivalisant de
vulgarité, la réponse ne s'est pas fait attendre. Hichem Aboud, ancien
militaire devenu « journaliste et écrivain », auteur de La mafia des
généraux et directeur de journaux sans problèmes notoires, dans une
lettre faussement candide de journaliste d'investigation, demande au
frère du président Saïd Bouteflika de confirmer ou infirmer s'il est
bien « un pervers » aux mœurs dissolues, un corrompu et un corrupteur,
le patron du narcotrafic, le roi du détournement d'argent public et de
la corruption. Ce n'est plus un petit frère, c'est Terminator 4.
Terminator 4 prend les devants et décide de rendre publique cette
nouvelle méthode de journalisme d'investigation.
Récapitulons : le
président serait une tête sans corps, le patron du DRS un criminel, le
frère du président le véritable président et accessoirement un
narcotrafiquant, mais cela ne devrait pas prêter à conséquence, car qui
n'a pas ses petits défauts ? Que les Algériens, cependant, soient
rassurés : ensemble ils veilleront au respect des institutions et à la
stabilité du pays, affirment-ils tous.
Le tableau de ce
brillant débat politique ne serait pas complet si on n'ajoutait pas que
Amar Saïdani serait le porte-parole, sous couvert du FLN, du « clan
présidentiel » et Hicham Aboud, sous couvert du journalisme, l'un des
porte-parole de l'autre « clan » qui, lui, en a plusieurs.
Entre un président
qui « ne peut pas tout faire » et qui donc délègue les restes, un
Premier ministre que « l'Algérie dépasse », un patron du DRS sans voix
ni visage, des institutions élues comme l'Assemblée populaire nationale
ou le Sénat hors-jeu, un Conseil constitutionnel en vacance, une
alliance présidentielle sans partis, le FLN en crise, le RND sans
leader, le MSP divisé en deux après avoir quitté l'alliance
pro-Bouteflika, le décor d'une historique élection présidentielle en
première mondiale est installé.
A ce niveau
d'opacité, être journaliste se résume à décrypter le langage des signes,
dans le meilleur des cas, et/ou à regarder par les trous de serrures du
sérail, du Palais présidentiel à la citadelle des Tagarins, et
vice-versa.
Dans un tel cas de
figure, toutes les spéculations, à ne pas confondre avec l'information,
sont possibles. Et même contradictoires, elles sont aussi convaincantes
les unes que les autres. On peut soutenir et écrire que le Président,
bien que diminué, a terrassé le DRS, présenté il y a encore quelque mois
comme le faiseur de rois, de fortunes, de carrières, avec droit de vie
et de mort sur 35 millions d'habitants. Comme on peut affirmer, au
contraire, que le DRS n'a rien perdu de sa puissance et qu'il n'a pas
dit son dernier mot. A moins que tout ceci soit juste un écran de fumée
qui finira par se dissiper parce que quelques milliards de dollars
méritent bien quelques compromis. Le suspense continue... Toutes ces
spéculations médiatico-politiques ne servent, en définitive, qu'à
participer de la confusion et, plus grave encore, à tétaniser la
population, les opinions, qui en sont réduites à prier Dieu tout
Puissant de punir les méchants, à Lui de les reconnaître, et d’épargner
l'Algérie, « Allah yestar. »
On en vient à oublier que l'Algérie ce n'est pas la rue Didouche !
L'Algérie c'est
35 millions d'habitants, le plus grand pays d'Afrique depuis la
partition du Soudan, un pays posé aux frontières immenses entre Sahel et
Sahara, voisin de sept pays tous en pleine redéfinition : le Mali, le
Niger, la Tunisie, la Mauritanie, le Maroc, le Sahara occidental et,
enfin, la Libye. On en vient à oublier que c'est dans la capitale de ce
pays, Alger, que se sont réunies toutes les polices d'Afrique, de l'OUA,
sans le Maroc, donc, pour décider de la naissance d'Afripol, en février
2014. Enumérer même hâtivement les fléaux que cette nouvelle police
africaine se propose de combattre donne la mesure des enjeux à l'échelle
du continent auquel nous sommes arrimés : crime organisé, terrorisme,
trafic d'armes, narcotrafiquants, blanchissement d'argent, transfert
illégal de devises, trafic d'œuvres d'art et, enfin, organisation d'une
force de police africaine capable de rétablir l'ordre sans
l'intervention des puissances militaires étrangères et en passant
gestion démocratique des foules (ici les foules c'est nous).
