ELWATAN-ALHABIB
mardi 17 janvier 2012
 

Algérie: Trop faible pour tomber1?

Salima Ghezali
Mardi 17 Janvier 2012



L’Algérie serait-elle  un pays trop fragile, trop mal dirigé, trop peu en mesure de se défendre, à domicile comme sur la scène internationale, pour être immédiatement livré à un scénario de type « Printemps arabe » ?

Le fait d’être, selon l’expression de Abed Charef, « en avance d’un échec » serait-il cet « atout » du régime algérien qui  procure à ses « réformes » les soutiens de Claude Guéant autant que de Hillary Clinton ?


On serait tenté de le croire. D’autant plus aisément que le discours dominant, ainsi que mille manœuvres d’origine incontrôlées, nous invitent à adhérer à l’hypothèse inverse. Le régime serait tellement fort que  les appels à le faire tomber restent sans effet ! Il est vrai que ces appels n’ont  pas, jusqu’ici, réussi à emporter l’adhésion du public.


D’une part, par ce que les algériens sont, dans une proportion non négligeable, convaincus que les programmes de télévisions qui se sont spécialisés dans la promotion des révolutions dans le monde arabe  constituent, autant que les autres programmes,  un divertissement  plutôt qu’une direction politique. Ils peuvent provoquer tous les dégâts que l’absence de médias nationaux crédibles et de qualité autorise, mais ils ne semblent, pour l’instant, guère réussir à rabattre la population dans le sens de l’émeute finale.


D’autre part, le faible accès à Internet, autant que la méfiance de rigueur auprès des algériens font que l’on va sur la toile pour s’informer, voire pour s’assurer de l’état des commérages qui tiennent, trop souvent, lieu de débat culturel et politique, mais pas pour prendre des feuilles de route. Des plans de bataille. Ou des ordres.


Le constat de la faible capacité de contrôle des « nouveaux médias » sur le comportement politique des algériens n’empêche nullement de prendre la mesure de la responsabilité du pouvoir dans l’immobilisme actuel. Et d’envisager comme toujours possible une insurrection. Même si l’anticipation n’a jamais réussi à se frayer un chemin vers les consciences sous nos latitudes.


On ne compte pourtant plus les appels, bien avant le « Printemps arabe », lancés au régime en place pour l’ouverture d’un dialogue sérieux en faveur de la construction d’un Etat de droit fonctionnant de manière démocratique. Dernière action collective en ce sens, celle du 14 septembre 2007 où AÏT Ahmed, Mehri et Hamrouche émettaient, au travers d’une  déclaration publique un appel à initiative, en direction du pouvoir autant que de la société.
2 Un appel resté sans suite auprès de l’un comme de l’autre. La somme des pesanteurs induites par la nature du régime autant que l’ampleur des dégâts occasionnés à la société ont rendu chimérique le rêve d’un sursaut citoyen politiquement encadré. Et sans encadrement politique le pays a peu de chances de résister à la tempête qui secoue la planète.

Une situation de rêve pour emmener un pays riche, mais politiquement ligoté, dans les filets de multiples prédateurs, et niveaux de prédations, agissant localement autant qu’à l’échelle globale.


« Le  Printemps arabe » a révélé en 2011 l’Algérie dans la position d’un pays  sans doctrine de défense nationale qui intègre la stabilité de son espace régional comme partie intégrante de sa sécurité nationale. L’Algérie a regardé la Libye tomber dans l’escarcelle franco-Qatarie sans pouvoir faire un geste et la regarde encore rentrer dans une instabilité sécuritaire qui la menace directement.
3    

Sans doctrine diplomatique appuyée sur une doctrine de défense nationale l’Algérie n’a pas davantage été capable de se connecter à temps sur la révolution tunisienne et lui porter aide économique conséquente et assistance technique pour sécuriser ses frontières avec la Libye. Une absence de réactivité qui rend encore plus aléatoire la gestion de ses autres frontières, laissant la relation avec le Maroc s’embourber dans d’interminables circonvolutions tandis-que la Mauritanie passe elle aussi dans la sphère d’influence du Qatar
4. Le pauvre Medelci aura beau bégayer, il sera difficile de lui faire porter, à lui seul, le poids de cette absence de vision stratégique.

Sans doctrine de défense qui intègre la diplomatie autant que l’économie dans une stratégie globale de la  sécurité nationale on se retrouve avec un régime affublé d’une économie qui n’obéit à aucun critère rationnel. Une économie, en dépit des déclarations d’intention tonitruantes, totalement dépendante des ressources en hydrocarbures  et dont les responsables se permettent le luxe d’ignorer les avertissements sur la fin proche du pétrole
5. Avec encore une annonce, par le ministre du secteur, de la découverte de nouveaux champs pétroliers dans le nord du pays. Sans aucune assurance sur  la valeur de « ces découvertes » ni le moindre signe en faveur de l’ouverture d’un débat sur l’efficience de la gestion actuelle. Comme si ce qui comptait, en définitive, était juste de rassurer, ici et là, sur l’état du garde-manger de la république…l’huile, le sucre et les pommes de terre pour le peuple et les revenus du pétrole pour une caste affairiste accrochée aux mamelles de la rente et de la prédation.

