ELWATAN-ALHABIB
samedi 14 janvier 2012
 

L’Algérie est-elle à la veille d’une révolution démocratique ?
Fares Mounir Benkiram
 
 

Les jours du général Mohamed Mediene dit Toufik à la tête du DRS sont comptés. Son limogeage ou « sa démission » sont imminents. Cette fois, il ne peut survivre au terrible scandale de la révélation du journal italien La Stampa qui a décrit comment les moines de Tibhirine et l’évêque d’Oran ont été assassinés par les militaires.

Le silence pesant du pouvoir algérien et de tous ses satellites, qui n’ont pas encore réagi, prouve qu’un profond malaise s’est installé à la tête de l’Etat et de l’ANP. Ce calme malsain précède la tempête qui ne va pas tarder à s’abattre dans les sphères du pouvoir ou… dans la rue.

La parenthèse de 20 ans de dictature militaire depuis les événements d’octobre 88 va-t-elle enfin se refermer pour laisser le processus politique de souveraineté populaire reprendre son cours ?

Toufik a été nommé au département Renseignement et Sécurité (DRS, ex-sécurité militaire) en septembre 1990 en même temps que son adjoint Smain Lamari (décédé en septembre 2007). Ils ont été proposés à ces postes au président Chadli par son directeur de cabinet, le général Belkheir qui couvait leur carrière depuis longtemps. Toufik et Smaïn n’ont dû leur longévité qu’à leur folie sanguinaire et à la protection de Belkheir, lui-même protégé par de puissants lobbies.

Mais l’énormité du scandale de la tuerie des moines et l’émotion suscitée par la mise en scène de leur décapitation sont telles que ces lobbies protecteurs ne peuvent plus rien faire pour eux. Le linge sale du sang des manipulations du terrorisme doit maintenant être lavé entre Algériens. L’honneur de toute une armée vient d’être bafoué par une telle infamie.

Pour se maintenir à leurs postes, Toufik et Smaïn ont commis les pires crimes et exactions, contre le peuple et contre leurs propres compagnons d’armes.

Déjà en janvier 92, le président Chadli voulait limoger Toufik et le général Khaled Nezzar, alors ministre de la Défense. Il n’en eut pas le temps et fut destitué. Son successeur « imposé par l’armée », Mohamed Boudiaf, était arrivé à la même nécessité de se débarrasser des patrons de la sécurité militaire qui géraient et protégeaient les réseaux de corruption. Il fut assassiné d’une rafale dans le dos le 29 juin 1992.

En juillet 1993, Kasdi Merbah, ancien patron de la sécurité militaire sous Boumediene de 1962 à 1978, a senti un vent de changement à la tête de l’ANP avec la nomination de Liamine Zeroual qui venait de remplacer Nezzar, qui avait échappé de peu à un attentat à la bombe à El Biar. Il s’est proposé à Zeroual pour reprendre du service à la tête de la SM. Il fut assassiné le 21 août 1993.

En 1996, Zeroual, devenu président de la République a voulu nommer le général Saidi Fodil à la place de Toufik. Son assassinat fut maquillé en accident de la route à Ouargla où il était en poste à la tête de la 4e région militaire.

En 1997, Zeroual a voulu nommer son ami, le général Mohamed Betchine, ex-patron de la SM (88-90), comme ministre de la Défense pour se débarrasser de Toufik. Ce dernier a répliqué par l’organisation de massacres de civils à grande échelle qui créèrent la psychose jusqu’aux portes d’Alger. Les souvenirs de Raïs, Bentalha, Beni-Messous, etc. ont atteint les sommets de l’horreur. Betchine, puis Zeroual furent poussés à la démission.

Enfin, en avril 2001, deux ans après son élection, Bouteflika a tenté de limoger Toufik, qui a aussitôt enflammé la Kabylie avec la complicité de ses alliés dans la gendarmerie. Et pour empêcher le FFS et le RCD de récupérer le mouvement de protestation, Toufik a provoqué la création des arouchs en les infiltrant. Le brasier kabyle fut entretenu jusqu’à la conclusion d’un accord sur le 2e mandat de Bouteflika.