Suivez mon regard,
du Mali à la Libye, entre Africom, version US, plan Serval à la
française, l'espace sahélo-saharien dont nous sommes, espace mondialisé
par les armes et ses richesses exploitées par les multinationales quand
les Etats affaiblis comptent les devises, est en pleine redéfinition
stratégique lourde de menace pour l'ensemble du continent, désormais
riche de plus d'un milliard d'habitants. Pendant qu'en Méditerranée, au
nord du pays, des rapaces pêchent nos thons en voie de disparition et
croisent des bateaux d'infortune qui s'échouent telles des baleines
crachant de leurs ventres des petits Africains, dont nous sommes, morts
de détresse. L'Algérie, c'est également une économie totalement
dépendante des cours du pétrole, sans lequel nous serions incapables de
nous nourrir, nous vêtir, nous soigner et faire tourner l'industrie
épargnée par des politiques néolibérales imposées et partagées par les
partenaires nationaux qui ont érigé en dogme la puissance du marché,
alors même que rien ne permet de mettre en place ces marchés et encore
moins de les contrôler. L'Algérie, c'est encore un chômage structurel
qui pénalise le passé d'une génération mise à la porte avec des
retraites de misère et l'avenir d'une autre, plus jeune, réduite au rang
d'improductifs dépossédés. Une génération de chômeurs et de chômeuses
de longue durée, pénible, insupportable, qui pour les plus chanceux, à
moins que ce ne soit l'inverse, se retrouve endettée de quelques
milliards de dinars à cause des plans ANSEJ et compagnie qui
s'apparentent, de par leur manque d'intelligence économique, plus à du
gaspillage d'argent public qu'à des plans de soutien à l'emploi.
Et si ce qui se passe au M’zab préfigurait l’avenir ?
A Belcourt, à
Jijel, sirotant des sodas qui transforment leurs corps en pneus de la
tête au pied comme un futur diabète, de jeunes chômeurs surveillent leur
camions flambants neufs et inutiles achetés grâce à des crédits alloués
à la jeunesse dont les traites ne seront jamais remboursées faute de
demande de leurs services. Des chômeurs-propriétaires endettés de
camions au chômage. L'Algérie c'est aussi l'inflation qui appauvrit les
honnêtes gens pendant que les inégalités sociales s'aggravent et que
l'argent sale coule comme des dalles de béton insultant l'effort et le
travail. On en vient à oublier la vallée du M'zab, cette même Algérie en
deuil en attendant de nouvelles victimes que la presse, le pouvoir
renverront à de vieilles querelles ancestrales entre Mozabites et
Chaâmbis. Comme si, de manière cyclique, leurs ancêtres les sommaient de
s'entretuer. Et si ce qui se passe dans la vallée du M'zab préfigurait
notre avenir plutôt qu’il n’évoque des résidus du passé ? Un avenir où
des communautés se disputeraient à coup de massue croyant servir leurs
ancêtres, mobilisant leurs mémoires, leurs différences pour ne servir,
en définitive, que de chair à canon à des planqués sans autre identité
que celle de leurs comptes en vrac et au noir, cachée dans des sacs
poubelles. Et si dans la vallée du M'zab les enjeux étaient
contemporains de l'affaiblissement de l'Etat où la propriété de terre
disputée, de cours d'eau, de lots de terrain en situation de rareté ne
se défend plus devant des tribunaux mais à coup de hache ? Un Etat qui
privatise la violence au service d'intérêts privés plutôt que d'être
garant de l'ordre public, si cher à nos gouvernements quand, en vérité,
leurs pratiques participent, si elles ne le créent, du désordre. Alors
que des Algériens prétendant à la citoyenneté manifestent avec douleur
devant les institutions de l'Etat, les mairies, les daïras, les wilayas,
les organismes publics, que fait l'Etat ? Il les renvoie à leur tribu
en s'inspirant des cartes de l'armée française datant des années 1800, à
