Washington
assisté par Londres et Paris poursuit ses efforts visant à former une
coalition en faveur d'une intervention militaire. Les Etats-Unis et
leurs alliés en Occident et au Proche-Orient sont prêts, à la rigueur, à
se passer de l'approbation du Conseil de sécurité. En outre, la Ligue
arabe se dresse également contre al-Assad. Elle a fait endosser à Damas
la responsabilité pour l'utilisation de l'arme chimique et a appelé les
membres du Conseil de sécurité de l'ONU à surmonter leurs contradictions
et à prendre des mesures afin d'arrêter les meurtres en Syrie.
Outre
l'Iran tous les pays du BRICS (Russie, Chine, Inde, Brésil, Afrique du
Sud) et certains pays latino-américains s'opposent au changement du
régime par les armes et se prononcent pour le règlement en Syrie
uniquement par le biais des négociations entre les autorités et
l'opposition. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a
déclaré : « Penser qu'une fois l'infrastructure militaire syrienne
bombardée et le champ de bataille dégagé pour que les adversaires du
régime remportent la victoire, tout sera terminé, signifie se faire des
illusions. Même si une telle victoire est remportée, la guerre civile
continuera. A la seule différence que ceux qui représentaient la partie
gouvernementale seraient dans l'opposition. Nous constatons déjà des
lourdes conséquences des ingérences précédentes dans des conflits dans
cette région ».
Il
convient de noter qu'en réalité les intérêts des membres de la
coalition anti-Assad sont assez variés bien que la coalition semble être
cohérente. Commençons par les doutes du président américain Obama. Il
est évident qu'il est désorienté et qu'il ne sait pas que faire. En tout
état de cause, les Etats-Unis ne sont pas disposés à s'enliser dans des
opérations militaires sans fin. Par contre, ils se rendent compte
qu'une réaction est nécessaire, au moins pour sauvegarder l'influence
américaine au Proche-Orient.
Guéorgui
Mirski de l'Institut de l'économie mondiale et des relations
internationales de l'Académie des sciences de Russie note à ce propos :
«
La raison de la politique anti-Assad de Washington n'est pas un mal que
le dirigeant syrien a causé aux Américains et à l'Occident, en général.
D'autant plus, ce n'est pas sa politique répressive intérieure. En
vertu d' un tel critère, les Etats-Unis devraient commencer par demander
au gouvernement de l'Arabie saoudite de modifier son comportement. Pour
l'administration américaine, l'unique faute véritable d'al-Assad est
son alliance et sa coopération avec l'Iran. Assad doit être éliminé pour
affaiblir cardinalement les positions de Téhéran dans la région et de
le mettre dans un plus grand isolement ».
Après
la Libye, les Américains comprennent qu'on ne saurait se passer d'une
opération au sol pour réaliser un assaut final. Conscient de cette
nécessité, Barack Obama va atermoyer jusqu'à ce que son inaction soit
trop provocante pour la France et la Grande-Bretagne dont les positions
sont plus intransigeantes par rapport à celles de la Maison Blanche. Ce
sont ces deux pays qui poussent les Etats-Unis à un conflit. Selon le
directeur du Centre de partenariat des civilisations de l'Institut MGIMO
Veniamine Popov :
«
L'essence du problème est dans le fait que l'Occident a peur de la
renaissance du monde islamique. Trop de ressources sont concentrées au
Proche- et au Moyen-Orient. Il ne s'agit pas seulement du pétrole et du
gaz, mais aussi des possibilités financières immenses. Les Américains
ont compris depuis longtemps que le calme dans la région n'est pas dans
leur intérêt. Ils n'ont pas besoin d'un concurrent capable de créer de
nombreux problèmes dans l'avenir. Un Orient jeune et passionné
représente une menace sur fond d'un Occident vieillissant et
dépérissant.
Le
directeur adjoint de l'Institut d'orientalisme de l'Académie des
sciences de Russie Vladimir Issaïev fait remarquer que les Américains
doivent tenir compte des mobiles anti-Assad de l'Arabie saoudite basés
sur le facteur religieux :
«Les
Saoudites se prenaient toujours pour leaders du monde arabe, au premier
chef, pour leaders religieux. Leur roi porte le nom de « gardien de
deux reliques » (les mosquées de La Mecque et de Médine). L'aspect
religieux pousse l'Arabie saoudite à des actes qui ne sont pas toujours
justifiés. Ses dirigeants craignent que les habitants du pays
s'inspirent du mécontentement syrien et destabilislent la situation.
