Déclin de sens ou déclin de
puissance : Le dilemme de
l’Occident
«Dieu et la nature sont sagesse, le monde a de l’eau en quantité suffisante pour que chacun ait de l’eau, le monde a suffisamment de richesses et de terres pour produire de la nourriture pour la population mondiale, le monde a suffisamment de pierres pour construire afin que personne ne soit laissé sans habitat, mais dans les faits une minorité s’est appropriée les richesses du monde, moins de 10% de la population du monde est propriétaire de la moitié de la richesse du monde entier.»
Président Hugo Chavez
Professeur Chems Eddine Chitour
On peut se demander si le discours de Chavez n’est pas utopique face à un
Occident sûr de lui et dominateur qui arrache ce qui n’est pas à lui pour
entretenir une civilisation moribonde de la croissance infinie dans un monde
fini. Justement, l’Occident est-il une civilisation ou la civilisation étalon
sur tous les aspects, matériels de puissance et en termes d’éthique? Est-ce
un Empire avec des vassaux ou un ensemble disjoint d’Etats-nations uni par une
seule cause, la suprématie de l’homme blanc, vieux mythe du XIXe mais
toujours vivace au XXIe siècle? Quel est le moteur de son idéologie? La preuve
externe le néolibéralisme, la mondialisation qui permet de laminer les
identités et les spiritualités pour créer de l’errance propice au
développement sans fin du marché, l’autre convoque un conflit de
civilisation, voire de spiritualités qu’Huntington a martelé comme
inéluctable.
Qu’est-ce qu’une civilisation?
La civilisation est le fait de porter une société à un niveau considéré
comme plus élevé et plus évolué que l’était son état antérieur. Cette
acception inclut une notion de progrès qui s’oppose à la barbarie et à la
sauvagerie. La civilisation est l’ensemble des traits qui caractérisent
l’état d’évolution d’une société donnée sur le plan technique,
intellectuel, politique ou moral, sans porter de jugement de valeur. Une
société définit un type d’homme idéal comme l’«homme de bien» selon
Confucius, l’«honnête homme» du XVIIe siècle européen ou le «gentleman»
de l’Angleterre victorienne. Le comportement civilisé permet aux hommes de
vivre ensemble. Prométhée a apporté aux hommes les arts et les sciences,
mais, malgré ce don, les hommes ne parviennent pas s’entendre. Zeus leur
fournit alors la pudeur et la justice, c’est-à-dire, la capacité de tenir
compte des autres membres de la société et de régler les différends de
manière pacifique et ordonnée. Les hommes peuvent alors construire leur vie
dans la cité.
Ce qui distingue le pays «civilisé», c’est la manière dont la violence
est utilisée dans un État moderne où toute force armée doit relever de
l’État, puisque ce dernier a le monopole de la violence légitime. Le
progrès technique et celui de la civilisation sont intimement associés. Dès
lors, l’Europe, qui a bénéficié d’une avance technique et militaire,
s’est sentie investie d’une mission civilisatrice - dont on a connu
l’oeuvre positive- ce qui l’a auto-autorisé à lancer une colonisation
abjecte..
Beaucoup d’auteurs et non des moindres se seront penchés sur le déclin de
la civilisation occidentale. On prête à Kissinger l’interrogation sur ce qui
a fait disparaître l’empire romain. Le Déclin de l’Occident d’Oswald
Spengler traduit par le philosophe algérien, Mohand Tazerout (1893 à Azazga en
Algérie 1973 à Tanger au Maroc) -superbement ignoré chez lui- est l’un des
essais historiques les plus débattus. Pour expliquer la mort des civilisations,
Spengler conçoit ainsi une histoire universelle: une collection ordonnée des
événements, passés, présents ou à venir.
Pour sa part, l’oeuvre de réflexion de l’historien Toynbee - Toynbee qui
s’est inspiré de la Muqaddima, préface de l’histoire universelle de Ibn
Khaldoun. - sur la genèse des civilisations est inclassable. À des fins de
classification, Toynbee distingue vingt-six civilisations avec leurs montées
et leurs déclins L’historien britannique Arnold Joseph Toynbee, admirateur de
Spengler, au point de l’admirer toute sa vie. Son approche peut être
comparée à celle de Oswald Spengler dans Le Déclin de l’Occident. Il
n’adhère pas cependant à la théorie déterministe de Spengler selon
laquelle les civilisations croissent et meurent selon un cycle naturel. Toynbee
présente l’histoire comme l’essor et la chute des civilisations plutôt que
comme l’histoire d’État-nations ou de groupes ethniques. Ainsi, la
«civilisation occidentale», qui comprend toutes les nations qui ont existé en
Europe occidentale depuis la chute de l’Empire romain, est traitée comme un
tout, et distinguée à la fois de la «civilisation orthodoxe» de Russie et
des Balkans comme de la civilisation gréco-romaine qui a précédé.