la recherche de sages du village capables de punir les enfants de la
tribu qui n'embrassent pas la main du caïd. L'Algérie n'est pas un
village et nous sommes en 2014. Dans la vallée du M'zab, pour la
première fois depuis l'indépendance, des listes concurrentes de
Mozabites se sont disputées des APC, de jeunes Mozabites faisant
exploser les représentations communautaires, les deal entre de vieilles
structures négociant leur droit à la différence contre le soutien au
régime. Et vous savez quoi ? Ce sont ces listes d'indépendants, de
partis comme le RCD ou le FFS, qui ont remporté des sièges. A Metlili,
les mêmes stratégies étaient à l'œuvre sur des territoires chaâmba. Dans
les universités, des jeunes énamourés chaâmbis et mozabites se
regardent dans le désir de fonder une famille interdite par des
identités meurtrières. Et si l'enjeu, c'était aussi le ventre des
femmes, la descendance à venir entre une communauté, les Mozabites,
minoritaire qui se vit encerclée et qui souhaite ne pas disparaître, et
les Arabes, majoritaires moins soucieux du partage des femmes. Dans tous
les cas, quels intérêts ont-elles aujourd'hui à transformer ces terres
d'oasis que ces communautés ont inventées, travaillées, labourées en
terre de saccage ? Se renvoyant une pureté ethnique, chacune invitant
l'autre à retourner à son territoire d'origine, les Banou Hillal contre
les Rostémides, alors qu'ils sont tous installés sur ces terres
d'accueil et de vieux exils et qu'ils se sont sans doute bien plus
mélangés biologiquement qu'ils ne le pensent.
Citoyenneté algérienne contre identités meurtrières
Interdire la
construction d'une citoyenneté algérienne, à l'école, devant les
tribunaux, dans les rues, les commissariats, les casernes, les médias
c'est condamner les Algériens à s'inventer des identités meurtrières. A
force de débats confus participant à la désinformation, on en vient à
oublier cette autre ombre de la campagne : le peuple. Un peuple rendu
invisible, interdit de se réunir, interdit de s'organiser, interdit de
manifester, criminalisé, sous haute surveillance depuis son portable
jusqu'à son recoin de terre. L'avez-vous remarqué ?
Quand M. Hamrouche
Mouloud, le chef contrarié de l'ouverture démocratique, communique, il
s'adresse à l'armée. Quand Mme Louisa Hanoune, leader du Parti des
travailleurs, se lève c'est pour aller rencontrer le chef d'état-major.
Un journaliste, de qualité pourtant, parmi les meilleurs de sa
génération analyse : « Et au moment de payer la facture, l'Algérie se
rendra compte qu'elle est le grand perdant de cette affaire, alors que
l'armée jouera un double rôle, celui de victime et coupable à la fois.
Coupable parce que c'est l'armée qui a parrainé le président Bouteflika
avant de le maintenir au pouvoir. Victime parce qu'elle a été
neutralisée, réduite à l'impuissance, alors que c'est elle qui devra
relancer la machine quand sonnera l'heure du renouveau. »
Pourquoi, « elle
», toujours « elle » ? Pourquoi ce serait encore à « elle » de «
relancer la machine » à l'heure du renouveau ? Alors que si l'on en
croit cette analyse, «elle » serait « réduite à l'impuissance », et ce,
après avoir interdit à la société des civils de « relancer la machine »,
en bras armé zélé de notre impuissance actuelle. Tout ça pour ça ? Tous
ces morts, tous ce gâchis pour un résultat aussi pitoyable, pour que 50
ans après l'indépendance l'Algérie ne soit plus que le pays du père Ubu
? Il serait peut-être temps que les Algériens et les Algériennes
prennent en main cette maudite machine qui depuis des années, nous mène
de chaos en chaos au nom de la souveraineté nationale, de la stabilité
nationale, de l'unité nationale, de la défense des institutions, de la
défense des constantes nationales, etc.