Aujourd’hui, la situation est des plus critiques pour le pays. D’un côté, Bouteflika, malade et en fin de règne, ne présente plus aucune crédibilité ni pour le régime, ni pour la population. D’un autre côté, l’agent du DRS Ahmed Ouyahia, sentant l’aubaine du chaos, fait le forcing pour asseoir son autorité sur les appareils sécuritaires et prendre le pouvoir par la censure et la répression des opposants.

Le tout nouveau mandat d’arrêt lancé contre le président soudanais, Omar El Bechir, par le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), est venu ajouter de l’huile sur le feu qui a gagné les sphères du pouvoir, complètement affolées.

La vérité sur les « assassinats pédagogiques » des chrétiens en Algérie, que le DRS voulait attribuer à des « terroristes islamistes », est maintenant dévoilée au grand jour. Ce nouvel épisode de l’affaire des moines donne du crédit à toutes les autres révélations faites par des officiers du DRS et de l’ANP qu’on peut découvrir sur le site du MAOL (www.anp.org) ou dans les livres publiés par Hichem Aboud, Habib Souaïdia, Mohamed Samraoui, Abdelkader Tigha.

Cela veut dire aussi que toutes les plaintes déposées contre les généraux (disparus, assassinats, torture, etc.) vont être regardées d’un autre œil et leur procédure accélérée.

Mais, alors qu’on sent bien que les généraux en poste ou à la retraite s’agitent dans tous les sens, il est regrettable de constater que les opposants politiques et les intellectuels continuent à somnoler comme s’ils n’étaient pas concernés.

Il faut se rendre compte que l’Algérie politique n’est ni en avance, ni en retard. Elle ne peut vivre qu’au rythme que lui imprimeront ses élites. A l’échelle individuelle, on peut parler de drames. Des intellectuels et des militants, qui étaient arrivés à maturité politique dans la période 88-92, peuvent se sentir aujourd’hui comme des vieillards aigris et dépassés qui ont raté quelque chose dans leur vie après ces vingt années de dictature.

Mais à l’échelle d’une Nation, l’expérience algérienne peut se comparer à celles d’autres pays qui ont connu les mêmes troubles générationnels causés par des coups d’Etat et des dictatures militaires. Aujourd’hui, ces pays ont des régimes démocratiques stables et sont devenus des puissances régionales et économiques reconnues et respectées dans le concert des Nations.

On peut citer l’exemple si proche de l’Espagne du général Franco qui a semé la terreur de 1936 à 1974, avant de laisser ce pays se reconstruire socialement et se stabiliser politiquement. Au Portugal, la longue dictature du général Salazar avait virtuellement éliminé les partis politiques, laissant un grand vide comblé par les militaires qui ont petit à petit lâché le pouvoir aux civils qui gouvernent depuis deux décennies.

Plus loin de nous, au Brésil, les militaires ont pris le pouvoir par un coup d’Etat en 1964, avant d’en être chassés par les civils en 1985. En Argentine, après 20 ans de « péronisme », l’armée fomente un coup d’Etat en 1976 entraînant un lourd bilan de 30 000 disparus exécutés ou morts sous la torture. Les civils ont repris le pouvoir en 1983 et passé les militaires en jugement.

Les expériences les plus proches de ce que vit l’Algérie sont assurément les exemples turc, grec et chilien. Dans ces pays, « l’armée a pris le pouvoir par des coups d’Etat, instauré des dictatures, suspendu la Constitution, promulgué l’état d’urgence ou d’exception, annulé des élections, dissout les assemblées, interdit les syndicats, censuré la presse, violé les droits de l’Homme, emprisonné, torturé, assassiné, etc. ». Malgré ça, ces pays vivent aujourd’hui dans des régimes démocratiques modernisés et stables depuis une vingtaine d’années grâce à la résistance militante et au courage de leurs élites.

