Les grands centres de réflexion et les universités d’exception
élaborent de concert les bases du nouveau monde multipolaire.
Lors du premier Congrès mondial d’excellence scientifique convoqué
par l’Université UAM-Xochimilco, sous la direction habile de Heinz
Dietrich, s’est mise en place une initiative tricontinentale entre Asie,
Europe et Amérique, le « projet mondial de recherche avancée », sur le
thème « État, marché et développement de l’être humain au XXI° siècle ».
L’alliance stratégique avec la Chine en est un point fort, et, parmi
les chercheurs invités de 60 pays, il me revenait d’y aborder la
rivalité géostratégique entre Chine et USA.
Le rapport annuel du Pentagone sur le militarisme chinois [1]
reflète à mon avis à la fois la réussite du Quatrième Dialogue qui s’est
tenu récemment, et les tensions sous-jacentes au nouvel ordre
multipolaire [2]
La vente d’arme US à Taïwan est un sujet épineux qui empoisonne la
relation bilatérale, tandis que l’administration Obama s’évertue à
dénoncer la course aux armements chinois ; c’est là une conséquence de
son échec militaire sur le terrain proche-oriental, il s’agit de se
concentrer sur la région Asie-Pacifique, où les USA cherchent à
développer des alliances sécuritaires.
« À Taïwan, la Chine, avec son Armée de libération populaire,
continue à se donner une mission potentiellement dangereuse », d’après
le rapport.
David Helvey, assistant du secrétaire adjoint à la Défense pour
l’Est de l’Asie, a souligné pour sa part que la Chine prend très au
sérieux certaines revendications maritimes territoriales, tant sur les
côtes Sud de la Chine que sur sa côte Est, et a estimé le potentiel tout
à fait positif pour que les USA et la Chine développent une relation
saine dans le domaine militaire. Que reste-t-il donc de l’objectif
stratégique états-unien de domination de l’Asie-Pacifique et
d’endiguement de la Chine ?
Derrière sa tonalité diplomatique, la presse chinoise estime que
les absurdes accusations du Pentagone quant à l’expansionnisme militaire
chinois et à sa modernisation accélérée pourraient faire échouer les
délicates relations militaires bilatérales [3]. Le cyber-espionnage
chinois, insiste le rapport, « collecte les secrets stratégiques du
gouvernement US et de ses entreprises transnationales ».
Le gouvernement chinois a énergiquement contesté le rapport,
publié au moment où un vote hostile de la Chambre des représentants veut
forcer le président Obama à autoriser la vente de 66 nouveaux avions de
chasse à Taïwan. Les USA vont finir par faire la guerre au monde
entier, tant que règnera la sauvage amazone Ileana Ros-Lehtinen (au
départ cubaine en exil), au poste de présidente de la Commission des
Affaires étrangères de la Chambre des représentants. Le quotidien de
l’ALP qualifie les allégations US de menaces imaginaires et de séquelles
de la mentalité de la Guerre froide implantée par le Pentagone.
Curieusement, le rapport a été publié pendant la visite au
Pentagone, après neuf ans d’absence, du ministre de la Défense chinois,
Liang Guanglie. Le jour même, People´s Daily (18/5/12) révélait les
véritables objectifs des exercices militaires US au Proche-Orient,
précisément l’opération Eager Lion 2012, qui a débuté le 15 mai en
Jordanie avec 12 000 hommes de troupe, des USA et de 15 autres pays. La
Jordanie dépend de l’aide économique et militaire des USA, qui lui ont
versé une aide de 2,4 milliards de dollars au cours des cinq dernières
années.