Il serait
peut-être temps que les élites médiatico-politiques sortent de cette
équation : « elle » c'est la stabilité, « nous » c'est le chaos. Il nous
faut penser le changement parce que penser c'est agir. La pensée creuse
qui nous est servie comme une mauvaise soupe depuis des décennies de
domination est une pensée paralysante, qui réduit les acteurs à des
ombres sans contenu et qui, à force de répéter que les puissants qui
nous gouvernent sont les plus forts, nous installe, nous autres, sans
casquette, sans galon, sans chkara, sans fric et juste notre force de
travail pour vivre, en spectateurs craintifs, apeurés par la puissance
de feu de ceux qui nous gouvernent. N'ont-ils pas le pétrole et l'armée
contre nous ?
Qui gouverne aujourd’hui ?
Derrière ces
ombres qui font figure de marionnettes d'épouvante, on pourrait se poser
des questions toutes simples comme, par exemple : qui gouverne
aujourd'hui l'Algérie ? Qui sont « les décideurs » si ce n'est plus le
DRS ?
Le clan
présidentiel ? Mais c'est qui le clan présidentiel ? Un vieux monsieur
malade, dont le regard, d'une tristesse inouïe, un regard absent, nous
rappelle celui de nos parents assis dans nos salons et menant leur
dernier combat d'êtres humains contre la vieillesse ? Si ce n'est lui,
c'est donc son frère ? Mais alors d'où tiendrait-il un tel pouvoir, sa
force ? De l'intelligence surhumaine du président telle que la décrit un
Chef du gouvernement dépassé par l'Algérie ? Que représentent chacune
de ces ombres ? Que cachent-elles dans cette obscurité qui nous
aveugle ? Pour répondre à ces questions, il faudrait se rappeler que
l'Algérie n'est pas seule sur terre, qu'elle participe de l'histoire du
monde et que le monde est aujourd'hui en pleine restructuration. Le
monde se partage. Depuis la fin de l'URSS, l'Algérie n'est plus derrière
le mur de glace. Elle est insérée dans l'économie mondiale et ceux qui
nous gouvernent ont fait des choix économiques et politiques calamiteux
dictés par les dogmes néolibéraux de la Banque Mondiale et du FMI des
années 90. Les pires des choix. Endettée jusqu'au cou, ils ont livré
l'Algérie à un plan d'ajustement structurel en 1994, dont aujourd'hui
nous payons le prix par les effets sociaux qu'il a induits sur la
société. Le passage d'une économie centralisée, étatiste à une économie
dite « de marché » a été une calamité pour l'écrasante majorité de la
population, pour l'industrie nationale et pour les institutions qui ont
été incapables de se réformer dans le même temps. Rentrer dans
l'économie de marché cela s'organise, c'est ce qu'explique, avec bon
sens et intelligence, Joseph E. Stiglitz, depuis des années, prix Nobel
d'économie et loin d'être un gauchiste. Dans La grande désillusion, il
écrit : « Avec la chute du mur de Berlin a commencé l'une des plus
grandes transitions économique de tous les temps. » Nous en étions. Et,
il rappelle l'importance des institutions pour une économie de marché
réussie, des institutions qui installent des « cadres juridiques et
réglementaires ».
Nous, nous avons
une Bourse en béton pendant qu'à découvert, les devises s'échangent à
même la rue, pendant qu'à proximité les policiers en uniforme canalisent
les embouteillages de voitures achetées à crédit. E. Stiglitz écrit : «
Dans les pays qui ont des économies de marché parvenues à maturité, les
cadres juridiques et réglementaires ont été édifiés pendant un siècle
et demi, en réaction aux problèmes que suscite un capitalisme de marché
sans entrave. » Dans le même ouvrage, il témoigne des grands débats
d'école autour du passage des anciens pays à économie centralisée
étatiste à une économie de marché, entre l'école « thérapie de choc » et
« l'école gradualiste ». A quelle école l'économie algérienne
s'est-elle arrimée à votre avis ?