Tous ces exemples si proches de notre expérience prouvent que « l’horloge politique » algérienne ne peut tourner que si les élites se hissent à la hauteur de l’Histoire de leur peuple. Et se rendent compte que la paralysie intellectuelle et militante est le résultat de la stratégie mise en œuvre par le « makhzen du DRS » de Toufik : répression, censure, arrestations, tortures, assassinats, attentats… et corruption massive.

Les élites civiles et militaires doivent maintenant créer des commissions d’enquête à l’APN et à l’ANP, demander des comptes et la dissolution du DRS. Les intellectuels et les journalistes doivent s’exprimer sur ce sujet et lancer des enquêtes. Une Nation et un système politique et social ne peuvent évoluer et se régénérer que s’ils consentent à faire des sacrifices.
Fares Mounir Benkiram
 
Commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]





<< Accueil
"Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs." Malcom X

Archives
février 2007 / mars 2007 / avril 2007 / mai 2007 / juin 2007 / juillet 2007 / août 2007 / septembre 2007 / octobre 2007 / novembre 2007 / décembre 2007 / janvier 2008 / février 2008 / mars 2008 / avril 2008 / mai 2008 / juin 2008 / septembre 2008 / octobre 2008 / novembre 2008 / décembre 2008 / janvier 2009 / février 2009 / mars 2009 / avril 2009 / mai 2009 / juin 2009 / juillet 2009 / août 2009 / septembre 2009 / octobre 2009 / novembre 2009 / décembre 2009 / janvier 2010 / février 2010 / mars 2010 / avril 2010 / mai 2010 / juin 2010 / juillet 2010 / août 2010 / septembre 2010 / octobre 2010 / novembre 2010 / décembre 2010 / janvier 2011 / février 2011 / mars 2011 / avril 2011 / mai 2011 / juin 2011 / juillet 2011 / août 2011 / septembre 2011 / octobre 2011 / novembre 2011 / décembre 2011 / janvier 2012 / février 2012 / mars 2012 / avril 2012 / mai 2012 / juin 2012 / juillet 2012 / août 2012 / septembre 2012 / octobre 2012 / novembre 2012 / décembre 2012 / janvier 2013 / février 2013 / mars 2013 / avril 2013 / mai 2013 / juin 2013 / juillet 2013 / août 2013 / septembre 2013 / octobre 2013 / novembre 2013 / décembre 2013 / janvier 2014 / février 2014 / mars 2014 / avril 2014 / mai 2014 / juin 2014 / juillet 2014 / août 2014 / septembre 2014 / octobre 2014 / novembre 2014 / décembre 2014 / janvier 2015 / février 2015 / mars 2015 / avril 2015 / mai 2015 / juin 2015 / juillet 2015 / août 2015 / septembre 2015 / octobre 2015 / novembre 2015 / décembre 2015 / janvier 2016 / février 2016 / mars 2016 / avril 2016 / mai 2016 / juin 2016 / juillet 2016 / août 2016 / septembre 2016 / octobre 2016 / novembre 2016 / décembre 2016 / janvier 2017 / février 2017 / mars 2017 / avril 2017 / mai 2017 / juin 2017 / juillet 2017 / août 2017 / septembre 2017 / octobre 2017 / novembre 2017 / décembre 2017 / janvier 2018 / février 2018 / mars 2018 / avril 2018 / mai 2018 / juin 2018 / juillet 2018 / août 2018 / septembre 2018 / octobre 2018 / novembre 2018 / décembre 2018 / janvier 2019 / février 2019 / mars 2019 / avril 2019 / mai 2019 / juin 2019 / juillet 2019 / août 2019 / septembre 2019 / octobre 2019 / novembre 2019 / décembre 2019 / janvier 2020 / février 2020 / mai 2020 /


Powered by Blogger

Abonnement
Articles [Atom]