Un quart d'heure
en attendant l'histoire
par M. Saadoune
Le qualificatif «d'historique» accolé à la discussion
téléphonique d'un quart d'heure vendredi 27 septembre entre les présidents
américain Barack Obama et iranien Hassan Rouhani n'est pas usurpé. Cela fait
trente-quatre ans que les chefs d'Etat de ces deux pays n'ont pas eu de
contact. Et l'histoire de leurs relations est marquée du sceau de la méfiance
depuis le coup d'Etat contre Mohamed Mossadegh, le 18 août 1953, organisé par
la CIA en réaction à la nationalisation de l'Anglo-Iranian Oil Company qui
deviendra BP par la suite. La vassalité du Chah pour les Etats-Unis n'a fait
que renforcer un ressentiment nationaliste iranien contre l'empire.
L'Iran souffre aujourd'hui de l'embargo économique imposé
par les Occidentaux. La raison, là aussi, tient encore à la volonté des
Iraniens d'être indépendants et de ne pas se soumettre au diktat d'Israël,
seule puissance nucléaire au Proche-Orient, qui veut interdire à l'Iran de
maîtriser le nucléaire à des fins civiles. Toute la vision occidentale sur
l'Iran est marquée par ce tropisme israélien, appuyé sur un matraquage
permanent sur la prétendue course de l'Iran à la bombe. La diplomatie active et
pondérée - ce qui ne lui enlève rien de sa fermeté - du président Hassan
Rouhani perturbe cette propagande. Elle rétablit les choses : l'Iran ne veut
pas la bombe mais ne renonce pas à la maîtrise du nucléaire à des fins civiles.
Cela permet d'évacuer la rhétorique inutile et contre-productive d'Ahmadinejad
et de montrer au monde entier le vrai enjeu.
Les Iraniens ne peuvent renoncer à l'enrichissement de
l'uranium uniquement parce qu'Israël «l'exige». Et parce que les Etats-Unis et
les autres pays occidentaux ont adopté cette «exigence» qui ne figure pas dans
le Traité de non-prolifération (TNP). Le coup de téléphone d'Obama à Rouhani a
été marqué par la courtoisie et, peut-être, une volonté d'explorer les
possibilités de solution. Qui ont toujours existé. L'Iran, qui est membre du
TNP, peut être encore plus transparent dans l'accès à ses sites, mais la
contrepartie est que les puissances occidentales ne lui contestent pas les
droits qui lui sont reconnus au nucléaire. Ces éléments de la solution ont été
constamment évacués en raison du poids des lobbys israéliens dans les capitales
occidentales. Et on peut s'attendre, après l'effort de Rouhani et le «geste»
d'Obama, à ce que les pressions israéliennes redoublent d'intensité. Car, on le
sait depuis longtemps, cette crise tient au fait qu'Israël veut conserver le
monopole du nucléaire dans la région.
Les assassinats de scientifiques iraniens par le Mossad
situent l'enjeu dans sa vraie nature : c'est la tête des scientifiques iraniens
qui est leur problème, pas une bombe dont l'Iran n'en veut pas. C'est pour cela
que beaucoup d'Iraniens ne s'emballent pas trop après le «coup de fil
historique» d'Obama à Rouhani. Le droit des Iraniens au nucléaire y compris
celui de l'enrichissement n'est toujours pas reconnu par les Occidentaux. Et
l'Iran ne compte pas transiger sur le sujet. Barack Obama a fait un geste
calculé en appelant le président iranien. Il a pris la peine d'avertir au
préalable le Congrès et
Israël. Et tout comme sur le dossier palestinien, il
est très improbable que le président américain veuille - ou puisse - déplaire
aux Israéliens. C'est pour cela que le quart d'heure historique de vendredi
risque de ne pas trop changer l'histoire
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