Privatisation sans
banque ni marché financier, destruction des monopoles d'Etat remplacés
par des monopoles privés sans concurrence, libération du commerce de
terre et de la propriété sans marché foncier, ni cadastre,
libéralisation de la force de travail sans marché du travail réglementé
livrant la classe des travailleurs à des négriers du Sud au Nord du
pays, ouverture du marché national à l'import-export entraînant la
destruction de milliers de petites PME nationales quand, dans le même
temps, étaient démolies au bulldozer les firmes publiques qui ne seront
remplacées par rien d'autre que le néant, aggravant le chômage, déjà
structurel depuis les années 1980, aggravant l'inflation.
Et si on parlait de la rente pétrolière ?
Heureusement
qu'il y a le pétrole, le gaz. Et, si on parlait du pétrole, de la rente
pétrolière et de la manière dont elle est gérée, depuis la
surexploitation de nos ressources naturelles jusqu'à la redistribution
des ressources financières qu'elle procure. Cela nous permettrait
peut-être d'y voir plus clair que ne le permet le concept inopérant de «
clan ». En attendant, l'argent du pétrole, avec des réserves de change
historiques, qu'en ont fait ceux qui nous gouvernent ? On sait que le
pouvoir a remboursé rubis sur l’ongle sa dette, mais on ne sait pas si
c'était une très bonne idée. On sait également que le pouvoir a prêté
quelque 5 milliards de dollars au FMI ...sans conditions, pour renflouer
le capital financier qui détruit les Etats, de l'Algérie à la Grèce. On
ne sait pas si c'était une bonne idée, nous n'avons pas été invités à
en débattre, trop occupés que nous étions à décrypter les signes des
ombres, tels des cardinaux attendant le choix de leur pape. On sait
également que le plan de relance économique du Président mobilise
quelque 300 à 500 milliards de dollars ou de dinars, on ne sait plus le
chiffre exact, cela dépend des sources. Ont-ils sorti l'économie
algérienne de l'ornière, préparé l'après-pétrole, la dépendance
suicidaire à une seule ressource en devises, pendant que le cours du
pétrole baisse avec nos réserves naturelles ? Ont-ils créé de l'emploi,
de l'industrie, modernisé nos villes, nos écoles, nos hôpitaux ? Ou
ont-ils été avalés par les multinationales « bienvenues chez nous »,
leur a dit M. Hamid Temmar, japonaises, chinoises, françaises,
américaines, turques et compagnie, entre surfacturation et corruption,
transfert illégal d'argent public, pendant que, magnanime, l'Etat
redistribuait dans le chaos les miettes pour acheter la stabilité
sociale, amadouer les pauvres classes dangereuses ? Mobilisant dans le
même temps des forces de police inouïes quadrillant le pays, devenu
familières de notre paysage comme une seconde peau, à tel point que
lorsque nous voyageons dans les autres pays, il nous manque quelque
chose, des uniformes, y compris dans les pays frères en pleine
révolution.
« Gestion démocratique des foules »
Entre
redistribution des miettes et maintien de l'ordre, les Algériennes et
les Algériens sont camisolés dans la politique du tout sécuritaire,
c'est là la seule option stratégique de ceux qui nous gouvernent en
clan, en meute ou en tribu. Au moindre conflit social, autour du
logement, du droit au travail, à la moindre revendication de droits
démocratiques, comme le droit d'association, le droit syndical, le
régime déploie des forces de l'ordre, cantonne les manifestants et peut
prétendre, ravi, au « retour au calme ». C'est ce que l'on appelle « la
gestion démocratique des foules. » Et si la police ne tire que très
rarement sur les manifestants, craignant les réactions internationales,
combien cela nous coûte-t-il en termes d'argent public, ce déploiement
quotidien de forces de l'ordre ? Combien cela coûte, l'ordre sans la
stabilité ? Pas seulement en termes financiers, mais également en termes
d'échine, de dignité, d'humiliation pour un peuple méprisé, dépossédé.
Un peuple de qualité à la recherche d'une élite à sa hauteur. Capable de
donner du sens à ce qui se passe sur notre terre, d'être à l'écoute de
ses combats méprisés, réduits au concept « d'émeute » depuis l'aube des
temps.