La classification de Toynbee, très historique et faisant une large place aux
grandes religions; les idées de Toynbee ont connu une certaine mode. Avec
raison ou pas, certains critiques reprochent à Toynbee l’importance qu’il
attribue à la religion par rapport aux autres aspects de la vie lorsqu’il
brosse le portrait des grandes civilisations. À cet égard, le débat rejoint
celui, plus actuel, sur la théorie de sur le «choc des civilisations».
Justement dans Le Choc des civilisations publié à l’été 1993 par la revue
Foreign Affairs, Samuel Huntington pense que les relations internationales vont
désormais s’inscrire dans un nouveau contexte. (...) Cette vision des
relations internationales trouve son point d’aboutissement dans la Guerre
froide, celle-ci ayant institué l’affrontement de deux modèles de société.
Huntington nous dit qu’il faut désormais penser les conflits en termes non
plus idéologiques mais culturels: «Dans ce monde nouveau, la source
fondamentale et première de conflit ne sera ni idéologique ni économique. Les
grandes divisions au sein de l’humanité et la source principale de conflit
sont culturelles. Les conflits centraux de la politique globale opposeront des
nations et des groupes relevant de civilisations différentes. Le choc des
civilisations dominera la politique à l’échelle planétaire. Les lignes de
fracture entre civilisations seront les lignes de front des batailles du futur.
Comment les empires meurent?
D’où vient cette hégémonie qui fait que l’Occident se veut le seul
dépositaire de sens? Pour l’expliquer, il est courant d’admettre que
l’Occident est parti à la conquête du Monde après la première révolution
industrielle. En fait, il serait plus indiqué de remonter dans le temps pour
s’apercevoir que l’hégémonie occidentale a débuté après ce qu’on
appelle dans la doxa occidentale «Les Grandes découvertes». Prenant la
relève d’un Orient et d’une civilisation islamique sur le déclin, et au
nom de la Règle des trois C - Christianisation, Commerce, Colonisation, il mit
des peuples en esclavage. Il procéda à un dépeçage des territoires au gré
de ses humeurs sans tenir compte des équilibres sociologiques que les
sociétés subjuguées ont mis des siècles à sédimenter. Pendant cinq
siècles, au nom de ses «Droits de l’Homme» qui «ne sont pas valables dans
les colonies» si l’on en croit Jules Ferry, l’Occident dicte la norme,
série, punit, récompense, met au ban des territoires qui ne rentrent pas dans
la norme. Ainsi, par le fer et par le feu, plus de 75% des richesses des Sud
épuisés avec 80% des habitants de la planète furent spoliés et détenus par
20% des pays du Nord.(1)
Après l’implosion de l’empire soviétique, ce fut «la fin de
l’histoire» selon le mot de Fukuyama avec une pax americana qui paraissait
durer mille ans. Le peuple américain se voulant lui aussi, « peuple élu »
comme le martèle «la destinée manifeste», c’est à lui d’éclairer le
monde au besoin par le napalm. Ce n’est pas l’avis de la CIA qui, dans un
rapport intitulé: Le monde en 2025, constate une prise de conscience d’une
nouvelle donne à la fois démographique, économique, financière et même dans
une certaine mesure, militaire. Pour la première fois, les Américains
reconnaissent qu’ils ne seront plus les maîtres du monde. Pour garder la
direction du monde, avec 600 bases américaines et 700...hommes, en dehors des
Etats-Unis, Les Etats-Unis sont constamment en alerte surtout depuis la perte de
leur suprématie économique. L’arrivée du 11 septembre fut du pain bénit.
