Le dernier discours de Monsieur le Président m’a donné l’impression d’un
goût d’inachevé. Deux dimensions importantes ont été omises. Il s’agit,
d’abord, de la nécessité de réconcilier le peuple algérien avec son
identité au moment où l’Algérie se devait de célébrer le trente et
unième anniversaire du Printemps amazigh dans une vision oecuménique tant il
est vrai qu’une identité assumée dans ses multiples dimensions est notre
plus sûre défense immunitaire contre l’anomie du monde. Que l’on ne s’y
trompe pas. Le pays va mal, la vague contestataire, quoique généralisée, ne
dépasse pas pour le moment le seuil d’une contestation à caractère social.
Grâce à la généreuse manne pétrolière, le pouvoir peut l’éteindre
facilement. Mais l’absence de courroies de transmission démocratiques entre
l’Etat et la société est annonciatrice de perspectives dangereuses pour la
paix civile.
Face à l’impuissance d’un syndicat national dépassé et discrédité en
raison de son inféodation au pouvoir, l’intransigeance de syndicats autonomes
qui se développent rapidement n’est pas toujours un facteur de progrès comme
on peut l’espérer tant l’impatience et l’inexpérience peuvent aisément
prêter le flanc à des manipulations politiciennes et «diplomatiques»
douteuses. De son côté, le radicalisme d’une jeunesse désespérée et
dépolitisée est utilisé par les lobbies de la rente dans leur chantage
quotidien contre toute tentative d’encadrement juridique et administratif
d’une économie informelle qui brasse des milliards comme on l’a vu lors des
émeutes de janvier dernier.
Les dynamiques mondiales souterraines font de l’errance identitaire leur
fonds de commerce. Un exemple,? Personne ne savait qu’il y avait quarante
tribus en Libye, que la tribu dominante est celle des Kadafa et que la Libye
n’est pas un Etat au sens occidental du terme. En clair, la partition
inexorable ne changerait rien. Il nous a fallu quarante ans pour le découvrir
Qui empêcherait les officines occidentales de réfléchir à cela, s’agissant
de l’Algérie? D’autant que subitement, l’Occident découvre que dans les
pays arabes il y a des peuples qui aspirent à la liberté. C’est le sens à
titre d’exemple, du conclave au ministère français des Affaires étrangères
où nous avons vu Alain Juppé faire, à peu de frais, le mea culpa de la France
pour avoir soutenu les dictateurs contre leurs peuples.
Ainsi et comme l’écrit Jean-Christophe Ploquin, lors d’un colloque
organisé par le ministère des Affaires étrangères à Paris, le chef de la
diplomatie française a tendu la main aux mouvements islamistes qui respectent
l’Etat de droit, les principes démocratiques et le refus de la violence. La
France veut jeter un regard positif sur le «printemps arabe». Sa diplomatie
entend être plus à l’écoute des sociétés qui réclament libertés,
dignité et emplois. Elle juge que cette région renoue avec une tradition
d’ouverture qui s’était déjà manifestée plusieurs fois à travers
l’Histoire. Et elle entend oeuvrer pour soutenir les mouvements démocratiques
et peser sur les régimes réfractaires au changement. Telles sont les
indications données samedi 16 avril au soir par Alain Juppé, en conclusion
d’un colloque d’une journée qui s’est déroulé à l’Institut du Monde
arabe à Paris sur ce thème du «printemps arabe». Pour Alain Juppé, en tout
cas, le jeu en vaut la chandelle et il est temps d’écrire une nouvelle page.
«Trop longtemps, nous avons brandi le prétexte de la menace islamiste pour
justifier une certaine complaisance à l’égard de gouvernements qui
bafouaient la liberté et freinaient le développement de leur pays», a-t-il
déclaré à la fin du colloque. Aujourd’hui, c’est «la flamme de la
liberté qui se propage dans toute la région». «Ce printemps arabe ne doit
pas nous faire peur, a-t-il poursuivi.(1)
On l’aura compris, l’Algérie doit se battre. « A l’est, comme
l’écrit Isabelle Mandraud du journal Le Monde, une révolution et une guerre.
A l’ouest, bousculé par des manifestations, un roi s’engage dans une
réforme politique qui, au passage, arrimera solidement, espère-t-il, le Sahara
occidental à son royaume. Entre ses remuants voisins tunisien, libyen et
marocain, l’Algérie, le plus grand pays du Maghreb, est à l’étroit dans
ses frontières. Faisant ses adieux en quittant son poste le 24 mars,
l’ambassadeur des Etats-Unis à Alger, David Pierce, a averti : «L’Algérie
n’est pas immunisée contre les changements.» Les difficultés
s’accroissent pour les autorités algériennes, qui tentent de tenir tous les
bouts de la chaîne : se prémunir de la «contagion» des mouvements du Monde
arabe et apaiser la contestation qui monte de tous côtés sur son propre sol,
maintenir des relations de bon voisinage avec des pays devenus instables,
surveiller et mettre à l’abri un territoire qui a déjà connu une décennie
de violence ».