Faillite d’un système de pouvoir
Déjà, après le
soulèvement d'Octobre 1988, Saïd Chikhi, ce brillant sociologue dont
l'intelligence et l'humanité nous manquent tant aujourd'hui, écrivait : «
(...) Evoquer le chômage, la question du logement pour expliquer le
soulèvement d'octobre, c'est tout à la fois dire tout et rien, confondre
causes et effets et, surtout, opérer une réduction de la complexité des
rapports sociaux en œuvre par l'évacuation de ce qui constitue le nœud
central de l'Algérie d'aujourd'hui : le champ de la marginalité. » Ce
constat est toujours d'actualité. Empruntant à Sami Naïr, il expliquait
que ce qui caractérise « les groupes sociaux » relevant de ce champ de
la marginalité c'est « La tendance à accéder de façon partielle et
marginale aux ressources du système de production, leur exclusion
radicale par rapport aux avantages et bénéfices liés à
l'institutionnalisation politico-sociale, enfin un ethos de vie fondé
sur ce que l'on pourrait définir comme une culture de la survivance. »
Ce soulèvement,
ajoutait-il, « consacre la faillite d'un système de pouvoir qui prive la
scène politique de ses possibilités d'ouverture et de régulation en
interdisant l'expression de revendications opposées, en étouffant toute
initiative émancipatrice de la connaissance critique et en plongeant la
société dans une profonde indigence morale et intellectuelle. »
Cet étouffement de toute initiative émancipatrice est productrice de violence, prédisait-il déjà.
Le passage du
parti unique au multipartisme a échoué sur des flots de sang. 20 ans
plus tard, l'analyse est toujours aussi pertinente mais il faudrait y
ajouter qu'elle s'est aggravée comme l'illustre sans appel la situation
actuelle du pays. Aujourd'hui, l'utilisation des armes n'est plus du
seul ressort de l'Etat : incapable de rétablir l'ordre, il fait
désormais appel à des agences de sécurité privées, pendant que les
multinationales revendiquent le droit de s'auto-protéger pour défendre
leurs intérêts, l'affaire Tiguentourine faisant office de preuve. C'est
pour quand les mercenaires étrangers vérifiant nos pièces d'identité
algériennes à l'entrée des bases pétrolières secondées par des agents
algériens, si ce n'est déjà fait ? Le champ de la marginalité s'est
élargi avec l'installation d'un chômage de longue durée, le pré-emploi
en guise de béquille, avec la dévalorisation du statut de producteurs,
qu'il soit salarié ou petits patrons de PME, la destruction des métiers
de paysan et d'artisan qui ne sont mêmes plus représentés. Aujourd'hui,
c'est presque la majorité des Algériens qui est marginalisée.
Etre salarié ne
confère même plus le statut d'intégré au système, l'UGTA est devenue
incapable de remplir cette fonction, jouant le garde-chiourme de
nouveaux intérêts privés, comme le montrent les nouveaux statuts de son «
élite », à la fois sénateurs et homme d'affaires, comme le montrent le
dépôt de l'argent des travailleurs par sa direction dans la Khalifa
Bank, aujourd'hui disparue, pendant que Sidi Saïd est à la barre des
témoins. Pendant qu'à l'ombre de la destruction de 50 ans d'indépendance
naissait les nouveaux riches, milliardaires qui ont su entre rente
pétrolière et marché mondial accumuler un capital que nous sommes
incapables d'évaluer mais qui est désormais un nouvel acteur de la scène
politique et économique. Il participe de l'ombre. Cette nouvelle force
économique et politique alliée de ce que J.F Gayraud, appelle « le
nouveau capitalisme criminel », ou le capitalisme mafieux, n'ayant de
cesse d'affaiblir les Etats, les souverainetés nationales et de piller
le monde. Croyant se renforcer en interdisant l'émancipation des
différents groupes sociaux, entre el khobza et l'assa, rendant
invisibles ces intérêts contradictoires, le régime algérien a produit un
monstre politique qu'il s'avère incapable de maîtriser, affaiblissant
l'Etat et le privatisant, les murs de façades qu'il a laborieusement
construits à coups de propagande, de mensonge et de répression
s'écroulent et son incapacité à trouver un candidat consensuel n'est que
la partie visible de l'iceberg.
