L’armée régulière syrienne aurait tué 1300 Syriens
la nuit du 20 au 21 août en utilisant des gaz neurotoxiques. Les corps
de plusieurs dizaines d’enfants enveloppés dans leur linceul sont
montrés dans la presse, allongés dans un local dont se devine un mur en
parpaing et qui ne semble être ni une mosquée, ni un hôpital ni une
morgue, ni une colonie de vacances, ni une école. La photographie est
titrée le plus souvent, ‘massacre d’innocents’, ‘carnage’. Elle suscite
tout naturellement une grande émotion faite de compassion et de colère.
Elle
semble bien avoir été composée et scénarisée pour obtenir cet effet
puisque les corps de ces petites victimes n’ont pas d’autre raison
d’être ainsi regroupés. * MESURER AVEC ÉQUITÉ - NE PAS TRANSGRESSER AVEC LA PESÉE ** Les
Us(a) renforcent leur présence en Méditerranée, David Cameron et
Laurent Fabius espèrent passer outre l’ONU pour déclencher la « riposte
militaire » ‘contre’ le régime de Bashar El Assad. Laquelle frappe ne
l’atteindra très probablement pas, ni sa famille et pas non plus les
dignitaires du régime. En cas d’engagement du bloc occidental plus
direct qu’il ne l’est aujourd’hui en Syrie, le nombre des morts
atteindra très vite des centaines de milliers comme l’a prouvé l’exploit
de L’OTAN en Libye. Les obus et les missiles n’épargneront pas des
milliers d’enfants qui seront peut-être à peine évoqués comme victimes
collatérales nécessaires. En
quoi mourir d’asphyxie rapide rendrait le crime plus inacceptable que
de périr d’hémorragie par balles provenant d’une arme automatique d’un
sniper posté à une terrasse d’immeuble ? Ou même de perdre la vie sous
des missiles tirés depuis un drone commandé par un soldat distrait dans
son poste de commande au Texas ? Dans tous ces cas, la victime est incapable de riposter ou de se défendre d’un ennemi invisible. L’armée
égyptienne a réprimé dans le sang des manifestants cette semaine
dernière, le nombre de victimes a été estimé à plus de mille morts dans
le plus pur style des dictatures militaires que l’on croyait révolues
appartenant au siècle dernier et passées de mode. Ces morts-là n’ont
provoqué qu’une protestation molle du bloc occidental par la voix de
l’Union européenne. Barak H Obama a été plongé dans une indécision
grave, incapable de définir sémantiquement les évènements en Égypte,
coup d’État ou révolution populaire légitime, bain de sang ou bain de
sang. Pour
sortir de la torpeur induite par une confusion liée aux difficultés
d’interpréter le réel, voici exhibés quelques symptômes, susceptibles
d’éclairer le jugement des démocrates et ‘personnalités engagées à
gauche’ qui apprécient Sissi comme un libérateur. (0) BRISER DES GRÈVES AVEC DES CHARS Le
12 août, des troupes de soldats dans des véhicules blindés ont
interrompu un sit-in de travailleurs qui protestaient devant l’usine
Suez Steel. Deux ouvriers ont été arrêtés puis relâchés. Quelques jours
après, des officiers de police en ont arrêté quatre autres. Une
véritable chasse à l’homme des leaders de la grève a été entreprise sur
ordre du propriétaire de l’usine, un homme d’affaire libanais du nom de
Rafik Daou. Parmi
les 34 ministres qui composent le gouvernement post-Morsi, installé par
les militaires, seuls onze n’appartiennent pas à l’ère Moubarak. Il
est peu probable qu’ils s’engagent en faveur des doits des
travailleurs, en particulier que soit autorisée leur libre association
au sein de syndicats indépendants de l’ETUF, « Egyptian Trade Union
Federation », contrôlé par l’État. La présence dans le gouvernement de
Kamal Abou Aita qui a dirigé jusqu’à sa nomination en juillet une
fédération dissidente de syndicats née dans la vague révolutionnaire de
janvier 2011 n’est pas une garantie d’une politique en faveur des
défavorisés. Outre
