Vingt ans après l’arrêt du processus électoral le 11 janvier 1992,
où en est l’Algérie ? Vit-on mieux au pays du million et demi de
martyrs ? La République a-t-elle été sauvée au prix de 200 000 morts et
des milliers de disparus ? Et quelle place la république tient-elle,
aujourd’hui, dans le fonctionnement du pouvoir ? Dans l’élaboration des
politiques de l’Etat ? Quelle importance dans la vie des citoyens ?
L’islamisme, de son côté, a-t-il apporté la preuve de sa capacité à
transcender les limites de l’exercice politique ordinaire ? L’alibi
religieux, a-t-il mieux inspiré (en politique, en économie ou dans l’art
de la guerre) ceux qui y ont eu recours ? Les a-t-il rendus plus
lucides, plus soucieux de préserver le lien et le bien commun ? Leur
a–t-il permit de se révéler plus soucieux de l’importance de la vie
humaine, plus imaginatifs dans leurs méthodes de lutte, moins faciles à
manipuler ?
Le pays lui même est-il, vingt ans plus tard,
économiquement plus fort, mieux organisé, plus compétitif ? Est-il, ce
pays, aujourd’hui politiquement plus sain, socialement plus apaisé, plus
engagé dans l’action citoyenne, culturellement mieux outillé ? La
pensée y a-t-elle fait des progrès dans le sens de la compréhension, de
l’explication, de la formulation et du dépassement de la crise et du
sous-développement ? Le débat y a-t-il gagné en hauteur, en qualité,
en éthique? L’élite du pays, tous secteurs confondus, dispose-t-elle
d’une meilleure formation, d’une information de qualité supérieure et
des capacités de projection nécessaires à la formulation de projets
conséquents et, surtout, à la prise de décision stratégique? Le niveau
scolaire s’est-il amélioré ? L’université est-elle plus performante ?
Plus en adéquation avec les besoins de la société dans ses volets
scientifiques, économiques et culturels ? L’état de la santé est-il plus
satisfaisant ? L’argent du pays est-il mieux géré ? Les ressources
sont-elles plus diversifiées ? La qualité de la vie est-elle en
amélioration ? L’Etat est-il plus fort ? Les institutions sont-elles
plus crédibles et plus respectées ? Le droit est-il davantage sollicité
et, remplit-il mieux sa fonction d’arbitre ?
Et s’il
n’ya pas de réponse positive à chacune de ces questions, à combien
d’entre-elles pouvons-nous répondre par l’affirmative ? A aucune ?
A quoi, alors, ont servi les vingt dernières années ? Qu’on ne nous
dise pas que tout ceci n’a pas été possible par ce que le pays était en
guerre !
Et surtout pas, ceux qui ont fait le choix de la
guerre. Et qui persistent à imposer leur vision à ce pays éreinté.
Annulant de ce fait toutes les autres possibilités dans une équation
absurde qui voudrait que, précisément, par ce que l’Algérie est
plurielle, elle n’a plus le choix.
Vingt ans ! C’est
énorme dans la vie d’une nation démographiquement jeune, riche en
ressources et pourvue d‘un solide référent culturel (arabité, berbérité,
islam, ouverture sur l’occident), appuyée sur une puissante mythologie
de la Résistance qui va au moins de Massinissa fils de Gaïa, à Larbi ben
M’hidi, en passant par les donatistes, La Kahéna des Aurès, les
Kutamas, les Sanhadjas et toutes les tribus qui, d’est en ouest, ont
porté autant d’étendards que leur époque en fournissait jusqu’à Lala
Fadhma N’ssoumer du Djurdjura, l’émir Abdel Kader de Mascara… Et de tous
temps les Targuis du désert, les guerriers du M’zab aussi bien que les
corsaires des abords de la Méditerranée, tous ceux qui de près ou de
loin, par les armes ou par la plume, par leur génie politique ou leur
courage intellectuel et physique ont porté bien au-delà de leurs douars
respectifs, l’ambition, la vision, la résistance à l’inertie autant qu’à
l’oppression.
Un pays si riche n’avait besoin que(!) d’une
vision politique à même d’agréger ses différences autour d’un projet
émancipateur pour se propulser au sein des Etats modernes. Et gagner sa
place dans le concert des nations, en misant sur le dynamisme de sa
jeunesse, et en mettant sa diversité humaine au service d’une économie,
d’une culture et d’une diplomatie actives, capables de parler au monde,
dans ses multiples déclinaisons, le langage qu’il comprend le mieux…
Au lieu de cela, nous avons les bégaiements de Medelci, les
statistiques de Belkhadem, la rhétorique d’Ouyahia et les revirements de
Soltani ! Plus les 50 partis que le ministre de l’intérieur est prêt à
agréer pour rameuter un maximum de clientèles aux prochaines élections
législatives. Et rien que pour cela, nous avons fait des réformes ! Ce
n’était vraiment pas la peine de se fatiguer pour ça.
Pétrole mis à part, tout ce que font Medelci, Belkhadem, Ouyahia et
Soltani ainsi que tous leurs clones sur la liste d’attente des
promotions clientélistes, nous savions parfaitement le faire, de douar à
douar, pendant des millénaires. C’est ce qui a permis (entre autres)
aux Romains, aux Vandales, aux Arabes, aux Turcs et, last but not least,
aux Français, de venir nous asservir.
La nouveauté
introduite par le Mouvement national dans nos pérégrinations
hallucinées… C’est la politique. Une politique nationale transcendant
les clans, les sectes, les tribus et les enfermements idéologiques.
Vingt ans de « guerre au terrorisme » mélangés à des épisodes de
réconciliation avec les registres de commerce, nous ont amenés à
l’endroit-même d’où, nul colonisateur, n’avait envie de nous voir
sortir. Aujourd’hui, nous sommes seulement libres d’aller chercher un
maître sur la carte de géographie. Bravo !
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