L'armée
algérienne, l'institution des institutions, qui se définissait comme l’«
héritière de l'ALN » n'est plus une force intouchable garante des
équilibres du régime. C'est Amar Saïdani qui nous l'a appris depuis son
siège de secrétaire général du FLN contesté par un « clan » rival. Le
FLN, l'ex- parti unique, se dispute comme une vulgaire « association à
caractère politique » ou une malheureuse ligue des droits de l'homme, un
sigle qui a définitivement perdu sa capacité de mobiliser une clientèle
même sur des bases mensongères mais patriotiques.
Quand Amar Saïdani
nous explique, sans sourciller, que Chakib Khelil, ex-ministre de
l’Energie et des Mines, impliqué dans des scandales de corruption entre
ENI et SNC Lavalin évalués à des centaines de millions d'euros,
exécutant d'une loi sur les hydrocarbures concoctée par des Américains
au services des intérêts de leur pays, a sauvé le pays, la messe est
dite. Le FLN de la nationalisation des hydrocarbures en 1971 est mort.
Et il est à craindre qu'à l'avenir, nous ne le regrettions. Qui dirige
l'Algérie en 2014 si ce n'est plus l'ANP/FLN ?
Et nous, qui
sommes-nous ? Des foules, des tubes digestifs, des paresseux qui ne
veulent pas travailler, des assistés, des gens de rien, des lâches, des
pleutres ?
Nous sommes pourtant un peuple!
Nous sommes
pourtant un peuple qui ne devrait pas avoir honte de son histoire. Nous
sommes un peuple, et c'est exceptionnel, dont l'icône de sa libération
est une femme : Djamila Bouhired, fille de la Casbah qui, torturée,
éclate de rire à la gueule de ses tortionnaires qui lui annoncent
qu'elle va être guillotinée. Ce symbole presque magique n'est pas sorti
du néant. Il est arrimé à une longue histoire d'un pays de résistant à
bien des despotes romains, berbères, arabes, français, un peuple partie
prenante de l'histoire de la Méditerranée, de l'Afrique et de l'humanité
tout entière, comme n'importe quel peuple du monde. Ni plus, ni moins.
Et, « Vous
assistez passivement à l'appauvrissement de votre pays. Tous les biens
de votre pays sont dilapidés par des gens occultes que nous ne
connaissons pas et qui se sont transformés en mafia », nous a reproché
un vieux monsieur, Brahim Chergui. Il avait l'âge du PPA, du FLN, canal
historique, venu au cinéma L'Algéria rendre hommage à un compagnon de
lutte de libération nationale. Il faut, cependant, rendre justice aux
exclus qui, en dépit de l'horreur traversée et à venir, se battent pour
que leur citoyenneté soit respectée contre « ces gens que nous ne
connaissons pas ».
S'organisant en
comité de chômeurs, en comités de quartiers, en syndicats autonomes,
tentant d'élire des délégués dans des conditions extrêmement difficiles,
ils font grève, ils manifestent pour une redistribution équitable des
logements, pour des routes, des hôpitaux. Il faut rendre justice aux
fonctionnaires qui, à travers leur mouvement, en revendiquant des
salaires décents, défendent, quoiqu'on en dise, ce qui reste de service
public, dans l'enseignement, la santé, etc.
Il faut rendre
justice à tous ces combats collectifs et individuels contre la
corruption, le gaspillage d'argent public, à toutes ces résistances
populaires qui, depuis le bas du monde, tentent de recréer des
solidarités, de la fraternité pour retisser le tissu social décomposé
par deux guerres menées, dans le même temps, aux Algériennes et aux
Algériens : une guerre civile et une guerre économique.
Tentant de
défendre leurs intérêts de classes dangereuses, dépossédées de leur
droit à la citoyenneté mais insoumis, en révolte perpétuelle, ils
protestent contre les mécanismes de domination écrasants, domination de
classe quasiment armée et ils revendiquent le droit de se construire en
opposition. Ils interpellent l'Etat, qui demeure pour eux le grand
organisateur du monde. Ils lui demandent d'être le garant de la justice
sociale et de la justice tout court. Ils revendiquent le droit de
s'organiser pour défendre leur droit au travail et le droit du travail.
