ELWATAN-ALHABIB
jeudi 24 mars 2011
 

L’Irakisation de la Libye : le Monde arabe en miettes




Chems Eddine CHITOUR


« Un jour, deux bandits sont entrés dans le palais d’Été. L’un a pillé, l’autre a incendié. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits. Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. »
Victor Hugo (Lettre au capitaine Butler)

17 mars, une date à retenir. Ce jour-là, un pays arabe, en l’occurrence, la Libye, est entré dans l’engrenage de la partition, lâché par les siens, il fait l’objet d’une curée savamment préparée depuis plusieurs mois pour s’emparer de richesses pétrolières (2 à 3 fois celles des Etats-Unis). Comme en Irak, le scénario est bien rôdé, il s’agit cette fois, de protéger les Libyens contre El Gueddafi. Après l’Irak, après la Somalie, après le Soudan voici le tour de la Libye. Nous ne devons nous en prendre qu’à nous-mêmes car si l’impérialisme vient au secours des dissidents qu’il a créés c’est que les potentats arabes n’ont jamais voulu de l’alternance. L’Islam a bon dos d’être défendu par des bras cassés qui en fond de commerce pour se maintenir au pouvoir se réfugiant dans la fatalité en acceptant leur sort sans se battre et sans aller vers la science et la technologie.

Pour l’histoire, la France et la perfide Albion (l’Angleterre) sont de toutes les expéditions guerrières contre les Etats faibles. En 1856, ils attaquent l’Empire ottoman ; prétexte : protéger les minorités chrétiennes. Ensuite, en octobre 1860, ce fut l’attaque de la Chine décrite d’une façon saisissante par Victor Hugo : 1917, le dépeçage de l’Empire ottoman par les sinistres accords Sykes-Picot. En 1956 la France attaque avec son vieux complice de toujours, l’Angleterre, et Israël, l’Egypte. En 1991 elle est dans la coalition contre l’Irak. En 2008, elle est en Afghanistan. Une seule fois elle s’était opposée à l’aventure irakienne de Bush, en vain. La France du président Sarkozy prend la tête d’une croisade - dixit El Gueddafi - contre un potentat arabe, El Gueddafi, au pouvoir depuis 42 ans.

Les réticences du Monde

« Il faut savoir que mis à part les pays occidentaux (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France,) les 90% de la planète ne sont pas d’accord avec les frappes. Pour l’Union africaine, la coalition américano-européenne a mis à exécution sa déclaration de guerre à la Libye, en effectuant plusieurs frappes maritimes et aériennes sur le pays, faisant une cinquantaine de morts et près de 200 blessés parmi la population, en application de la résolution 1973 de l’ONU recommandant « des mesures de protection des civils libyens » . La France, qui fait de cette offensive une affaire personnelle, appuyée par les Etats-Unis et la Grande- Bretagne, a fait entériner samedi à Paris cette intervention lors d’une réunion de l’Union européenne et de la Ligue arabe, au mépris de la position de l’Union africaine qui entend privilégier la voie diplomatique et appelle à l’arrêt immédiat des hostilités. En effet, la coalition américano- européenne semble avoir décidé de prendre de court le panel africain sur la Libye, formé par l’Union africaine et qui se réunissait ce même samedi à Nouakchott, capitale mauritanienne, pour faciliter un dialogue inclusif entre les différentes parties, sur les réformes nécessaires. » (1)

De même, rapporte le Nouvel Obs, « l’intervention militaire lancée samedi 19 mars en Libye est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté internationale. Les Brics prudents, les grandes puissances émergentes se sont ainsi fait remarquer par leur refus de toute ingérence. La Russie appelle, dimanche, la coalition internationale à cesser de recourir à la force de manière "non-sélective" et de faire ainsi des victimes civiles. La résolution de l’ONU a été "adoptée à la hâte", avait regretté plus tôt Moscou. "Il faut rapidement arrêter les effusions de sang et que les Libyens entament le dialogue", a déclaré samedi le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères. » (2) « Pékin "exprime ses regrets concernant les attaques militaires contre la Libye", indique un communiqué. "Nous espérons que la Libye peut rétablir la stabilité aussi vite que possible et éviter de nouvelles victimes civiles liées à l’escalade d’un conflit armé". Et l’Inde qui "regrette" dimanche 20 mars les frappes aériennes de la coalition, et "considère avec une grande inquiétude la poursuite de la violence, des conflits et la détérioration de la situation humanitaire en Libye". "Il n’y a aucun doute que les intérêts représentent le motif essentiel de cette action militaire, le pétrole en est le carburant", écrit le quotidien qui dénonce les "aspects politiques et coloniaux" de l’intervention. Au Venezuela, Hugo Chavez s’est montré particulièrement offensif jugeant "irresponsable" l’intervention armée. La Turquie demande un réexamen des plans que l’Otan prépare depuis des semaines pour la Libye, jugeant que l’intervention armée de la coalition change la donne, rapportent des diplomates de l’alliance. Même La Haut-Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton, a refusé de reconnaître le CNT (Conseil national de transition) et s’oppose à la zone d’exclusion aérienne.

