L’Algérie est-elle à la veille d’une révolution démocratique ?
Fares Mounir Benkiram
Les jours du général Mohamed Mediene dit Toufik à la tête du DRS sont
comptés. Son limogeage ou « sa démission » sont imminents. Cette fois,
il ne peut survivre au terrible scandale de la révélation du journal
italien La Stampa qui a décrit comment les moines de Tibhirine et
l’évêque d’Oran ont été assassinés par les militaires. Le
silence pesant du pouvoir algérien et de tous ses satellites, qui n’ont
pas encore réagi, prouve qu’un profond malaise s’est installé à la tête
de l’Etat et de l’ANP. Ce calme malsain précède la tempête qui ne va pas
tarder à s’abattre dans les sphères du pouvoir ou… dans la rue.
La parenthèse de 20 ans de dictature militaire depuis les événements
d’octobre 88 va-t-elle enfin se refermer pour laisser le processus
politique de souveraineté populaire reprendre son cours ?
Toufik a été nommé au département Renseignement et Sécurité (DRS,
ex-sécurité militaire) en septembre 1990 en même temps que son adjoint
Smain Lamari (décédé en septembre 2007). Ils ont été proposés à ces
postes au président Chadli par son directeur de cabinet, le général
Belkheir qui couvait leur carrière depuis longtemps. Toufik et Smaïn
n’ont dû leur longévité qu’à leur folie sanguinaire et à la protection
de Belkheir, lui-même protégé par de puissants lobbies. Mais
l’énormité du scandale de la tuerie des moines et l’émotion suscitée par
la mise en scène de leur décapitation sont telles que ces lobbies
protecteurs ne peuvent plus rien faire pour eux. Le linge sale du sang
des manipulations du terrorisme doit maintenant être lavé entre
Algériens. L’honneur de toute une armée vient d’être bafoué par une
telle infamie. Pour se maintenir à leurs postes, Toufik et
Smaïn ont commis les pires crimes et exactions, contre le peuple et
contre leurs propres compagnons d’armes. Déjà en janvier 92,
le président Chadli voulait limoger Toufik et le général Khaled Nezzar,
alors ministre de la Défense. Il n’en eut pas le temps et fut destitué.
Son successeur « imposé par l’armée », Mohamed Boudiaf, était arrivé à
la même nécessité de se débarrasser des patrons de la sécurité militaire
qui géraient et protégeaient les réseaux de corruption. Il fut
assassiné d’une rafale dans le dos le 29 juin 1992. En juillet
1993, Kasdi Merbah, ancien patron de la sécurité militaire sous
Boumediene de 1962 à 1978, a senti un vent de changement à la tête de
l’ANP avec la nomination de Liamine Zeroual qui venait de remplacer
Nezzar, qui avait échappé de peu à un attentat à la bombe à El Biar. Il
s’est proposé à Zeroual pour reprendre du service à la tête de la SM. Il
fut assassiné le 21 août 1993. En 1996, Zeroual, devenu
président de la République a voulu nommer le général Saidi Fodil à la
place de Toufik. Son assassinat fut maquillé en accident de la route à
Ouargla où il était en poste à la tête de la 4e région militaire.
En 1997, Zeroual a voulu nommer son ami, le général Mohamed Betchine,
ex-patron de la SM (88-90), comme ministre de la Défense pour se
débarrasser de Toufik. Ce dernier a répliqué par l’organisation de
massacres de civils à grande échelle qui créèrent la psychose jusqu’aux
portes d’Alger. Les souvenirs de Raïs, Bentalha, Beni-Messous, etc. ont
atteint les sommets de l’horreur. Betchine, puis Zeroual furent poussés à
la démission. Enfin, en avril 2001, deux ans après son
élection, Bouteflika a tenté de limoger Toufik, qui a aussitôt enflammé
la Kabylie avec la complicité de ses alliés dans la gendarmerie. Et pour
empêcher le FFS et le RCD de récupérer le mouvement de protestation,
Toufik a provoqué la création des arouchs en les infiltrant. Le brasier
kabyle fut entretenu jusqu’à la conclusion d’un accord sur le 2e mandat
de Bouteflika. Aujourd’hui, la situation est des plus
critiques pour le pays. D’un côté, Bouteflika, malade et en fin de
règne, ne présente plus aucune crédibilité ni pour le régime, ni pour la
population. D’un autre côté, l’agent du DRS Ahmed Ouyahia, sentant
l’aubaine du chaos, fait le forcing pour asseoir son autorité sur les
appareils sécuritaires et prendre le pouvoir par la censure et la
répression des opposants. Le tout nouveau mandat d’arrêt lancé
contre le président soudanais, Omar El Bechir, par le procureur général
de la Cour pénale internationale (CPI), est venu ajouter de l’huile sur
le feu qui a gagné les sphères du pouvoir, complètement affolées.