Ils sont la modernité de ce pays et non pas son chaos car ils demandent
des règles et des règlements qui s'appliqueraient à tous contre
l'anarchie, le droit du plus fort, contre le mépris et pour la fierté.
L’alternative au chaos c'est d'abord nous...
« Mais si ces
jeunes, ces marginalisés, écrivait encore Saïd Chikhi, ont indiqué la
cible, ils ne peuvent en revanche, montrer la voie. (…) plus motivés par
la rage d'appartenir au champ marginal que par des utopies de
transformation sociale. »
Nous en sommes là :
les marges construisent de l'opposition mais sans être portées par des
utopies de transformation. Alors oui, peuple de qualité cherche élite à
sa hauteur. Le job est difficile, il demande des sacrifices, une grande
opinion de la liberté, de la pensée et de l'engagement, une capacité
critique à penser l'épaisseur du monde et peu d'avantages. Cette élite
doit pouvoir se trouver dans les villes et les campagnes, les bourgs et
les faubourgs, au Sud comme au Nord, dans la diaspora algérienne, dans
les syndicats, dans les mouvements de protestation populaires, dans les
universités bien que détruites, dans les mouvements de femmes, les
mouvements des victimes de la guerre civile et de la guerre économique,
chez les fonctionnaires, les ouvriers, les intellectuels, les artistes,
dans les mosquées et les prisons, pour que les choses soient claires.
La feuille de
route consiste à montrer qu'« en réalité, la cause structurelle de la
crise est l'impasse d'un ordre social traditionnellement établi dans le
pays et qui laisse toujours percer les contours de la permanence, de ce
qui dure, de ce qui ne bouge pas au niveau de formes archaïques et sans
cesse renouvelées de la domination politique et du contrôle social. »
(Saïd Chikhi, « Mouvement social et modernité », in Naqd/ SARP, 2001)
Et, d'ajouter: « Cette situation résulte non pas de l'absence de
différenciation au niveau économique et sociale mais du fait principal
que la classe dirigeante interdit l'expression autonome de
revendications opposées, refuse l'institutionnalisation du conflit
social et réprime tout mouvement social pouvant servir de levier à la
formation d'une action organisée en stratégie. »
En plus clair : «
Autrement dit, la crise dont il s'agit n'est pas seulement le produit de
la dérégulation économique ou l’effet de rapports sociaux capitalistes
mondialement organisés. » (S.C)
Même, si « ces
paradigmes s'imposent, non seulement ils ne suffisent pas pour expliquer
totalement le système global mais ils risquent, en occultant, de servir
d'alibis à toutes les stratégies politiciennes aussi contradictoires
soient-elles. » (S.C)
Du genre : les
foules sont manipulées par « la main étrangère » pendant que le pouvoir
défend la « souveraineté nationale » alors que dans le plus grand
secret, les puissances militaires s'installent à proximité de leurs
intérêts stratégiques. En conséquence, pour construire collectivement
des utopies de changement social, il faut revendiquer haut et fort le
droit à « l'expression autonome de revendications opposées », « le droit
à l'institutionnalisation du conflit social », s’opposer à la
répression « du mouvement social » et aller vers « une action organisée
en stratégie », seule force « susceptible de conduire à un changement
historique. »
La route sera
longue et difficile car il s'agit d'inventer collectivement un nouveau
calendrier, de construire de l'intelligence collective aujourd'hui
émiettée, d'être créatifs, inventifs pour que les Algériennes et les
Algériens soit égaux en droit, libres de choisir leurs représentants en
fonction de leurs intérêts de groupes sociaux, en peuple souverain, tel
un roi en son pays. Ce n'est pas la lutte des classes mais c'est mieux
que la lutte des clans, si nous voulons vraiment que l'heure du
renouveau sonne, parce que l'alternative au chaos c'est d'abord
nous...avec ou sans « elle ».
Ce que nous
voulons, m'a dit un jour un intellectuel au chômage, fils du désert : «
Nous voulons la paix et la démocratie, les deux, et sans violence parce
que cette fois-ci, nous ne nous ferons pas avoir. » C'est là toute
l'exigence algérienne que les autres ne comprennent pas car ils ne
connaissent pas les chemins que depuis des siècles nous escarpons.
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