Pour l’universitaire allemande, Annette Kaiser, l’Allemagne est réfractaire aux politiques d’interventions militaires communes. Et elle s’est prononcée contre une opération en Libye et contre l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne. On ne peut jamais être certain de ne pas déclencher une guerre civile. (...) On se pose aussi des questions sur la vraie raison de l’intervention en Libye. A-t-elle vraiment lieu au nom des droits de l’homme ? Dans ce cas, pourquoi choisir la Libye ? Et pas la Côte d’Ivoire ? Le Zimbabwe ? Il est de notoriété publique que les Etats ne mettent en branle leur puissance militaire que quand leurs intérêts directs sont en jeu...Ce n’est pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre...Depuis l’Allemagne, nous estimons que Sarkozy règle aussi des problèmes de politique intérieure avec la crise libyenne. Son taux de popularité catastrophique dans les sondages, le jeu trouble de la France lors des révolutions tunisienne et égyptienne... La Libye, c’est aussi une belle occasion d’apparaître comme un défenseur des droits de l’homme » . (3)

Même en France, Jean-Marie Le Pen a fermement critiqué la position française, soupçonnant que derrière les motifs humanitaires invoqués se cachent des motivations moins avouables : le contrôle du pétrole libyen. Il a aussi critiqué le rôle joué ces derniers jours par Bernard-Henri Lévy, devenu une sorte de ministre des Affaires étrangères bis.

L’attaque de la Libye était planifiée depuis plusieurs mois

Pour Gilles Munier « tout était préparé à l’avance. Sarkozy voulait sa guerre, il l’a - au forceps - grâce à Bernard-Henri Lévy, Alain Juppé, et au gouvernement conservateur anglais. Un exercice militaire de grande ampleur franco-britannique, planifié en trois mois - au lieu de six habituellement - va lui faciliter la tâche. Il est prêt pour attaquer« Southland » ...entre le 21 et le 25 mars, un pays affublé d’un « régime dictatorial » au sud de la Méditerranée. Nom de code de l’opération « Southern Mistral » , et celui de la première frappe : "Desert Storm" ! Elle est aujourd’hui programmée pour de vrai, quel que soit le nom qui va lui être attribué pour donner le change. Pour attaquer la Libye, donc, il ne manquait que l’habillage diplomatique de l’intervention occidentale, c’est-à-dire la caution du Conseil de sécurité de l’ONU et la constitution d’une coalition comprenant « nos bons vieux amis arabes » . C’est fait, en urgence. On s’en souvient : « Desert Storm - Tempête du désert » était le nom choisi en janvier 1991 par le Pentagone, de l’attaque de l’Irak ordonnée par George Bush (père) ». (5)

« L’opération avait été précédée par un exercice quasi identique à "Southland", dirigé quelques mois plus tôt au Koweït, par le général Norman Schwarzkopf. (...) Le colonel El Gueddafi n’est pas un ange, mais on a l’impression d’assister à un copier-coller de la campagne de diabolisation du président Saddam Hussein : le Guide libyen « bombarde son propre peuple » (...) Détail piquant : le Qatar, les Emirats arabes unis participent dans la guerre pour protéger le peuple. Les mêmes qui participent du côté de l’Arabie Saoudite dans l’oppression du peuple bahreïni. Bahrein, Yemen, Libye : un seul combat. Les tyrans du monde réunis contre les peuples en lutte. » (4) « Sur le plan régional, les choses risquent de se compliquer. Si les pétromonarchies du Golfe ne cachent pas leur soutien à l’interventionnisme occidental, la Turquie et l’Algérie, qui partagent une commune méfiance à l’égard de ce retour fracassant de la France sur la scène internationale et maghrébine, se trouvent confrontées à un défi stratégique et diplomatique majeur. Si la Turquie doit faire face à l’hostilité endémique de la France de Sarkozy, violemment opposée à l’entrée de la Turquie au sein de l’UE, l’Algérie sait qu’une intervention française réussie en Libye constituera une menace directe à sa sécurité nationale dans la région du Sahel. » (5)