Le Satan de rechange tombait du ciel, l’Islam et terrorisme. Ainsi, furent
organisées les expéditions punitives que l’on sait un peu partout semant le
chaos, la destruction et la mort. (1)
Des craquements se font entendre, l’Empire est puissant mais il est exsangue
sur le plan économique. Pour Ignacio Ramonet, «l’Empire n’a pas
d’alliés, il n’a que des vassaux». Ce basculement inexorable concernant
l’avenir du Monde, est rendu nécessaire. L’analyse lumineuse de
l’ambassadeur singapourien, Kishore Mahbubani, décrit le déclin occidental:
recul démographique, récession économique, et perte de ses propres valeurs.
Il observe les signes d’un basculement du centre du monde de l’Occident vers
l’Orient. Il cite l’ouvrage de l’historien britannique Victor Kiernan
«The Lords of Humankind, European Attitudes to the Outside World in the
Imperial Age» qui avait été publié en 1969, lorsque la décolonisation
européenne touchait à sa fin.
Victor Kiernan écrivait notamment : «(...) Même si la politique coloniale
européenne touchait à sa fin, l’attitude colonialiste des Européens
subsisterait probablement encore longtemps. En fait, poursuit Kishore Mahbubani,
celle-ci reste très vive en ce début de XXIe siècle. Souvent, on est étonné
et outré lors de rencontres internationales, quand un représentant européen
entonne, plein de superbe, à peu près le refrain suivant: «Ce que les Chinois
[ou les Indiens, les Indonésiens ou qui que ce soit] doivent comprendre est
que...», suivent les platitudes habituelles et l’énonciation hypocrite de
principes que les Européens eux-mêmes n’appliquent jamais. Le complexe de
supériorité subsiste. Le fonctionnaire européen contesterait certainement
être un colonialiste atavique.»(2)
Jean-Pierre Lehmann analysant l’ouvrage de Mahbubani écrit:«Quand Mahbubani
écrit que «le moment est venu de restructurer l’ordre mondial», que «nous
devrions le faire maintenant». Pour lui l’Occident est dans l’incapacité
à maintenir, à respecter et encore plus à renforcer les institutions qu’il
a créées. Et l’amoralité avec laquelle il se comporte trop souvent sape
davantage les structures et l’esprit de la gouvernance mondiale. Selon
Mahbubani, il «est légalement vivant mais spirituellement(souligné par nous
Ndlr) mort» «Le monde, écrit-il, a perdu pour l’essentiel sa confiance dans
les cinq États nucléaires. C’est cette incapacité à exercer convenablement
un leadership qui fait que l’Occident est aujourd’hui davantage le problème
que la solution. En même temps, comme le reconnaît Mahbubani, «les pays
d’Asie ne sont pas encore prêts à intervenir. Il en va de même des
institutions financières internationales. Bien qu’on ait de bonnes raisons de
douter qu’aucune des trois plus importantes - la Banque mondiale, le FMI et
l’OMC - ne subsistera jusqu’à la prochaine décennie, Mahbubani estime
qu’il est d’une importance capitale de les conserver. Mais, bien entendu, il
faut les transformer et les désoccidentaliser. Il ne faut plus que les postes
de directeur de la Banque mondiale et du FMI soient attribués automatiquement
à des États-uniens ou à des Européens, comme si c’était écrit dans
l’Évangile; ils doivent être globalement ouverts à des talents du monde
entier. Il est également important que la Banque mondiale n’ait plus son
siège à Washington DC et dissémine ses employés dans les pays où elle
opère. L’esprit internationaliste tel qu’il s’incarne dans la Charte des
Nations unies doit donc être maintenu, voire revivifié».(3)
«Les civilisations, disait Arnold Toynbee, ne sont pas assassinées, elles se
suicident» L’empire américain subit-il le même déclin que son
prédécesseur britannique? s’interroge l’historien Eric Hobsbawm. La
suprématie navale fit la puissance de la Grande-Bretagne, la capacité de
destruction par bombardement assure celle des Etats-Unis. Cependant, les
victoires militaires n’ont jamais suffi à assurer la pérennité des empires
(...) La Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont bénéficié d’un atout
supplémentaire qui ne pouvait exister que dans le cadre d’une économie
globalisée: tous deux ont dominé l’industrie mondiale.(...) Quand l’ère
des empires maritimes arriva à sa fin, au milieu du XXe siècle, la
Grande-Bretagne sentit le vent tourner avant les autres puissances coloniales.
