ELWATAN-ALHABIB
vendredi 29 juin 2012
 

L’ère post-étasunienne

 

 


A la fin du XXe siècle, la bonne nouvelle aura été la disparition de l’URSS en tant qu’empire imposant sa loi sur l’Europe centrale, et la mauvaise aura été la survie des USA en tant qu’empire imposant leur loi sur l’Europe occidentale, l’Amérique latine et d’autres parties du monde. La renaissance de la Russie et l’éveil de la Chine conduisent inexorablement à l’invention d’un Nouvel Ordre International, dans lequel l’anachronique Empire US aura disparu. Dès lors, les stratèges s’interrogent sur la manière de limiter les affrontements inhérents aux périodes charnières. Pour le docteur Imad Shuebi, les nouveaux leaders du monde, Beijing et Moscou, agissent avec précaution pour prévenir une guerre mondiale, mais s’attendent à de sanglants conflits régionaux.
Samedi 30 juin 2012

JPEG - 140.9 ko
Parler d’ère post-étasunienne ne relève plus aujourd’hui du vœu pieux ou du simple point de vue politique. Quand j’ai écrit à ce propos, en 1991, dans mon ouvrage Le Nouvel Ordre Politique Mondial, il s’agissait d’une sorte d’analyse prospective, il était impossible d’y croire à cette époque. L’incrédulité résultait de phénomènes connus en épistémologie tels que l’obstacle de la connaissance commune ou la résistance au changement.
À l’époque, ma réflexion constituait une rupture épistémologique, ce que désignera plus tard Nassim Nicholas Taleb sous le vocable de « théorie du cygne noir », ou encore « pensée latérale » [1]. J’attirais l’attention sur le fait que —et c’est toujours le cas— les Grandes Puissances ne meurent pas dans leur lit. Le danger que représente la mort de tels États réside dans le fait qu’ils possèdent à la fois des armes nucléaires et un important passif historique et stratégique. De telles choses ne s’effacent pas. Elles subsistent au fond de leur conscience et dans leurs souvenirs.
Les officiels russes et chinois ne s’en sont jamais cachés et il ne s’agissait pas non plus d’un excès de candeur —contrairement à ce qu’a écrit Zbigniew Brzezinski— quand ils sont arrivés à la conclusion que l’émergence de la Russie et de la Chine et le déclin des États-Unis étaient inévitables, mais que ce dernier ne devait pas être trop brusque [2] . Pour les grandes puissances, la rupture n’est pas une option. Elles peuvent échouer, mais pas s’effondrer. En réalité de telles puissances ne peuvent être que dissoutes.
Zbigniew Brzezinski en convient, mais il estime peu probable que le monde soit dominé par un successeur unique —pas même la Chine— ce sur quoi nous sommes pour le moment d’accord, de la même manière que nous convenons que la phase de désordre global et d’incertitude internationale s’est aggravée à tel point en 2011 que désormais menace un chaos épouvantable. Les États-uniens, comme les Chinois et les Russes, redoutent une telle perspective ; mais pour certains États aventureux comme la France et quelques autres pays au Proche-Orient, la perspective de perdre leur statut de puissance régionale fait craindre un accroissement du risque de déstabilisation. Les Puissances fortes redoutent le chaos alors que les Puissances faibles misent parfois sur celui-ci pour perturber les Fortes, dans l’espoir de les faire reculer sur la scène internationale avec des pertes minimales.
De façon notable, l’évolution vers un nouvel ordre international s’est accélérée au cours des deux années 2011 et 2012 dans la mesure où il n’y a eu qu’un court intervalle séparant l’annonce par Poutine de la fin de l’unipolarité, précisant que les puissances émergentes n’étaient pas encore prêtes à prendre le relai, de sa déclaration lors du Sommet des BRICS à propos de la formation d’un Nouveau Système Économique et Bancaire (la Banque BRICS) [3]. Non seulement le haussement de ton de la Russie et de la Chine à conduit à deux double vétos, mais il leur a aussi donné le rôle moteur dans la dynamique actuelle en Méditerranée orientale, signifiant sans équivoque à la fois la fin de l’histoire états-unienne dans la région et l’impossibilité actuelle pour les différentes parties de prétendre à quelque nouvelle répartition que se soit.
La déclaration d’Obama, début 2012, sur la Nouvelle Stratégie Américaine annonçant « être en alerte et attentifs dans la Méditerranée orientale » ressemblait à une reconnaissance du nouveau rapport de force dans la région, parallèlement à l’armement du voisinage immédiat de la Chine. De plus, les déclarations d’Hillary Clinton depuis l’Australie sont apparues comme le prolongement de ces propos sur un affrontement avec la Chine, ce à quoi cette dernière s’est contentée de répondre : « Personne ne peut empêcher le soleil chinois de se lever ».
Du fait de ces différentes déclaration états-uniennes, la Chine n’a pas attendu 2016 pour faire une démonstration de sa nouvelle puissance. Au contraire, elle s’empressa de se prononcer en faveur d’un ordre multipolaire —reprenant les termes russes— vu comme un Ordre International basé sur deux axes autour de chacun desquels de multiples pôles seraient en orbite. Mais leur axe serait ascendant pendant que l’autre serait descendant.
Il est devenu clair que l’aggravation du conflit à profondément secoué la diplomatie états-unienne, à tel point qu’elle fut contrainte —en avril 2012— de sonner la retraite, même si ce ne fut que verbalement, et de préciser qu’elle n’était pas en Guerre froide avec la Chine. Ceci faisait suite à une rencontre entre le Premier ministre chinois et Kofi Annan. Il fut annoncé à l’émissaire de l’ONU et de la Ligue arabe que la Chine et la Russie étaient désormais les premières Puissances, respectivement à la première et à la deuxième place, et qu’il était dans l’obligation de se coordonner avec eux. Annan lui-même, en tant que témoin du monde unipolaire de 1991 jusqu’au début du 21e siècle, devait aussi être le témoin de la chute de ce monde et devait admettre que dorénavant la question de la Méditerranée orientale était du ressort de Moscou et de Beijing.
Washington vient de vivre une décennie entière de guerres —une période qui ressemble à la course aux armements avec l’URSS, dite de « guerre des étoiles »— qui, avec d’autres facteurs critiques, à épuisé les États-Unis et les ont transformés en une nation au bord de la banqueroute. Ceci les a incités à annoncer un repositionnement en direction de la périphérie de la Chine dans une tentative de jouer un rôle dans la région Indo-Pacifique. Mais il sont revenus sur leurs déclarations d’une manière telle qu’elle laisse à penser aux observateurs que cet État à déjà perdu son aura de superpuissance. Il est un fait que lorsque une puissance menace de faire usage d’une force dont seules les superpuissances sont dotées, elle perd les deux tiers de sa force.
Le monde change. Nous sommes en train d’assister précisément à la cristallisation de ce Nouvel Ordre International dont la formation avait été reportée depuis l’effondrement de l’Union soviétique, mais dont l’arrivée à maturité s’accélère, bien que les nouvelles puissances ne soient pas encore tout à fait prêtes pour cela. L’accélération des événements au Proche-Orient à contraint ces nouveaux acteurs à rejoindre la partie à marche forcée. Cependant, les conséquences de l’émergence de nouvelles puissances et du déclin de celles, comme les États-Unis, qui étaient auparavant leaders mondiaux vont se manifester sous peu. Elles se matérialiseront dans des luttes sanglantes qui ne pourront être résolues qu’une fois le Nouvel Ordre International établi, et avec le consentement des différents acteurs, selon le nouveau statut de chacun.
Imad Fawzi Shueibi
[1] Selon l’épistémologue libano-US Nassim Nicholas Taleb, « Un cygne noir est un événement hautement improbable doté de 3 caractéristiques principales : Il est imprévisible, engendre des conséquences majeures et une explication a posteriori est toujours donnée afin de rendre celui-ci plus rationnel, lui conférant ainsi une apparente et sécurisante prévisibilité ». Cf. Le Cygne Noir, La puissance de l’imprévisible, Les Belles Lettres, 2008.
[2] « After America - How does the world look in an age of U.S. decline ? », par Zbigniew Brzezinsk, Foreign Policy, janvier/février 2012.
[3] Voir la “Delhi Declaration (Fourth BRICS Summit)”, Voltaire Network, 29 mars 2012.
 
Commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]





<< Accueil
"Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs." Malcom X

Archives
février 2007 / mars 2007 / avril 2007 / mai 2007 / juin 2007 / juillet 2007 / août 2007 / septembre 2007 / octobre 2007 / novembre 2007 / décembre 2007 / janvier 2008 / février 2008 / mars 2008 / avril 2008 / mai 2008 / juin 2008 / septembre 2008 / octobre 2008 / novembre 2008 / décembre 2008 / janvier 2009 / février 2009 / mars 2009 / avril 2009 / mai 2009 / juin 2009 / juillet 2009 / août 2009 / septembre 2009 / octobre 2009 / novembre 2009 / décembre 2009 / janvier 2010 / février 2010 / mars 2010 / avril 2010 / mai 2010 / juin 2010 / juillet 2010 / août 2010 / septembre 2010 / octobre 2010 / novembre 2010 / décembre 2010 / janvier 2011 / février 2011 / mars 2011 / avril 2011 / mai 2011 / juin 2011 / juillet 2011 / août 2011 / septembre 2011 / octobre 2011 / novembre 2011 / décembre 2011 / janvier 2012 / février 2012 / mars 2012 / avril 2012 / mai 2012 / juin 2012 / juillet 2012 / août 2012 / septembre 2012 / octobre 2012 / novembre 2012 / décembre 2012 / janvier 2013 / février 2013 / mars 2013 / avril 2013 / mai 2013 / juin 2013 / juillet 2013 / août 2013 / septembre 2013 / octobre 2013 / novembre 2013 / décembre 2013 / janvier 2014 / février 2014 / mars 2014 / avril 2014 / mai 2014 / juin 2014 / juillet 2014 / août 2014 / septembre 2014 / octobre 2014 / novembre 2014 / décembre 2014 / janvier 2015 / février 2015 / mars 2015 / avril 2015 / mai 2015 / juin 2015 / juillet 2015 / août 2015 / septembre 2015 / octobre 2015 / novembre 2015 / décembre 2015 / janvier 2016 / février 2016 / mars 2016 / avril 2016 / mai 2016 / juin 2016 / juillet 2016 / août 2016 / septembre 2016 / octobre 2016 / novembre 2016 / décembre 2016 / janvier 2017 / février 2017 / mars 2017 / avril 2017 / mai 2017 / juin 2017 / juillet 2017 / août 2017 / septembre 2017 / octobre 2017 / novembre 2017 / décembre 2017 / janvier 2018 / février 2018 / mars 2018 / avril 2018 / mai 2018 / juin 2018 / juillet 2018 / août 2018 / septembre 2018 / octobre 2018 / novembre 2018 / décembre 2018 / janvier 2019 / février 2019 / mars 2019 / avril 2019 / mai 2019 / juin 2019 / juillet 2019 / août 2019 / septembre 2019 / octobre 2019 / novembre 2019 / décembre 2019 / janvier 2020 / février 2020 / mai 2020 /


Powered by Blogger

Abonnement
Articles [Atom]