Les algériens achètent et revendent et c'est tout. Peu fabriquent
ou créent ou inventent avant de rentrer chez eux, le soir. On le sait
aussi. Le rêve de l'Algérien est un rêve d'assis : agent de sécurité,
taxiphone ou, récente mode, loueurs de voitures. Des métiers que l'on
peut pratiquer avec une chaise et pas avec les mains ou la tête. On le
sait aussi, tout le monde est assis : par terre, les uns sur la tête des
autres, sur des puits, des bancs, des trésors. Assis sur la mémoire, la
vérité ou les chiffres ou sur des monopoles. C'est une boucle nationale
: tout le monde vend à tout le monde. Tout le monde trouve que c'est
trop cher. Tout le monde achète. Le peuple est voulu ainsi :
spéculateurs souffrant l'un de l'autre, sans fin. Quel est le métier de
l'Algérie ? C'est celui-là : revendre puis regarder El Jazeera sport, le
soir. Le jugement est sévère ? Que non ! Cherchez un bon plombier, un
menuisier compétent ou un fabriquant d'autoroute, vous tomberez sur un
escroc ou revendeur d'interrupteurs chinois. On s'imagine donc le pays :
une autoroute chinoise, séparant deux trottoirs immenses sur lesquels
s'alignent des boutiques d'algériens se revendant les uns aux autres ce
qui arrive par la mer ou le ciel ou les frontières fermées. Sans fin.
C'est le but. C'est le signe national, l'identité : que sait faire par
exemple Ouyahia ? Ou Amar Ghoul, ou Belkhadem ou Ghoulam-Allah ou les
enfants de la Kasma-incorporation ? Rien. Donc, c'est ce que fait le
peuple. En restant assis. Utopie majeure de tout ministère de
l'Intérieur arabe : un peuple qui vend et revend, sans jamais se lever,
qui ferme boutique à 17 heures et les heures de prières et qui ne quitte
jamais son comptoir et que l'on peut dompter par le fisc ou la police.
De plus en plus de commerçants, de moins en moins de plombiers bons et
ainsi de suite.
La vérité, est qu'il n'y a plus de rêve algérien. Tout le monde
survit en revendant au prochain et au suivant et au plus proche. Cela va
du puits de pétrole aux tabacs par cigarette. Il y aura de plus en plus
de commerçants donc : c'est ce que veulent l'école algérienne, la
formation professionnelle, la rente, le pétrole et la fuite des cerveaux
et les augmentations de salaires sans efforts. Il n'y a plus d'utopie
mais seulement de la marge et des stocks. Même les politiques assurent
leurs arrières avec le commerce : moutons en Haut Plateaux, bus dans les
grandes villes, concessions automobiles, engins de travaux. Rarement un
homme du régime sort du régime avec un métier en main, mais seulement
un carnet d'adresses et des jeux de réseaux. Sauf que ce commerce est
endogène, peu ouvert sur le reste du monde : on n'est pas phéniciens ou
florentins. Seulement spéculateurs locaux. Le jeu de revente ne sert pas
à conquérir le monde ou le Maghreb ou les affaires étrangères
algériennes, mais seulement le voisin ou le passager de la route.
Revendre est-il travailler ? Selon les uns, oui. Selon les autres,
revendre permet justement de ne pas travailler. « Où va l'Algérie ? »
s'interroge l'encyclopédie du pessimisme algérien. La réponse est à
quelques mètres de chacun : vers l'alimentation générale la plus proche.
Le reste, c'est pour les formes.
Faux proverbe local : « Quand l'alimentation est générale, le pays est un détail et tout le reste est chinois »
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