la liberté syndicale, elle devrait instituer un salaire minimum
garanti, des prestations sociales en particulier en matière de santé, la
sécurité au travail et une stabilité des temps travaillés. Briser
une grève en faisant appel aux blindés rappelle plutôt les régimes qui
criminalisent toute revendication ouvrière, taxée d’anti-patriotique
voire bientôt de terroriste. RÉVISION CONSTITUTIONNELLE Un
comité technique de dix membres a été désigné depuis un mois pour
réviser la Constitution adoptée par referendum en 2012. Le prochain
texte sera livré au public dans quelques jours. Il modifie l’article 6 pour interdire l’existence de partis politiques qui se déclareraient fondés sur la religion. Il
maintient son article 2 institué en 1980 par Anouar Sadate qui stipule
que la Shariaa reste une source d’inspiration législative, assurant la
nature musulmane de l’État, de quoi satisfaire le parti Al Nour
d’obédience séoudienne. Il abolit l’article 219 qui précisait que les
principes de la Shariaa incluaient ses interprétations habituelles
communément admises, ses règles jurisprudentielles et ses sources des
écoles sunnites. Le
projet annule la disposition inscrite sous l’article 232 de 2012 qui
bannissaient de toute représentation les membres dirigeants du Parti
National Démocratique de Moubarak. Le
rôle de la Chambre Haute avec ses 270 membres sera minoré. Son
Président est accusé d’avoir perçu de l’argent de la Libye, du Qatar, de
la Tunisie et de la Turquie pour faciliter l’adoption de lois
complaisantes favorables aux Frères Musulmans. Tous
les articles relatifs aux autorités militaires grâce auxquels elles
connaissent une parfaite immunité fiscale et judiciaire présents dans la
Constitution de 2012 sont maintenus. Les
règles électorales vont être modifiées dans le sens d’une plus grande
représentation des candidats individuels, plus de 50% de la Chambre des
Représentants, au détriment des listes des partis, ce qui rendra le
Parlement impuissant en raison de plus importantes difficultés pour
dégager une majorité. DES MILITAIRES POUR GOUVERNER LES PROVINCES Le
13 août, 25 gouverneurs ont prêté serment devant le Président de la
République par intérim. Six seulement parmi eux avaient été nommés sous
Morsi et n’ont pas été remerciés. Sur
les six, cinq sont des généraux. 9 généraux de l’armée viennent d’être
promus. 3 officiers de police avec rang de généraux vont contrôler les
provinces d’Assuit, de Minya et de Sohag. Le
nouveau gouverneur du Caire, un certain Galal Said, a été ministre du
Transport au sein du gouvernement Gandouzy en 2011, il est membre du
Parti National Démocratique de Moubarak et ami intime de son fils, Gamal
Moubarak. Au total quatorze généraux dont deux officiers du
renseignement contre seulement sept pour le gouvernement remanié de
Morsi de juin 2013. Nul doute que ces hauts gradés, passés par une
formation étasunienne, ont pour fonction de lutter contre le terrorisme,
le credo universel institué par les néo-conservateurs qui ont théorisé
et appliqué la guerre perpétuelle, sans fin, contre un ennemi qui n’est
même pas une doctrine ni une idéologie mais un artefact créé pour
écouler une surproduction d’armement. L'ÉQUATION MAGIQUE : ISLAM=TERRORISME En
dehors du cas unique de la Révolution russe, 1905 puis 1917, la
répétition d’une révolution n’a jamais abouti à l’amélioration de la
situation de ceux qui se sont rebellés. En
Égypte, les militaires qui n’ont jamais été éloignés du pouvoir
disposent actuellement de l’arme fatale de la lutte contre le
terrorisme. Sous
ce chef d’inculpation, ils étêtent le parti des Frères Musulmans et le
démembrent. Cette organisation qui a une très sérieuse implantation
populaire a permis la sécurisation des semaines durant la révolte de la
place Tahrir, au début de ce que l’on a appelé à tort la Révolution.
