ELWATAN-ALHABIB
mardi 29 mars 2011
 

Folle étreinte à Benghazi
La philosophie, c’est la guerre

Par Henri-Bernard L.

Pour ceux qui en doutaient, il n’y a pas qu’au niveau intellectuel que je sois bien membré… Benghazi, mon amour. Tandis que la nuit étend sa nappe étoilée sur les tables de la Brasserie Lipp, je repense à notre folle étreinte. Te souviens-tu comme, alors, tu criais mon prénom dans la nuit cyrénaïque, enfiévrée de désir, pendant qu’au loin résonnaient les mortiers de l’infâme tyran ? La clameur était si forte qu’on eût dit que le Maghreb tout entier avait décidé de me rendre hommage à l’unisson ! Henri-Bernard ! Henri-Bernard ! Henri-Bernard !

Benghazi, perle de la côte. J’ai pris ta virginité. Avant moi, tu n’avais connu que le panafricanisme rétrograde et la répression féroce du tyran, la barbarie musulmane et son cortège de lapidations… Je t’ai initiée aux jeux démocratiques et à leur mille et une positions. Le sarkozysme et son souffle émancipateur. Les Mirage 2000, les Rafale, les Awacs, les zones d’exclusion aérienne… J’entends encore ton râle impudique, au moment où le feu humaniste de l’aviation française faisait éclore les bourgeons du printemps libyen. Sur la couche de ma suite, à l’hôtel Tibesti, où je t’entreprenais sauvagement de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, ton expression maladroite de reconnaissance ne faisait qu’attiser mon désir. Dix fois, cent fois tu as atteint, dans mes bras, l’orgasme libérateur.

Au matin, je t’ai laissée, chancelante, humide, dans un état extatique que seules, jusque-là, Kaboul et Sarajevo avaient connu. Lorsque tu t’es couchée sur le sol pour me baiser les pieds, je t’ai fait signe de te relever. "– Benghazi, je t’en prie. Reste digne. Je n’ai fait que mon job. N’oublie pas qu’à travers ma personne, c’est la France qui t’a fait hurler de plaisir. Mes étreintes ont laissé sur ta peau l’empreinte de l’Élysée". Comme je dis toujours, "l’art de la philosophie ne vaut que s’il est un art de la guerre…" Je ne sais plus si c’est Sun Tzu ou Pinochet qui a dit ça, mais je me dois de saluer sa lucidité. Depuis près de quarante ans que je philosophe, j’ai semé la guerre un peu partout. C’est plus fort que moi : dès que je débarque dans un 5 étoiles à l’étranger, il faut que j’appelle l’Élysée ou l’état-major des armées pour qu’ils envoient l’aviation. C’est mon côté philosophe engagé. Engagé dans la guerre. Enfin pardon : dans l’art de la guerre. C’est pas pareil. L’art de la guerre, c’est un peu comme la guerre, mais en Business Class.

Une fois mon devoir accompli, j’ai repris mes quartiers dans un autre hôtel – c’est mon côté grand reporter. Le mien. Pas un 5 étoiles, un hôtel particulier germanopratin. La vie parisienne me semble bien morne, comparée à l’effervescence de Benghazi. Là bas, j’étais un héros national. Ici, me voici redevenu Henri-Bernard L. HBL, comme ils disent. Une idole, certes. Mais ici, point de mortiers. Rien que la paix, autant dire l’ennui.

Ça me déprime, tiens ! Je crois que je vais aller passer quelques jours dans mon riad marrakchi pour me changer les idées. Là-bas, je suis au repos. La révolution des masses arabo-berbères opprimées par une monarchie d’un autre temps, soumises à un islam rétrograde, n’est pas dans mon calendrier philosophique. Ça n’arrange pas l’Élysée. Après mon idylle incandescente avec Benghazi, c’est pas pour être vulgaire, mais ça me donne un peu l’impression d’aller aux putes.

henribernard.wordpress.com

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Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire

Par Laurent Chemla

Plus que jamais, à l’heure où j’écris ces lignes, Internet est la cible des critiques du pouvoir. Il serait responsable de toutes les dérives, de toutes les ignominies, il nous ramènerait aux pires heures de notre histoire et serait le lieu de toutes les turpitudes. Bon. Depuis longtemps, je dis qu’il est normal - de la part de ceux qui disposaient de l’exclusivité de la parole publique - de s’inquiéter de l’avènement d’un outil qui permet à tout un chacun de s’exprimer. Pas de quoi s’étonner, dès lors, des attaques furieuses que subit le réseau.

Tant qu’il ne s’agit que de mots… Oh bien sûr, le législateur étant ce qu’il est, il tente souvent d’aller au delà des mots. Il fait aussi des lois. C’est son métier. Or donc - sans volonté d’exhaustivité - nous avons vu depuis 1995 un certain nombre de tentatives de « régulation », de « contrôle », voire même de « domestication ». Il y a eu la loi Fillon, la commission Beaussant, la LCEN, la DADVSI, la LSI, la LSQ, et plus récemment HADOPI et LOPPSI. Beaucoup d’acronymes et de travail législatif pour un résultat plus que mince : ce qui n’a pas été retoqué par le Conseil Constitutionnel s’est toujours avéré inapplicable.

La seule chose qui reste, c’est le principe d’irresponsabilité pénale des intermédiaires techniques (LCEN). Grand succès ! On pourrait imaginer que le pouvoir apprendrait quelque chose d’une telle suite d’échecs. On pourrait penser, par exemple, qu’il mesurerait le risque de vouloir créer des lois d’exceptions selon qu’on s’exprime sur Internet ou ailleurs. Que nenni : aujourd’hui encore, j’apprends qu’une député vient de se ridiculiser en proposant d’encadrer le journalisme « en ligne ». J’ai hâte. On en rigole d’avance. Mais qu’est qui rend Internet si imperméable à ces tentatives réitérées de contrôle ?

