L’année 2011 a débuté en Algérie par la prise en otages des marins du
vraquier Blida au large des côtes de Somalie et par des émeutes de
jeunes casseurs à travers de nombreuses wilayas du territoire national.
Dès la première semaine de janvier l’Algérie, sans vraiment s’en rendre
compte, venait de planter le décor de la nouvelle donne globale et mis
en scène les deux acteurs, l’otage et l’émeutier, qui complètent la
géopolitique des drones et des marchés financiers. L’Europe, l’Amérique,
les pays émergents et la Chine calculent avec les quatre termes de
l’équation et les pays les moins avancés avec seulement les deux
premiers. C’est seulement dans une telle configuration que l’on peut
comprendre les supputations selon lesquelles la visite de Claude Guéant à
Alger et l’appui de la France officielle aux réformes de Bouteflika
aurait pour contrepartie la promesse d’un coup de pouce pour la
libération des otages français détenus au Sahel en pleine campagne
présidentielle pour booster la victoire de Sarkozy.
Elle s’achève, cette terrible année 2011, sur une question qui taraude
journalistes et diplomates qui s’intéressent à la région : Pourquoi les
algériens ne se soulèvent-ils pas selon les formes adoptées par le «
printemps arabe » ? Même si l’expression peine à recouvrir des réalités
aussi diverses que celle de la Tunisie, de l’Egypte, de la Libye, de la
Syrie, du Yémen, du Bahreïn etc.
On sait que, tout au long de l’histoire, après chaque révolution les
régimes des pays voisins de celui qui vient de se soulever se concertent
et forment des alliances pour se prémunir de la contagion tandis-que
les peuples s’informent et comparent leurs situations respectives pour
savoir dans quelle direction va le changement. Mais il n’est pas
fréquent que tout un monde se mette soudain à scruter un peuple pour
savoir pourquoi il ne bouge pas selon le schéma en cours chez ses
voisins.
L’année qui avait commencé par des marches, peu suivies ,pour une
dénonciation des violations des libertés et des droits de l’homme et la
revendication de la levée de l’Etat d’urgence, se termine par une
pétition, en cercle fermé, en faveur du général Nezzar interpellé en
Suisse et interrogé par une juge fédérale sur ses responsabilités dans
les crimes contre l’humanité commis en Algérie durant la sale guerre des
années 90.
C’est parmi les marcheurs du 12 février contre les atteintes aux
libertés et pour la levée de l’Etat d’urgence que se recrutent certains
des signataires de la pétition en faveur du général Nezzar. D’autres
signataires se recrutent dans la nomenklatura du régime. D’autres encore
font partie des deux. Ainsi la réponse à la question : Pourquoi les
algériens ne se soulèvent-ils pas à la manière du « Printemps arabe »
pourrait se formuler non sous la forme affirmative, mais de façon très
algérienne, par une batterie de questions comme : Qui tue qui ? Qui
s’oppose à qui ? Qui appelle à marcher qui ? Qui signe en faveur de qui ?
Ailleurs dans le monde les lignes bougent, et les néo-philosophes qui
avaient soutenu de toutes leurs forces le « barrage au péril vert » et
avaient considéré ignoble de demander une commission d’enquête sur les
massacres et les violations des droits de l’homme en Algérie sont
aujourd’hui du bon côté de l’histoire et s’abreuvent aux fatwas d’El
Qardawi. Pour la gloire d’Israël, répète à qui veut l’entendre B.H.L.
C’est peut-être la vieille suspicion populaire à l’égard d’élites
toujours du bon côté du manche qui a fait fredonner « nous pas bouger »
aux jeunes de Bab el oued, de Badjarah et de tous les quartiers en
colère contenue d’Algérie pendant qu’ils se faisaient sermonner par des
quinquagénaires subitement reconvertis aux vertus révolutionnaires des
classes dangereuses.
Lasse d’attendre un improbable printemps algérien l’année se termine
avec le retour aux affaires du général Tartag. Coutumier de la gestion
des djihadistes autant que des légalistes du courant islamiste, le
pouvoir va devoir, encore une fois, faire appel à son ingénierie
sécuritaire pour faire bouger des lignes vitrifiées par son intrusion
musclée dans les affaires politiques.
Le deal gagnant-gagnant serait de faire remporter les élections par les
islamistes et d’obtenir un (non) changement qui tout en mettant
l’Algérie à l’heure (islamiste) des autres pays de la région assurerait
une amnistie de facto aux responsables de la sale guerre des années 90.
Ainsi s’achève ce qui aura été, de bout en bout, l’année des autres. L’année qui s’annonce sera peut-être autrement autre.
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