tout ce que le marais politique algérien compte de crapules, de
fripouilles et de vauriens, écoutez-les tous qui nous préparent à la
grand-messe, qui nous assurent que Bouteflika a retrouvé sa bonne santé
dans cette Algérie dont ils se foutent qu'elle ait complètement perdu la
sienne, pays à l'agonie après quatorze ans de rapine et de gestion
mafieuse de la chose publique mais où, nous rappellent-ils, il restera
de la place pour un quatrième mandat tant qu'il restera quelques gouttes
de sang à sucer, quelques morceaux de chair à mordre et après...
Eh
bien, après, que le déluge emporte ce peuple de gueux et de
fornicateurs, qui passe son temps à se plaindre et à faire des enfants.
Et comme chacun le sait, la marmaille de la plèbe grandit vite, en un
rien de temps, à peine le temps du biberon qu'il faut déjà lui assurer
le pain, l'école, puis le logement et le travail ! Quel aplomb !
Alors,
contre cette jeunesse ils ont lâché les troupes de flics et de
baltaguias. Le tort de ces chômeurs est d’avoir 20 ans. Leur délit est
d’avoir demandé du travail à cette Algérie ruinée par quatorze ans de
rapine et qui n’a plus rien à leur offrir. Leur crime est de gâcher la
fête qui se prépare pour le retour de l'homme qui a mis à genoux le
pays. La terrible manière avec laquelle des centaines de jeunes chômeurs
viennent d'être humiliés à Alger, à Constantine et à Aïn Beida atteste
bien de trois phénomènes préoccupants : l’impasse de l’emploi, la
transformation mafieuse de l’État, la prochaine explosion de la bombe du
chômage.
Comment créer de l’emploi avec rien ?
Il
y a quatorze ans, ils avaient décrété ce qui est bien pour eux. Un
civil à la place d’un pouvoir militaire. Un civil providentiel, gage de
démocratie, d’une république moderne, une république comme on en montre à
la télévision justement, avec de belles femmes, la joie de vivre, la
souveraineté populaire, le travail pour tous, l’État de droit, le
savoir, la culture, l’alternance au pouvoir... La liberté. La liberté de
parler, d’aimer, de marcher la nuit, la grâce d’exister... Ils les ont
crus.
Les messieurs qui parlent la main sur le cœur, qui
invoquent toujours Dieu, parfois les prophètes, ces messieurs puissants
ne pouvaient pas mentir. Le nouveau président citait Tocqueville et
faisait serment de réaliser l’inimaginable : « Je suis en train de
réhabiliter l’État et je suis en train de mettre l’Algérie sur les
exigences de l’an 2000, c’est-à-dire une nécessaire et inévitable
modernisation ».
Quatorze ans après ces généreuses
fanfaronnades, on le sait, le système économique algérien est incapable
de créer de l’emploi. Quatorze années après, les hydrocarbures
représentent toujours 98% des exportations, contre 52% à l’indépendance ;
14 années plus tard, on constate que rien, absolument rien n'a été
entrepris pour la diversification de l’économie nationale et le
développement d’autres activités productives pouvant prendre la relève
du pétrole et du gaz naturel. Bouteflika a abandonné l'investissement
productif et ne vit que par et pour le pétrole.
Comment lutter
contre le chômage dans ces conditions ? Comment créer de l’emploi avec
rien ? La croissance, exclusivement financière, tirée par les
exportations d’hydrocarbures (97% du total des exportations) est une
croissance sans développement générateur d’emplois durables. Toutes les
solutions de pis-aller, type Ansej, sont arrivées à leur limite. Nous
sommes loin de ces premières années de règne où sévissait le cinéma
national. Rappelons-nous, à propos du chômage, en 1999, avec quel talent
notre président, nouvellement élu, se répandait ainsi sur les ondes
étrangères : « Nous sommes en train de prendre des mesures de politiques
interne et externe pour redonner toutes ses chances à l’Algérie, à son
peuple et, du même coup, redonner l’espoir aux sans-emploi d’aspirer
légitimement à un travail, aux sans domicile fixe de réaliser leur rêve
de posséder enfin un toit... ».
Le plus choquant est que cette
politique antinationale a été élaborée au seul bénéfice d’une
conjuration de forces prédatrices formées par les milliardaires de
l’informel et la pègre pétrolière internationale que l’expert Nicholas
Sarkis désigne par « quelques sociétés étrangères sans scrupules »
L’énorme pillage de Sonatrach sous Chekib Khelil n’a été possible que
par le fait que l’État s’était mis au service des 40 voleurs, pour
reprendre la formule de Nicolas Sarkis, et c’étaient les 40 voleurs qui,
non seulement signaient les marchés au nom de l’État algérien, mais qui
dictaient toute l’orientation économique et toute la politique
pétrolière du régime de Bouteflika. Ce fut à leur seul profit qu’on a
surproduit le pétrole.
Durant les trois mandats de Bouteflika,
les importations ont quintuplé, passant de moins de 10 milliards de
dollars en 1999 à plus de 40 milliards de dollars à fin 2009 ! Aussi,
les milliardaires, qui soutiennent tous Bouteflika et qui ont des armées
de baltaguias à leur solde, travaillent-ils à ce que rien ne change.
L’agression des manifestants-chômeurs, à Constantine et Aïn Beida, porte
leur signature. Elle est le signe que le pouvoir et ses affidés ont
définitivement adopté le style mafieux et que l’État algérien s’éloigne
irrésistiblement de l’État de droit.
Mais tout cela ne fait que
reculer l’échéance du pire, car le pays n’étant plus en mesure de
financer la paix sociale, le problème du chômage explosera tôt ou tard à
la face des gouvernants. Aujourd’hui, Les observateurs les plus
conscients pensent même que le pire est à envisager. Après 14 années de
règne, Bouteflika a mis l'État à la merci de sa population. La fronde
des chômeurs peut aller dans n'importe quelle direction, y compris la
plus pessimiste, tout simplement parce que le pays n’est plus en mesure
de répondre à la demande d’emploi.
C’est une honte pour nous
tous que nos jeunes n’aient le choix qu’entre une vie indigne de
chômeurs et le suicide. C’est une honte pour un État qui prétend donner
des leçons de gouvernance aux Africains, de dresser une partie de la
population contre une autre. Ces jeunes ne demandent pas grand-chose.
Ils ne veulent pas de traitement de faveur. Ils veulent seulement ne
plus douter d’eux-mêmes. Ils ne veulent plus renvoyer d'eux une image si
dérisoire.
Ceux qui, obnubilés par le vernis de la
toute-puissance, entreprennent d’humilier les jeunes chômeurs oublient
que, hier comme aujourd’hui, aucune jeunesse n’accepte de vivre avec les
mêmes horizons désespérants. C’était valable en 1954. Cela reste
valable aujourd’hui.
Jamais le temps des crapules ne l’a emporté sur le temps de l’honneur.
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