Mohamed Tahar Bensaâda comparant les diplomaties turque et arabes décrit la première comme une réussite face à la débâcle de la seconde. « Les Occidentaux exultent. (...) La complexité de la crise libyenne, dont les derniers développements militaires sur le terrain laissent présager un enlisement propice à toutes les éventualités, explique les tergiversations dans le camp occidental. Si on laisse de côté les arguments idéologiques pseudo-humanitaires servis dans les médias occidentaux et arabe pour justifier une intervention occidentale, force est de constater que l’interventionnisme occidental, relayé anticipativement par la Ligue arabe, obéit à une grossière logique d’intérêts. Au Bahreïn, où un soulèvement pacifique, qui dure depuis plusieurs semaines, en vue de réclamer une « monarchie constitutionnelle » et des réformes sociales, a été et continue d’être réprimé dans le sang par un régime féodal et autocratique, ni les Américains, ni leurs alliés européens et arabes n’ont décelé de « crimes contre l’humanité » appelant un « devoir d’ingérence humanitaire » ... (...) Heureusement, à côté de cette diplomatie arabe pusillanime, une puissance musulmane est en train de montrer une autre voie, alliant réalisme et principes. Dans un entretien accordé à la chaine satellitaire Al Arabiya, le Premier ministre turc, Tayeb Erdogan, a rappelé quelques principes qui devraient guider toute diplomatie arabe qui se respecte » . (6)

« Avant toute chose, le leader turc a rappelé l’exigence de prendre en considération le désir de changement profond exprimé par les peuples arabes, non sans préciser que ce changement connaîtra des formes et des rythmes propres à chaque situation nationale. Il a réaffirmé la position de la Turquie qui s’oppose à toute intervention étrangère. A cet égard, Erdogan rappelle qu’il a eu un entretien téléphonique avec El Gueddafi, et qu’il lui aurait conseillé de proposer une personnalité consensuelle, en vue de superviser une période de transition préalable à l’instauration d’un régime constitutionnel. (...) Mais si les développements militaires sur le terrain continuent à aller dans le sens d’un enlisement durable et dangereux pour la sécurité et la stabilité de la région, il n’est pas dit que la seule solution qui s’offre aux Américains et à leurs alliés soit de transporter militairement les opposants de Benghazi jusqu’à Tripoli ! Si une telle éventualité pouvait voir le jour, ce n’est pas seulement la diplomatie turque qui en sortirait renforcée, mais également la diplomatie arabe, qui pourrait ainsi se libérer de la tutelle réactionnaire des pétromonarchies du Golfe. » (6)

Ce qui se passera ensuite

Felicity Arbuthnot décrit d’une façon saisissante le devenir de la Libye une fois normalisée. Ecoutons-la : « Le bombardement de la Libye va commencer le jour - ou à un jour près - du huitième anniversaire du début de la destruction de l’Irak, Il y aura de nombreuses « erreurs tragiques » et autres « dommages collatéraux » de mères, pères, enfants, bébés, grands-parents, écoles pour les sourds et muets, etc. etc. Les infrastructures vont être détruites. L’embargo restera en place ; et rendra la reconstruction impossible. L’Angleterre, la France et les USA décideront que le pays a besoin d’être « stabilisé » , qu’il faut « l’aider à reconstruire » . Ils arriveront et prendront la direction des installations et des champs de pétrole ; au début, les Libyens seront un problème accessoire puis ils deviendront vite « l’ennemi » des « insurgés » , on leur tirera dessus, ils seront emprisonnés, torturés, victimes de toutes sortes d’abus -et un « gouvernement » fantoche, ami des USA, sera mis en place. Les envahisseurs accorderont à leurs firmes des contrats pour la reconstruction, l’argent -qui sera sans doute prélevé sans compter sur les actifs gelés- disparaîtra et le pays restera largement en ruines. (...) Que dire de cet « effroi et stupeur » qui attend la Libye ? Honte sur la France, honte sur l’Angleterre, les USA et sur l’ONU qui prétend : « .... protéger les générations suivantes du fléau de la guerre » . Les noms de ces pays et de l’ONU seront inscrits avec le sang de leurs victimes : chaque corps brisé, chaque enfant estropié ou réduit en bouillie, chaque veuve, veuf ou orphelin, sur chacune de leurs tombes. (...) Avec le temps, nous apprendrons qui a intrigué, soudoyé, déstabilisé et sans doute que peu de gens seront surpris de ce qu’ils découvriront. Mais il sera trop tard, la Libye sera depuis longtemps détruite et sa population éperdue se sera enfuie ou aura été déplacée. Quand on a affaire aux « libérateurs » il faut faire attention à ce qu’on dit. Dans six mois à peu près, la plupart des Libyens, regretteront amèrement les 40 dernières années de pouvoir quelles que furent ses imperfections. » (7)

Tout est dit, l’irakisation, prélude à la partition, est inéluctable. Pourtant, si on mobilise l’intelligence. Le pétrole arabe doit appartenir à la jeunesse arabe, nous avons une occasion unique dans l’histoire de faire revivre notre civilisation en faisant notre mea culpa et en allant à marche forcée vers le progrès comme le fait l’Indonésie, la Turquie et surtout l’Iran qui est du point de vue scientifique un exemple à suivre. Débarrassons-nous des scories du mimétisme, restons éveillés, ce qui arrive à la Libye risque de nous arriver, prenons les bonnes décisions avant que cela ne soit trop tard.

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz

 
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