KUALA
LUMPUR – Alors que la communauté internationale et les membres voisins
de la Communauté économique des États d'Afrique occidentale (CEDEAO)
condamnent le coup d'État militaire au Mali, mené par des protagonistes
inexpérimentés, des milliers de personnes ont pris les rues de la
capitale malienne de Bamako en appui à la nouvelle junte. Les citoyens
brandissaient des pancartes et des banderoles affichant: « À bas la
communauté internationale » et « À bas Sarkozy », en chantant des
slogans à la gloire du chef de la junte, le capitaine Amadou Sanogo. [1]
Bien
que Sanogo ait visité les États-Unis à plusieurs reprises après avoir
été choisi par le Pentagone pour participer à un programme international
d’éducation et d’entraînement militaire parrainé par le département
d'État étasunien [2], les représentants des États-Unis ont appelé les
dirigeants du coup d'État au Mali à démissionner et permettre la tenue
d'élections.
Le
porte-parole du département d'État étasunien Mark Toner a menacé l'État
indigent d’Afrique de l'Ouest d’un embargo diplomatique et financier
substantiel si le pouvoir n'est
pas retourné au président évincé Amadou Toumani Touré dans les
soixante-douze heures. [4] Alors que la moitié de la population vit avec
moins de 1,25 dollar par jour [5], l'imposition de sanctions
économiques pour ce pays enclavé et dépendant de l’importation conduira
inévitablement à une plus grande instabilité sociale et à des troubles
civils. Puisque la probabilité d’un embargo nourrit davantage les
conditions guerrières dans un milieu appauvri depuis longtemps, le bloc
de la CEDEAO a mis ses troupes en attente près des frontières du Mali et
elles sont prêtes à intervenir si la situation se détériore [6]. Au
cours de la crise en Côte d'Ivoire en 2010-2011, les forces fidèles à
Alassane Ouattara, soutenu par les Français, ont entrepris une vaste
campagne d'atrocités contre des civils [7], un autre rappel du danger
que posent les invasions militaires précipitées de la communauté
internationale dans les régions africaines en crise.
Tandis que
les États-Unis et d'autres soulignent l'importance du retour à l'ordre
constitutionnel et que les Maliens appuient la junte, la solidité des
institutions démocratiques renommées du Mali semble très discutable. La
justification principale du coup
est la réponse inadéquate du gouvernement civil à une campagne
permanente des Touaregs en faveur du séparatisme dans le nord du Mali,
bien que le désarroi récent à Bamako ait suscité la progression
régulière des milices armées touaregs vers le sud. Sous la bannière du
Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), les milices
armées auraient saisi la région nord-est de Kidal, incitant l'armée
malienne, mal équipée, à abandonner ses positions stratégiques au nord.
[8] Les Touaregs sont un groupe ethnique minoritaire traditionnellement
nomade et rural d’environ 1,5 millions de personnes cherchant à se
séparer de la république du Mali et à former une nation indépendante
appelée Azawad. Ce groupe vit dispersé sur un territoire traversant les
pays du Sahel et du Sahara, largement exploité par Al-Qaïda au Maghreb
islamique (AQMI).
Même si l’on a imputé aux Touaregs la
déstabilisation dans le nord du Mali, il est davantage probable qu’AQMI
soit à l'origine de l'activité des insurgés dans la région [9]. Le MNLA a
déclaré que l'objectif de sa campagne pour l'indépendance est de
développer un bastion pour se protéger de la violence d'AQMI, tandis que
Bamako a affirmé que le MNLA cherche à fonder un État islamiste strict
en partenariat avec l’AQMI [10]. Après la chute de Kadhafi dans le
théâtre de guerre libyen de l’OTAN, des combattants touaregs armés
maliens et nigériens ont été vus descendant dans le Sahara à bord de
camions de l’armée Toyota Salut-Lux utilisés par les rebelles libyens
affiliés à Al-Qaïda [11]. Bien qu'il puisse être difficile de distinguer
les véritables protagonistes de la violence dans le nord du Mali, la
résurgence de leur activité s’est grandement intensifiée en raison de
leur accès aux mortiers, aux mitrailleuses, aux armes antichars et
antiaériennes appartenant initialement au Groupe islamique combattant en
Libye (GICL), une organisation radicale [12].