Le danger Aqmi
« Le front libyen constitue aujourd’hui la première source d’inquiétude.
L’organisation djihadiste Al Qaîda au Maghreb islamique (Aqmi), dont les
chefs sont algériens, pourrait «accaparer un armement lourd et sophistiqué de
nature à mettre en péril la sécurité dans cette région et bien au-delà»,
a fait valoir, mardi 5 avril, Abdelkader Messahel, ministre délégué algérien
chargé des Affaires maghrébines et africaines, en évoquant la situation en
Libye. Pour les opposants au régime algérien, l’argument de la sécurité
est entaché de soupçons, nourris par les rumeurs sur une aide à Mouamar El
Gueddafi qu’Alger s’emploie à démentir. Cernée sur sa droite comme sur sa
gauche par des mouvements importants, l’Algérie voit donc augmenter le péril
qu’il y aurait pour elle à rester immobile. D’où la levée de l’état
d’urgence qui était appliqué depuis dix-huit ans ; d’où, aussi, la
résurrection d’un vieux débat autour d’une Constituante. Mais ce que
montre surtout la nouvelle donne du Maghreb, c’est l’isolement
aujourd’hui, sur la scène internationale, de l’Algérie ».(2)
Ceci est clair, l’Occident va changer de fusil d’épaule, il va jouer les
peuples ou, mieux encore, les jeunesses arabes contre leurs gouvernants. Ceci
nous amène encore une fois à dire tout notre scepticisme concernant le
printemps arabe téléguidé sûrement de l’extérieur. Ces révolutions ou
révoltes ont pu s’épanouir à des degrés divers car le terreau était
favorable et là encore le discours du Président était en décalage avec la
jeunesse. Que l’on interroge le personnel politique des deux bords, on
s’aperçoit qu’il y a une complicité objective. Ils apprécient
différemment le discours, mais la jeunesse profonde, celle qui représente les
trois quarts de la population, n’a pas son mot à dire et ce n’est pas
quelques jeunes soigneusement triés pour chanter en coeur qui donneront le
pouls de cette jeunesse qui rêve de réussir sa vie, qui veut bien se sentir
dans le pays, qui ne veut pas mourir en mer qui, réellement n’a pas de pays
de rechange, contrairement à ceux qui quittent le navire quand il est en
perdition pour aller vers des cieux plus cléments et qui reviennent ensuite en
touristes dire «Il n’y a qu’à...» se prenant pour des messies en face
d’un pays convalescent et qui peine à se redéployer.
Que veulent les satrapes qui, à des degrés divers, ont confisqué la parole,
le pouvoir? Continuant un discours de courtisan qui donne la nausée, ils
prônent une Algérie installée dans les temps morts, coupée de sa jeunesse et
ceci en ameutant le ban et l’arrière-ban pour faire croire grâce à
«l’Unique» que tout va bien madame la Marquise, que tout est sous contrôle
et que la rente pourrait durer mille ans pour couvrir leur gabegie. Cruelle
erreur! l’Algérie ne va pas bien, elle est attaquée de toute part, et ce
printemps arabe, va nous atteindre d’une façon ou d’une autre.
Le redécoupage du monde doit nécessairement atteindre un domino central :
l’Algérie. Supposons que nous sommes dans une situation de chaos! qu’on se
le dise, nous sommes partis encore pour un demi-siècle de déstabilisation qui
installera définitivement l’Algérie dans les zones grises. Certes, nous
aurons un nouveau paysage politique avec un vernis de démocratie de liberté.
Ce qui est sûr, c’est que l’Algérie de nos rêves, celle pour qui la fine
fleur de ce pays a été fauchée, appartiendra définitivement à l’Histoire
Il me semble que la culpabilité du régime, du fait de sa fragilité, provient
du fait que face à la difficulté, on ne sent pas que nous avons en face de
nous un Etat stratège qui fait dans la pédagogie et qui a une vue d’ensemble
des problèmes. Cette distribution tous azimuts de la rente donne l’impression
que le gouvernement, dos au mur, pense gagner du temps et calmer les rues par le
démantèlement des règles que nous avons mis cinquante ans à édifier.
A titre d’exemple, les augmentations des différentes catégories ne rentrent
pas dans une grille unique de la Fonction publique qui donne l’impression que
c’est une juxtaposition de statuts particuliers, chacun étant plus
particulier que l’autre dans l’opacité la plus totale, chaque corps pensant
avoir touché le gros lot. On l’aura compris, face à un gouvernement attaqué
à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, et lâchant du lest, les
citoyens voient qu’ils peuvent régler leur problème par l’émeute ou par
les rassemblements. De plus, ceci est dangereux car il n’est pas demandé de
contrepartie. A titre d’exemple, la revalorisation des salaires des
enseignants n’a pas boosté l’université. Elle continue sur une cinétique
de contemplation des convulsions de la société sans y prendre part, n’étant
pas sollicité. Quand on dit que des milliers de diplômés ont quitté le pays,
il faut s’interroger pourquoi. Certes, on peut penser que certains ont
privilégié leur carrière. Est-ce à dire comme certains journaux
l’écrivent, sans savoir que tous ceux qui sont restés au pays sont du bas de
gamme? Non! ce n’est pas vrai! Il y a aussi une explication, peut-être que
ceux qui sont restés aiment aussi le pays et ont sacrifié leur carrière.