La vérité sur les « assassinats pédagogiques » des chrétiens en
Algérie, que le DRS voulait attribuer à des « terroristes islamistes »,
est maintenant dévoilée au grand jour. Ce nouvel épisode de l’affaire
des moines donne du crédit à toutes les autres révélations faites par
des officiers du DRS et de l’ANP qu’on peut découvrir sur le site du
MAOL (www.anp.org) ou dans les livres publiés par Hichem Aboud, Habib Souaïdia, Mohamed Samraoui, Abdelkader Tigha.
Cela veut dire aussi que toutes les plaintes déposées contre les
généraux (disparus, assassinats, torture, etc.) vont être regardées d’un
autre œil et leur procédure accélérée. Mais, alors qu’on sent
bien que les généraux en poste ou à la retraite s’agitent dans tous les
sens, il est regrettable de constater que les opposants politiques et
les intellectuels continuent à somnoler comme s’ils n’étaient pas
concernés. Il faut se rendre compte que l’Algérie politique
n’est ni en avance, ni en retard. Elle ne peut vivre qu’au rythme que
lui imprimeront ses élites. A l’échelle individuelle, on peut parler de
drames. Des intellectuels et des militants, qui étaient arrivés à
maturité politique dans la période 88-92, peuvent se sentir aujourd’hui
comme des vieillards aigris et dépassés qui ont raté quelque chose dans
leur vie après ces vingt années de dictature. Mais à l’échelle
d’une Nation, l’expérience algérienne peut se comparer à celles
d’autres pays qui ont connu les mêmes troubles générationnels causés par
des coups d’Etat et des dictatures militaires. Aujourd’hui, ces pays
ont des régimes démocratiques stables et sont devenus des puissances
régionales et économiques reconnues et respectées dans le concert des
Nations. On peut citer l’exemple si proche de l’Espagne du
général Franco qui a semé la terreur de 1936 à 1974, avant de laisser ce
pays se reconstruire socialement et se stabiliser politiquement. Au
Portugal, la longue dictature du général Salazar avait virtuellement
éliminé les partis politiques, laissant un grand vide comblé par les
militaires qui ont petit à petit lâché le pouvoir aux civils qui
gouvernent depuis deux décennies. Plus loin de nous, au
Brésil, les militaires ont pris le pouvoir par un coup d’Etat en 1964,
avant d’en être chassés par les civils en 1985. En Argentine, après 20
ans de « péronisme », l’armée fomente un coup d’Etat en 1976 entraînant
un lourd bilan de 30 000 disparus exécutés ou morts sous la torture. Les
civils ont repris le pouvoir en 1983 et passé les militaires en
jugement. Les expériences les plus proches de ce que vit
l’Algérie sont assurément les exemples turc, grec et chilien. Dans ces
pays, « l’armée a pris le pouvoir par des coups d’Etat, instauré des
dictatures, suspendu la Constitution, promulgué l’état d’urgence ou
d’exception, annulé des élections, dissout les assemblées, interdit les
syndicats, censuré la presse, violé les droits de l’Homme, emprisonné,
torturé, assassiné, etc. ». Malgré ça, ces pays vivent aujourd’hui dans
des régimes démocratiques modernisés et stables depuis une vingtaine
d’années grâce à la résistance militante et au courage de leurs élites.
Tous ces exemples si proches de notre expérience prouvent que «
l’horloge politique » algérienne ne peut tourner que si les élites se
hissent à la hauteur de l’Histoire de leur peuple. Et se rendent compte
que la paralysie intellectuelle et militante est le résultat de la
stratégie mise en œuvre par le « makhzen du DRS » de Toufik :
répression, censure, arrestations, tortures, assassinats, attentats… et
corruption massive. Les élites civiles et militaires doivent
maintenant créer des commissions d’enquête à l’APN et à l’ANP, demander
des comptes et la dissolution du DRS. Les intellectuels et les
journalistes doivent s’exprimer sur ce sujet et lancer des enquêtes. Une
Nation et un système politique et social ne peuvent évoluer et se
régénérer que s’ils consentent à faire des sacrifices.
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