La
présence d'un second groupe séparatiste dominé par les Touaregs, Ancar
Dine, complique davantage la situation. Le mouvement cherche à imposer
la charia dans tout le nord du Mali et est dirigé par Iyad Ag Ghaly, une
personnalité salafiste éminente, soupçonnée d'avoir des liens avec une
filiale d’AQMI d'Ayman al -Zawahiri, dirigée par son cousin Hama Ag
Hamada [13]. Comme les séparatistes contrôlent désormais un tiers du
Mali, une crise alimentaire est à venir dans la région du Sahel et du
Sahara alors que près de 80 000 réfugiés demandent l'amnistie dans les
pays voisins, dont l'Algérie, le Niger, la Mauritanie et le Burkina Faso
[14]. Comme le groupe militant Ancar Dine semble réclamer le contrôle
de régions attribuées auparavant au MNLA [15], leur avance pourrait
avoir de plus grandes implications, pouvant déstabiliser la région de
façon drastique.
Avec
la possibilité accrue que des soulèvements généralisés comme ceux du
printemps arabe surviennent dans la région du Sahel, un afflux de
réfugiés mettra une pression supplémentaire sur l'Algérie et le Niger.
L'Algérie pourrait être déstabilisée davantage si la situation
sécuritaire continue de se détériorer au Mali et la France pourrait se
sentir obligée d'intervenir dans les affaires de ses anciennes colonies,
comme on l’a vu malheureusement en Côte d'Ivoire. Il y a un parallèle
entre la crise au Mali et les événements en cours au Nigeria, une nation
aux prises avec les activités des insurgés islamiques séparatistes de
Boko Haram au nord. Compte tenu de l'instabilité politique à Abuja, un
coup d'État orchestré par des officiers de grades inférieurs contre le
président nigérian Goodluck Jonathan basé sur le modèle malien ne serait
pas impensable. Au moment où la Banque mondiale et la Banque africaine
de développement suspendent toute aide au Mali, une certaine forme
d'intervention militaire est concevable si les appels du Conseil de
sécurité pour le « rétablissement immédiat de l'ordre constitutionnel et
du gouvernement démocratiquement élu » ne sont pas respectés [16].
Alors
que les voisins du Mali menacent de recourir à des sanctions et à la
force militaire pour renverser l'actuel Comité pour la réinstauration de
la démocratie et la restauration de l'État (CNRDR) dirigée par le
capitaine Amadou Sanogo [17], la junte a dévoilé une nouvelle
constitution garantissant la liberté de parole, de pensée et de
mouvement [18]. Sanogo a promis de ne pas s'accrocher au pouvoir et de
mettre en place des élections démocratiques lorsque l'insurrection
touareg sera maîtrisée. Ceux qui ont pris part au coup d'État ne
pourraient pas participer aux élections [19]. L'afflux d'armes découlant
du changement de régime de l'OTAN en Libye a créé de nouvelles
perspectives désastreuses favorisant une guerre civile au Mali, où les
parties seraient lourdement armées. Il reste à voir comment le bloc de
l'OTAN réagira si le CNRDR refuse les appels à démissionner et s'engage
dans un interminable conflit avec les séparatistes islamistes. Comme
l'armée américaine s’oppose à l’Armée de résistance du Seigneur en
étendant sa présence militaire par le biais d’AFRICOM en République
démocratique du Congo, l'aggravation de la situation au Mali et au
Nigeria fournit une justification supplémentaire pour l'intervention
étrangère et l’exploitation de la guerre
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