L’Algérie serait-elle un pays trop fragile, trop mal dirigé, trop
peu en mesure de se défendre, à domicile comme sur la scène
internationale, pour être immédiatement livré à un scénario de type «
Printemps arabe » ?
Le fait d’être, selon l’expression de
Abed Charef, « en avance d’un échec » serait-il cet « atout » du régime
algérien qui procure à ses « réformes » les soutiens de Claude Guéant
autant que de Hillary Clinton ?
On serait tenté de le
croire. D’autant plus aisément que le discours dominant, ainsi que mille
manœuvres d’origine incontrôlées, nous invitent à adhérer à l’hypothèse
inverse. Le régime serait tellement fort que les appels à le faire
tomber restent sans effet ! Il est vrai que ces appels n’ont pas,
jusqu’ici, réussi à emporter l’adhésion du public.
D’une
part, par ce que les algériens sont, dans une proportion non
négligeable, convaincus que les programmes de télévisions qui se sont
spécialisés dans la promotion des révolutions dans le monde arabe
constituent, autant que les autres programmes, un divertissement
plutôt qu’une direction politique. Ils peuvent provoquer tous les dégâts
que l’absence de médias nationaux crédibles et de qualité autorise,
mais ils ne semblent, pour l’instant, guère réussir à rabattre la
population dans le sens de l’émeute finale.
D’autre part,
le faible accès à Internet, autant que la méfiance de rigueur auprès des
algériens font que l’on va sur la toile pour s’informer, voire pour
s’assurer de l’état des commérages qui tiennent, trop souvent, lieu de
débat culturel et politique, mais pas pour prendre des feuilles de
route. Des plans de bataille. Ou des ordres.
Le constat de
la faible capacité de contrôle des « nouveaux médias » sur le
comportement politique des algériens n’empêche nullement de prendre la
mesure de la responsabilité du pouvoir dans l’immobilisme actuel. Et
d’envisager comme toujours possible une insurrection. Même si
l’anticipation n’a jamais réussi à se frayer un chemin vers les
consciences sous nos latitudes.
On ne compte pourtant plus
les appels, bien avant le « Printemps arabe », lancés au régime en place
pour l’ouverture d’un dialogue sérieux en faveur de la construction
d’un Etat de droit fonctionnant de manière démocratique. Dernière action
collective en ce sens, celle du 14 septembre 2007 où AÏT Ahmed, Mehri
et Hamrouche émettaient, au travers d’une déclaration publique un appel
à initiative, en direction du pouvoir autant que de la société. 2
Un appel resté sans suite auprès de l’un comme de l’autre. La somme des
pesanteurs induites par la nature du régime autant que l’ampleur des
dégâts occasionnés à la société ont rendu chimérique le rêve d’un
sursaut citoyen politiquement encadré. Et sans encadrement politique le
pays a peu de chances de résister à la tempête qui secoue la planète.
Une situation de rêve pour emmener un pays riche, mais politiquement
ligoté, dans les filets de multiples prédateurs, et niveaux de
prédations, agissant localement autant qu’à l’échelle globale.
« Le Printemps arabe » a révélé en 2011 l’Algérie dans la position
d’un pays sans doctrine de défense nationale qui intègre la stabilité
de son espace régional comme partie intégrante de sa sécurité nationale.
L’Algérie a regardé la Libye tomber dans l’escarcelle franco-Qatarie
sans pouvoir faire un geste et la regarde encore rentrer dans une
instabilité sécuritaire qui la menace directement. 3
Sans doctrine diplomatique appuyée sur une doctrine de défense
nationale l’Algérie n’a pas davantage été capable de se connecter à
temps sur la révolution tunisienne et lui porter aide économique
conséquente et assistance technique pour sécuriser ses frontières avec
la Libye. Une absence de réactivité qui rend encore plus aléatoire la
gestion de ses autres frontières, laissant la relation avec le Maroc
s’embourber dans d’interminables circonvolutions tandis-que la
Mauritanie passe elle aussi dans la sphère d’influence du Qatar 4.
Le pauvre Medelci aura beau bégayer, il sera difficile de lui faire
porter, à lui seul, le poids de cette absence de vision stratégique.
Sans doctrine de défense qui intègre la diplomatie autant que
l’économie dans une stratégie globale de la sécurité nationale on se
retrouve avec un régime affublé d’une économie qui n’obéit à aucun
critère rationnel. Une économie, en dépit des déclarations d’intention
tonitruantes, totalement dépendante des ressources en hydrocarbures et
dont les responsables se permettent le luxe d’ignorer les avertissements
sur la fin proche du pétrole 5. Avec encore une annonce, par
le ministre du secteur, de la découverte de nouveaux champs pétroliers
dans le nord du pays. Sans aucune assurance sur la valeur de « ces
découvertes » ni le moindre signe en faveur de l’ouverture d’un débat
sur l’efficience de la gestion actuelle. Comme si ce qui comptait, en
définitive, était juste de rassurer, ici et là, sur l’état du
garde-manger de la république…l’huile, le sucre et les pommes de terre
pour le peuple et les revenus du pétrole pour une caste affairiste
accrochée aux mamelles de la rente et de la prédation.
L’obstination du régime dans sa fuite en avant n’épargne aucun secteur : Ecole 6, santé7, corruption8, état de l’université9.
Aucun débat sérieux n’est ouvert. Ni par le pouvoir, qui s’y refuse, ni
par la société trop affaiblie et trop parasitée pour construire fût-ce
l’ombre d’un commencement de dialogue sur les questions essentielles.10
La contestation permanente du corps social en réaction à la mauvaise
gouvernance ou aux abus n’obéit à aucune direction et se fait au gré des
aléas climatiques, administratifs ou de personnes. Participant, sans
même le vouloir, à l’affaiblissement général.
Dans un tel
contexte, l’appui international au régime, ne vient pas récompenser une
stratégie de sortie de crise et d’ouverture sur la société mais
consacrer une neutralisation mutuelle du pouvoir et de la société. Aucun
des deux n’est en mesure de l’emporter sur l’autre. Situation idéale
pour perpétuer le statu- quo. Là où il aura fallu une révolution
ailleurs, il aura suffit de l’éviter en Algérie. La situation actuelle
offre toutes les garanties de faiblesse institutionnelle et sociale, aux
réseaux intéressés par le dépeçage du pays. Il suffit de maintenir en
l’état Etat et société.
Enregistrer un commentaire