Elle n’a pas été à l’origine de la révolte populaire mais sans son aide
très structurée, l’occupation permanente de Tahrir (filmée et transmise
au monde entier) aurait été compromise ne serait-ce que par
l’introduction de provocateurs. Qu’ils n’aient pas marqué leur rupture
avec la politique économique libérale et leur indépendance vis-à-vis du
pouvoir militaire a été le carburant de la manifestation du 30 juin. Les
accuser de terrorisme et d’intelligence avec l’ennemi appartient
davantage au registre de la propagande éculée. Une
intense campagne de déshumanisation est menée contre les Frères
Musulmans par les libéraux et les militaires et par beaucoup de partis
de gauche mais pas tous. L’ambassadeur de l’Égypte à Londres n’a pas
hésité à qualifier l’emploi de la force armée contre une foule de
protestataires majoritairement sans armes comme une nécessité analogue à
la lutte des Britanniques contre le régime nazi lors de la deuxième
guerre mondialisée de l’occident. (1) Sissi
assez fraîchement émoulu du US Army War College, promotion de 2006,
applique les enseignements stratégiques qui lui ont été inculqués par
des officiers étasuniens qui veulent confondre Islam et terrorisme. Pour
parfaire la fermeture opérée par le système militaire sur la société
civile, deux jeunes femmes activistes du Mouvement de la Jeunesse du 6
avril se voient accusées par le Procureur de la République d’espionnage
au profit de puissances étrangères. La Constitution en cours
d’amendement prévoit d’interdire la destitution d’un Président de la
République par des manifestations de rue, invalidant a posteriori les
chutes de Moubarak et de Morsi ! UN GAZ EN VAUT-IL UN AUTRE ? Les
scénaristes des films de masses syriennes intoxiquées par des gaz
prohibés devraient savoir que le sarin et tous les organophosphorés ont
une très grande pénétration cutanée et sont mortels par cette voie. Une
simple consultation sur Wikipedia les aurait renseignés. Pour faire
‘vrai’ si toutefois la vraisemblance était incluse dans leur cahier de
charges, les sauveteurs devraient être revêtus convenablement selon les
normes usuelles sans quoi ils s’exposent aux mêmes risques que les
victimes. Les
déclarations contradictoires du Ministre de l’Intérieur intérimaire mis
en place par Sissi à propos de la tuerie des 56 prisonniers
‘islamistes’ le dimanche 18 août accusent les militaires. Ils seraient
morts au cours d’une tentative d’évasion dans leur prison ou dans les
camions qui les y transportaient. Ils
ont en réalité succombé, asphyxiés par des gaz irritants jetés par des
soldats à l’intérieur du fourgon militaire. Devant quelle cour les
criminels répondront-ils de leurs actes ? Celle de la Ligue Arabe ou
celle de l’OTAN ? Le
racisme anti-musulman à force de propagande a fait quelques conquêtes
faciles, peu vont s’émouvoir de ce que des musulmans qui méprisent les
femmes au point de les recouvrir au lieu de les dénuder se fassent
lâchement assassiner alors qu’ils sont en état d’arrestation. L’ORIENT ARABE ENSEVELI SOUS UNE MONTAGNE DE DOLLARS On
l ‘avait cru mort, occis par quelque dague sortie de derrière une
lourde tenture ou enivré à mort par quelque subtil poison. Il est
revenu, en négociateur de la maison des Séoud avec le défenseur des
marches orientales. Le prince Bandar a été poliment mais fermement
repoussé par Poutine qui se pose en défenseur des souverainetés
nationales et n’a jamais ignoré l’origine du financement des
autonomistes tchétchènes. Les
mercenaires ou simples volontaires recrutés dans les mosquées du
Machrek au Maghreb en passant par le Turkestan oriental des Ouighours
dirigées par des imams payés en rials séoudiens ont activé le plan ‘fil
rouge’ en Syrie sur instruction directe des organismes payeurs. Le
réveil de l’ancien ambassadeur à Washington correspond à une fièvre
d’investissement pour les fonds des Séoud qui se découvrent un appétit
de géant pour l’Égypte. Par exemple, dès le mois de juin, le Fonds Arabe
pour le Développement Économique et Social offre sa participation dans
un projet de production électrique de 1,6 milliards de dollars, rendant
inutiles les offres de prêt de la Turquie et de la Banque Mondiale. C’est
que le temps presse pour écouler les dollars étasuniens. Parmi les
facteurs directs qui expliquent l’embrasement de l’Orient arabe, on peut
noter la volonté délibérée des pays du Golfe, incluant le Qatar et
l’Arabie des Séoud de libeller les échanges énergétiques dans une autre
monnaie que le dollar étasunien. (3) Il s’agit d’une simple prise en
compte de ce que la Federal Reserve imprime près de 80 milliards de
dollars par mois sans aucune contrepartie dans la production d’une
quelconque richesse. La Syrie comme l’Égypte doivent donc devenir le
terrain de jeux exclusif de la bande à Bandar. En
vérité, vouloir continuer d’imposer une monnaie de singe comme l’étalon
indépassable de mesure de la richesse, de sa réserve et comme outil
indispensable du commerce alors qu’elle ne vaut rien, là réside la
transgression dans la pesée. Le
césarisme de Moubarak a été rejeté car il n’apportait aux Égyptiens ni
bien-être économique ni fierté nationale. Il les a appauvris et
profondément humiliés. Les prémisses des orientations du futur empereur
Sissi n’indiquent aucun fléchissement objectif dans le sens voulu par
eux. Ils
sont trop nombreux à n’avoir rien à perdre pour ne pas envisager une
troisième étape dans la prise en main de leur histoire. Il ne suffira
pas alors de crier « dégage », il faudra venir avec un programme
économique et social précis qui exclut la prédation capitaliste.
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