Son pouvoir économique ne dépendant pas de sa puissance militaire, mais du
commerce, elle s’adapta plus facilement à la perte de son empire, comme elle
l’avait fait face au plus grave revers de son histoire, la perte de ses
colonies américaines. Les Etats-Unis comprendront-ils cette leçon? Ou
chercheront-ils à maintenir une domination globale par la seule puissance
politique et militaire, engendrant ainsi toujours plus de désordre, de conflits
et de barbarie?»(4)
Au monde unipolaire et dominé par l’Occident, écrit Alain Gresh, succède
une nouvelle géopolitique marquée par la multiplication des acteurs influents.
L’affaissement actuel du système financier ne peut qu’accélérer ce
mouvement de repli occidental. «La fin de l’arrogance», titrait
l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, le 30 septembre, avec ce sous-titre:
«L’Amérique perd son rôle économique dominant». Quinze ans plus tard, un
autre consensus se fait jour, plus proche, semble-t-il, de la réalité: nous
entrons dans un «monde post-américain».(5)
L’Occident vit une crise de l’avenir: les nouvelles générations ne
croient plus qu’elles vivront mieux que celles qui les ont précédées. Une
crise de sens, d’orientation et de signification. L’Occident sait à peu
près d’où il vient, mais peine à savoir où il va. Certes, comme disait
René Char, «notre héritage n’est précédé d’aucun testament» et il
appartient à chaque génération de dessiner son horizon. Mais nos tourments ne
sont pas sans fondement. Le sens du commun s’est étiolé. A l’heure du
«chacun pour soi», le sentiment d’appartenance à un projet qui transcende
les individualités s’est évaporé. L’effondrement du collectivisme -
nationaliste ou communiste - et du progressisme économique a laissé place à
l’empire du «moi je». Le sens du «nous» s’est dispersé.(6)
Le déclin de la civilisation occidentale est à des degrés divers, aussi
celui des valeurs face à un Islam qualifié d’obscurantiste parce qu’il
tient à des valeurs universelles consubstantielles de la dignité humaine .
Cette façon de faire de l’Occident est condamnée. A terme, on s’apercevra
que les slogans creux des droits qui sont ceux exclusifs de l’homme blanc en
Occident –encore qu’il faille noter que même dans ces sociétés la
fracture est totale entre les nantis et les pauvres- vont s’effriter au fur et
à mesure de la disparition de la puissance matérielle, malgré tous les
combats d’arrière-garde symbolisés notamment par les nouvelles armes
terribles tels que les drones, les lasers, les bombes thermonucléaires les
aurores boréales sur commande allant plus loin que le XXe siècle « A Beastly
Century », « un siècle bestial » terme , utilisé par Margaret Drabble,
pour décrire le XXe siècle. Il y eu en effet, environ 231 millions de morts en
100 ans de guerres et conflits. Tout ceci pour tenter de garder, en vain, la
suprématie sur des hommes qui aspirent quelles que soient leurs latitudes à
une égale dignité. Ce siècle sera assurèment aussi celui de la guerre de
tous contre tous C’est en définitive, un déclin du sens et du non-respect
des valeurs éthiques que ce même Occident veut appliquer aux autres et non pas
à soi-même. « La paix universelle écrit Anatole France se réalisera un jour
non parce que les hommes deviendront meilleurs mais parce qu'un nouvel ordre,
une science nouvelle, de nouvelles nécessités économiques leur imposeront
l'état pacifique » Amen.
1.Chems Eddine Chitour: Doxa occidentale Est-ce la fin d’une époque ?
http://www.lexpression.dz/categorie/8/2011-04-07.html
2.K.Mahbubani: The Irresistible Shift of Global Power to the East, Septembre
2008
3.Jean-Pierre Lehmann: Déclin de l’Occident et montée de l’Orient. Reseau
Voltaire 2 09 2008
4.Eric Hobsbawm: Du déclin des Empires: Le Monde Diplomatique
http://www.monde-diplomatique.fr/2008/11/Hobswawm/16469
5.Alain Gresh http://www.monde-diplomatique.fr/2008/11/GRESH/16455
6.Nicolas Truong (Débat) Peter Sloterdijk Philosophe Slavoj Zizek La crise
d’’avenir de l’Occident Le Monde 27.05.2011
Pr Chems Eddine CHITOUR
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