L’obstination du régime dans sa fuite en avant n’épargne aucun secteur : Ecole
6, santé7, corruption8, état de l’université9. Aucun débat sérieux n’est ouvert. Ni par le pouvoir, qui s’y refuse, ni par la société trop affaiblie et trop parasitée pour construire fût-ce l’ombre d’un commencement de dialogue sur les questions essentielles.10

La contestation permanente du corps social en réaction à la mauvaise gouvernance ou aux abus n’obéit à aucune direction et se fait au gré des aléas climatiques, administratifs ou de personnes. Participant, sans même le vouloir, à l’affaiblissement général.


Dans un tel contexte, l’appui international au régime, ne vient pas récompenser une stratégie de sortie de crise et d’ouverture sur la société mais consacrer une neutralisation mutuelle du pouvoir et de la société. Aucun des deux n’est en mesure de l’emporter sur l’autre. Situation idéale pour perpétuer le statu- quo. Là où il aura fallu une révolution ailleurs, il aura suffit de l’éviter en Algérie. La situation actuelle offre toutes les garanties de faiblesse institutionnelle et sociale, aux réseaux intéressés par le dépeçage du pays. Il suffit de maintenir en l’état Etat et société.

Notes :
  1. L’expression originale est « too big to fall » qui signifie trop fort pour tomber et avait été utilisée pour justifier le sauvetage des plus grosses banques américaines après la crise de 2008. Il semble que ce soit le principe inverse qui se manifeste en Algérie.
  2. Déclaration de Hocine Aït Ahmed, Abdel hamid Mehri et Mouloud Hamrouche en date du 14 septembre 2007 sur Algeria Watch
  3. L’enlèvement du Wali d’Illizi ce lundi donne un avant-goût de ce qui aurait dû être anticipé.
  4. Visite en Mauritanie de l’émir du Qatar
  5. Algérie 2015 : Le spectre lancinant du début de la fin des exportations pétrolières. De Ali Kefaifi
  6. L’école Algérienne en l’absence d’évaluation de Brahim Haraoubia
  7. Entretien avec le Pr Farid Chaoui de Ahmed Selmane
  8. Mohammed Hachemaoui à La Nation : En Algérie la corruption colonise l’Etat. Propos recueillis par Salima Ghezali
  9. REPENSER L’UNIVERSITE EN CRISE de Djamel Guerrid
  10. Les appels, lettres, messages et déclarations se multiplient sans effet notable sur le pouvoir ni la société.
 
Commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]





<< Accueil
"Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs." Malcom X

Archives
février 2007 / mars 2007 / avril 2007 / mai 2007 / juin 2007 / juillet 2007 / août 2007 / septembre 2007 / octobre 2007 / novembre 2007 / décembre 2007 / janvier 2008 / février 2008 / mars 2008 / avril 2008 / mai 2008 / juin 2008 / septembre 2008 / octobre 2008 / novembre 2008 / décembre 2008 / janvier 2009 / février 2009 / mars 2009 / avril 2009 / mai 2009 / juin 2009 / juillet 2009 / août 2009 / septembre 2009 / octobre 2009 / novembre 2009 / décembre 2009 / janvier 2010 / février 2010 / mars 2010 / avril 2010 / mai 2010 / juin 2010 / juillet 2010 / août 2010 / septembre 2010 / octobre 2010 / novembre 2010 / décembre 2010 / janvier 2011 / février 2011 / mars 2011 / avril 2011 / mai 2011 / juin 2011 / juillet 2011 / août 2011 / septembre 2011 / octobre 2011 / novembre 2011 / décembre 2011 / janvier 2012 / février 2012 / mars 2012 / avril 2012 / mai 2012 / juin 2012 / juillet 2012 / août 2012 / septembre 2012 / octobre 2012 / novembre 2012 / décembre 2012 / janvier 2013 / février 2013 / mars 2013 / avril 2013 / mai 2013 / juin 2013 / juillet 2013 / août 2013 / septembre 2013 / octobre 2013 / novembre 2013 / décembre 2013 / janvier 2014 / février 2014 / mars 2014 / avril 2014 / mai 2014 / juin 2014 / juillet 2014 / août 2014 / septembre 2014 / octobre 2014 / novembre 2014 / décembre 2014 / janvier 2015 / février 2015 / mars 2015 / avril 2015 / mai 2015 / juin 2015 / juillet 2015 / août 2015 / septembre 2015 / octobre 2015 / novembre 2015 / décembre 2015 / janvier 2016 / février 2016 / mars 2016 / avril 2016 / mai 2016 / juin 2016 / juillet 2016 / août 2016 / septembre 2016 / octobre 2016 / novembre 2016 / décembre 2016 / janvier 2017 / février 2017 / mars 2017 / avril 2017 / mai 2017 / juin 2017 / juillet 2017 / août 2017 / septembre 2017 / octobre 2017 / novembre 2017 / décembre 2017 / janvier 2018 / février 2018 / mars 2018 / avril 2018 / mai 2018 / juin 2018 / juillet 2018 / août 2018 / septembre 2018 / octobre 2018 / novembre 2018 / décembre 2018 / janvier 2019 / février 2019 / mars 2019 / avril 2019 / mai 2019 / juin 2019 / juillet 2019 / août 2019 / septembre 2019 / octobre 2019 / novembre 2019 / décembre 2019 / janvier 2020 / février 2020 / mai 2020 /


Powered by Blogger

Abonnement
Articles [Atom]