Cela est également dangeureux du fait que les principaux champs
pétrolifères se trouvent dans la province orientale. Aussi en finir avec
le pouvoir des alaouites en Syrie est-il un objectif de l'Arabie
saoudite ».
De l'avis de Veniamine Popov, l'ensemble du rapport des forces politiques au Proche-Orient subit de profonds changements :
« L'Orient
arabe est confronté à un regroupement de force. L'Occident ne cesse
d'attiser les différends entre les sunnites et les chiites. Ces
différends ont toujours existé, mais jamais ils ne prenaient des formes
aussi violentes. De nouvelles scissions se sont produites. Ainsi la
Turquie soutient les Frères musulmans parce qu'elle a peur que l'exemple
des Egyptiens soit contagieux pour sa propre armée. Les Frères
musulmans sont également financés par la Tunisie et le Qatar. Selon les
analystes occidentaux, une frappe contre la Syrie serait très à propos
pour détourner l'attention ».
Selon Vladimir Issaïev la position anti-Assad de la Turquie s'explique très simplement :
« Pour
ce qui est de la Turquie, celle-ci a plusieurs raisons de s'ingérer
dans le conflit. Tout d'abord, je ne crois pas que la Turquie souhaite
en effet un développement démocratique pour la Syrie. Parce que la
Turquie elle-même peut être rangée parmi les démocraties avec beaucoup
de réserves. Mais la Turquie est effrayée par l'exemple de l'Irak
(plutôt du Kurdistan). Par le fait que Damas accordait aux Kurdes une
plus grande autonomie. Oeuvrant contre les autorités syriennes en place,
la Turquie résoud ses propres problèmes relatifs à la question kurde ».
Dans
ce contexte Israël occupe une place à part. Il n'a pas l'intention de
s'ingérer dans le conflit syrien mais il ne laissera pas sans réponse
toute action agressive de la part de Damas. Aussi les Israéliens
tentent-ils de ne pas être impliqués directement dans la situation. Mais
étant donné leurs relations de partenaires avec les Etats-Unis, leurs
services secrets partagent, à coup sûr, des données dont ils disposent
avec leurs collègues américains. Néanmoins, il est peu probable
qu'Israël porte lui-même des frappes.
L'Iran
envisage une agression extérieure contre al-Assad comme un défi à
lui-même avec toutes les conséquences qui s'ensuivent. Cette position
n'a pas changé même après l'arrivée d'un nouveau président. L'Iran est
un des Etats peu nombreux à majorité chiite. Il brigue une arme
nucléaire et s'oppose fermement à Israël et aux Etats-Unis. Il prétend
au rôle de leader subrégional s'opposant au centre sunnite en Arabie
saoudite.
La
plupart des experts convergent que l'Occident simplifie la situation au
Proche-Orient. Il ne voit pas ou ne veut pas voir quels changements
s'opèrent dans cette région et dans le reste du monde. D'où ses erreurs
d'estimation et de planification stratégique. Vladimir Issaïev est
convaincu :
«
La force nommée islamistes a vu le jour. L'Occident a décidé pour une
raison inconnue qu'il s'agit de l'apparition d'islamistes modérés.
Pouvez-vous imaginer un catholique modéré ou un chrétien modéré ? De la
même façon il n'y a pas d'islamistes modérés. Grossièrement, l'islamiste
est un radical musulman. A mon avis, approvisionner ces hommes en armes
est une folie ».
Chercher
à punir al-Assad en frappant contre ses états-majors et bases
militaires avec des missiles de croisière est une folie même plus
grande. L'analyste militaire américain Chris Harmer a écrit sur le blog
de la revue Foreign Policy que « les actions tactiques en absence de
tâches stratégiques sont, d'habitude, insensées et souvent
contre-productives ». Selon lui, il est facile de tirer 30 ou 40
missiles Tomahawk, mais « il est difficile d'expliquer aux stratèges
comment cela peut aider les intérêts des Etats-Unis ».
Voilà
pourquoi l'ingérence étrangère dans le conflit syrien en tant que moyen
d'éliminer des concurrents idéologiques non seulement aura des
conséquences catastrophiques pour le monde arabe et causera un immense
préjudice à la réputation des pays se trouvant à l'origine de cette
ingérence, mais aussi torpillera les efforts de la communauté mondiale
visant à créer un système de sécurité internationale.
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