Ceci m’amène au deuxième oubli du discours de Monsieur le Président : la
formation des hommes. Si nous avons réalisé des routes, construit des
logements, amené de l’eau, c’est très bien, mais cela ne crée pas de la
richesse. Il faut savoir que notre système éducatif est en panne, notre
baccalauréat ne permet plus l’ascension sociale, banalisé et, réduit à un
ventre mou constitué par les lettres et les sciences naturelles, il a perdu les
disciplines mathématiques et physiques dont le pays a cruellement besoin. Les
baccalauréats mathématiques techniques et élémentaires ont pratiquement
disparu. On ne forme pas un ingénieur justement avec un bac sciences
Justement, à propos de la formation d’ingénieur, il est tragique de
constater qu’elle a disparu. Le plan énergie renouvelable, bien
qu’incomplet parce qu’il n’est pas adossé à une stratégie énergétique
d’ensemble, a besoin de milliers d’ingénieurs et de techniciens Au moment
où en Europe, les perspectives montrent que les futurs emplois seront de plus
en plus qualifiés comme nous lisons dans le Rapport publié par la Commission
européenne qui révèle que les pays de l’UE ont amélioré leurs systèmes
d’éducation dans des domaines essentiels au cours des dix dernières années.
Depuis 2000, l’Union est parvenue à relever de 37% le nombre des diplômés
en mathématiques, sciences et technologie, ce qui est largement supérieur à
l’objectif de 15% qu’elle s’était fixé. Androulla Vassiliou, commissaire
européenne à l’éducation, a déclaré à ce propos : «La bonne nouvelle,
c’est que les niveaux d’éducation européens se sont considérablement
améliorés. Le nombre de jeunes qui achèvent le second cycle de
l’enseignement secondaire ou obtiennent un diplôme de l’enseignement
supérieur est plus élevé qu’il y a dix ans.(3)
Réhabiliter l’Université
L’Université algérienne doit réhabiliter la formation d’ingénieurs et
de techniciens par milliers. Au lieu de s’acharner sur les Ecoles, il faut les
multiplier à l’infini. Le destin du pays qui repose sur ses élites doit se
décider en Algérie, nous n’avons pas besoin de tutelle qui doit nous
indiquer si nous sommes sur la bonne voie ou si nous devons encore faire des
efforts pour arriver à la norme, qui, on l’aura compris, est dictée par
l’Occident, notamment paléo-colonial. Il serait tragique que la formation des
hommes soit sous-traitée à l’extérieur. J’en appelle clairement à la
remise sur rail, avant qu’il ne soit trop tard, de la formation technologique
dans le pays, en réhabilitant la discipline des mathématiques, des
mathématiques techniques, en revoyant fondamentalement la formation
professionnelle, et naturellement en redonnant à la formation d’ingénieurs
ses lettres de noblesse.
Dans la cacophonie actuelle, ce qui restera dans le futur ce sont les hommes et
les femmes bien formés, fascinés par le futur et dont l’Algérie aura
besoin. Le destin de l’Algérie se jouera assurément dans cette génération,
soyons au rendez-vous de l’Histoire! Les conditions critiques d’implosion
demeurent, les frustrations persistent, les perspectives s’assombrissent et
enfin les fondements d’un développement durable du pays ne sont toujours pas
réalisés. Si nous nous arrêtons aux équilibres macroéconomiques et la
dette, il est évident que nous avons bénéficié d’une conjoncture favorable
à nos exportations d’hydrocarbures et de bonnes conditions pluviométriques
qui nous donnent un peu de répit. Cette embellie est indépendante de nos
efforts.
Seul le parler vrai, l’assumation sereine d’un passé dans toutes ses
dimensions, permettra de remobiliser le peuple algérien, en dehors des partis
politiques dont on connaît les limites. Saurons-nous alors, tous ensemble,
trouver le secret pour sauver l’Algérie en offrant à cette jeunesse en panne
d’espérance une perspective pour le futur autrement que par le mimétisme
ravageur d’un Occident sûr de lui et dominateur? La question reste posée
1.Jean-Christophe Ploquin. Alain Juppé veut que la France change son regard
sur le Monde arabe. Journal La Croix 17.04.2011
2.Isabelle Mandraud. L’isolement de l’Algérie, à l’étroit dans ses
frontières. Le Monde 08.04.11
3.http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/11/488&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=fr
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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