People’s Daily rappelle que plusieurs pays du Proche-Orient et
d’Afrique du Nord ont subi des changements de régime alors qu’on assiste
à des secousses sans précédent dans le paysage géopolitique. La
situation régionale, déjà compliquée, se tend à cause du contentieux
nucléaire iranien prolongé, de la situation explosive en Syrie, et des
exercices militaires répétés des USA. Il s’agit des exercices réalisés à
Bahrein du 8 au 18 avril, avec 9 autres pays, et de l’opération Eager
Lion 20 jours plus tard, soit deux exercices en un mois, et le but est
de constituer une alliance régionale sous commandement US.
L’organe chinois considère que les USA ont ajusté leur stratégie
au Proche-Orient pour contenir l’Iran et renforcer la pression sur la
Syrie. Malgré les négociations aussi bien à Istanbul qu’à Bagdad, les
sanctions économiques contre l’Iran de la part des USA et de « certains »
États européens n’ont pas faibli, et ils ont exigé d’autres nations
qu’ils réduisent leurs importations de pétrole iranien. Qui plus est,
les USA ont décidé d’envoyer leurs avions F 22 Raptors sur la base
aérienne Al Dhafra aux Émirats Arabes Unis afin d’améliorer la
dissuasion contre l’Iran.
Eager Lion est un exercice multinational annuel qui a attiré cette
année la participation de « presque tous » les pays arabes, sauf la
Syrie, où le cessez-le-feu défendu par Kofi Annan, envoyé spécial à la
fois des Nations Unies et de la Ligue Arabe, est très fragile.
People’s Daily souligne la participation de l’Arabie Saoudite, qui
a joué un rôle étonnant dans la vague des changements de régime au
Proche-Orient et dans le Nord de l’Afrique, et qui a adopté une posture «
sévère » contre la Syrie, où elle soutient les insurgés. Pour préserver
son statut de puissance régionale, l’Arabie Saoudite achète des armes
modernes et de l’équipement, tout en encourageant le développement d’une
industrie d’armement à demeure.
À mon avis, la manœuvre militaire des USA a deux objectifs :
- 1. Préserver la sécurité des frontières de la Jordanie, dont la
monarchie artificielle peut s’effondrer à tout instant, pour faire place
à une nouvelle entité palestinienne ;
- 2. Mettre en échec le régime vacillant de Bachar el-Assad, dont
les jours semblent comptés, si l’on en croit le China Daily (21/5/12)
qui cite le vice-chancelier russe, lequel signalait à son retour du
sommet du G8 à Camp David que la Russie accepterait un changement de
régime en Syrie, mais sans usage de la force ni intervention étrangère.
Mais comment donc cela pourrait-il se produire autrement ?
Les USA ont adopté, selon le People’s Daily une approche «
multivariable » pour augmenter leur contrôle sur le Proche-Orient, parce
qu’ils ont surdimensionné la menace nucléaire supposée de l’Iran, au
moment où ils intervenaient dans les guerres civiles de Libye et de
Syrie, tout en lançant des exercices militaires, en vendant de grandes
quantités d’armes aux pays de la région, et en augmentant leur
déploiement militaire. Rien que ça…
En fait, en se retirant militairement d’Irak et d’Afghanistan, les
USA ont déplacé le centre de leur stratégie vers le Pacifique afin de
mettre en œuvre un rééquilibrage global. Le quotidien chinois cite un
haut fonctionnaire du Pentagone : les USA cherchent à installer des
systèmes de missiles défensifs anti-missiles en Asie et au
Proche-Orient, semblables à ceux de l’Europe, en collaboration avec le
Japon, la Corée du sud, l’Australie, l’Arabie saoudite, le Bahrein, le
Qatar et d’autres pays, pour faire face aux menaces des missiles
iraniens et de la Corée du Nord, ce qui rendrait la sécurité en Asie et
au Proche-Orient encore plus compliquée.
Est-ce que les rencontres universitaires alternatives, comme le
Congrès qui vient de se tenir à l’UAM Xochimilco, avec une envergure
mondiale, pourront faire échec à ce qui n’est qu’un agenda unilatéral
dicté par le Pentagone ? C’est déjà un succès que de le tenter
.
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