Le général-président arrive
par M. Saadoune
La justice politisée et répressive a de nouveau frappé en
Egypte. Un tribunal des référés dont la compétence est fortement contestée par
les juristes a décidé, hier, de la dissolution des Frères musulmans, de l'association
des Frères musulmans et de toute organisation qui en émane. Dans la longue
histoire de la confrérie, cette dissolution est la troisième en 85 ans
d'existence clandestine ou semi-clandestine. Le jugement prononcé ne comporte
pas d'attendus juridiques mais des énoncés politiques sur les Frères musulmans,
sur le peuple «qui a cherché protection chez l'armée» et sur Al-Azhar
«citadelle du juste milieu».
Pour beaucoup de juristes, ce jugement est au plan du droit
intenable. Mais personne ne s'attend, non plus, à ce que la justice égyptienne,
qui depuis la destitution de Mohamed Morsi donne une couverture « juridique» à
toutes les mesures de répression, se contente de faire du droit. Dans le climat
actuel, l'appareil judiciaire comme les médias font dans l'excès de zèle contre
les Frères musulmans tandis que les services de sécurité arrêtent à tour de
bras, juste en raison du port de barbes ou d'appartenance présumée aux Frères
musulmans. Ce jugement - susceptible d'appel, mais qui peut faire appel quand les
responsables de ce mouvement sont en prison ou traqués ? - va servir d'alibi à
un durcissement de la répression. Il couvre pratiquement toutes les mesures que
prendront la police et l'armée contre l'organisation mais également contre les
individus et leurs biens.
Depuis la destitution de Morsi et malgré une féroce
répression, les Frères musulmans, et pas seulement eux, manifestent
régulièrement contre le coup d'Etat. Ce ne sont plus les sit-in massifs de
Rabaa Al-Adawiya mais le fait que des manifestants continuent à sortir malgré
la répression et l'état d'urgence traduit le fait indéniable de leur
enracinement dans la société. L'histoire de la longue confrontation entre le
régime militaire égyptien et les Frères musulmans montre que les décisions de
dissolution ne font pas disparaître ces derniers. Les militaires le savent.
Mais la répression qu'ils mènent contre les Frères musulmans leur permet de
reprendre, avec le soutien d'une partie de la population, le peu de terrain
qu'ils ont concédé à la société. Elle permet de mettre entre parenthèses et
sans doute pour longtemps la question de la démocratisation du pays.
Les Frères musulmans ne disparaîtront pas du fait de cette
décision de justice politisée. Ceux qui se disent démocrates, libéraux ou de
gauche qui l'approuvent bruyamment sont et seront inévitablement perdants. Ils
devront se contenter, peu importe la forme que cela prendra, de la «place» que
leur concèdera le régime. Les accusations portées contre les Frères musulmans
reposent sur des fondements politiques et idéologiques et non judiciaires. Les
attendus même du jugement prononcé, hier, le confirment avec une grossièreté
remarquable. Cette dissolution est contre-productive. Elle affaiblira les
Frères musulmans au profit de groupes radicaux. Elle crée une obsession
sécuritaire pour justifier l'avènement du général-président Sissi. Les médias
zélés font déjà campagne.
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