J’y vois (au moins) quatre raisons majeures : La première (dans tous les sens du terme) est historique. À la demande de l’armée américaine, qui souhaitait trouver une parade au risque d’une attaque nucléaire contre son réseau de télécommunication, Internet a été inventé à la fin des années 1960 (dans l’Amérique de Woodstock et de la lutte contre la guerre du Vietnam) par de jeunes universitaires qui rêvaient d’un monde dans lequel l’accès à un réseau mondial de communication serait un droit pour tous (pour que son impact social soit positif). [1]

À l’époque de Mac Luhan, les bases théoriques du futur réseau sont toutes influencées par l’utopie du « village global » et teintées d’idéologie libertaire. Le principe selon lequel la rédaction d’une RFC (texte définissant un des standards d’Internet) doit être ouverte à tous, scientifique ou non - et son contenu libre de droit - est adopté en avril 1969. Quoi d’étonnant dès lors si le résultat est un réseau presque entièrement décentralisé et non hiérarchique ? Après tout, c’est bien ce que l’armée américaine avait demandé à ses jeunes ingénieurs : un réseau centralisé est facile à détruire (il suffit d’attaquer le centre).

Tout ce qui est facile à contrôler est facile à détruire.
Internet est difficile à détruire.
Donc Internet est difficile à contrôler.

Il faudrait, pour qu’Internet soit plus aisément « domestiquable », que ses bases théoriques mêmes soient revues (à l’exemple du Minitel pour lequel l’émission de contenus était soumise à l’approbation préalable de France Telecom). Mais comment démanteler l’existant et interdire l’utilisation d’une technologie ayant fait ses preuves à tous ceux qui l’ont adoptée depuis des années ? Et surtout - c’est la seconde raison qui fait d’Internet un bastion dont la prise semble bien difficile - le réseau est international. On peut, même si c’est difficile à envisager, imaginer qu’un pays impose à ses citoyens l’usage d’une technologie « contrôlée » plutôt qu’une autre, trop permissive. Mais quel pouvoir pourrait faire de même à l’échelle du monde ?

Et comment, dès lors qu’il existerait ne serait-ce qu’un seul endroit dans le monde qui protège la liberté totale de communication (comme c’est le cas depuis peu de l’Islande), empêcher les citoyens et les entreprises du monde entier d’exporter dans ce lieu une communication désormais dématérialisée ? Pour y parvenir, il faudra non seulement pouvoir contrôler tel ou tel réseau imaginaire, mais aussi réussir à interdire toute communication internationale… Mission impossible. Et puis, comment imaginer la fin des « paradis numériques » dans un monde qui n’a jamais réussi à obtenir celle des paradis fiscaux ?

Internet est supranational.
Il existera toujours des paradis numériques.
Donc l’information ne pourra jamais être contrôlée.

D’autant plus - et c’est la troisième raison majeure qui rend dangereuse toute tentative de contrôle des réseaux - qu’Internet est devenu désormais une source de croissance non négligeable. Une croissance qui dépend d’une législation pérenne et qui surtout va faire l’objet d’une concurrence effrénée entre les pays. On n’imagine pas aujourd’hui une grande entreprise, telle que Google ou Facebook, avoir son siège social dans un pays dont la fiscalité n’est pas, disons, encourageante. Comment imaginer que demain une entreprise innovante, source d’emplois et d’impôts, se créera dans un pays dont la législation imposerait un contrôle trop strict de l’information diffusée ?

Tout contrôle nécessite une infrastructure plus chère, tant humaine que technique. Il va de soi qu’une entreprise capitaliste choisira plutôt, si elle a le choix, le pays d’accueil dont la législation numérique sera la plus laxiste, qui récupérera du coup les emplois et les impôts (et je ne dis pas que c’est bien : je dis juste que c’est dans ce monde là qu’on vit). Et même avant d’en arriver là : imaginons qu’un pays impose le filtrage à la source de tout contenu illégal (en passant outre la difficulté technique inhérente). Quel entrepreneur de ce pays osera se lancer dans un nouveau projet novateur, sachant qu’il sera immédiatement copié par un concurrent vivant, lui, dans un paradis numérique et qui ne sera pas soumis aux mêmes contraintes ?

Internet est solide, c’est vrai, mais l’innovation reste fragile, et est souvent l’œuvre de petites structures très réactives et pécuniairement défavorisées. Les lois votées à l’emporte-pièces sans tenir compte de cette fragilité-là sont autant de balles tirées dans le pied de la société toute entière.

La concurrence est mondialisée.
Une législation de contrôle coûte cher.
Donc les lois de contrôle d’Internet sont source de délocalisation.

Malgré tout il existe bel et bien des règles de vie supranationales et qui s’imposent à tout pays se voulant un tant soit peu démocratique. Mais si. Je vais citer ici l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Lisez-la bien : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Elle a été rédigée en 1948. Bien avant Internet, même si à la lire on a l’impression qu’elle a été écrite spécialement pour lui. Car en effet, il n’existait pas grand chose, avant Internet, pour « recevoir et répandre sans considération de frontière les informations et les idées ». Il faut croire que ses rédacteurs étaient visionnaires…

Comment s’étonner, à la lecture de cet article, du nombre de censures que notre Conseil Constitutionnel a opposé aux diverses velléités de contrôle que le pouvoir a tenté d’imposer depuis 15 ans ?

Le droit de recevoir et diffuser de l’information est inaliénable.
Internet est à ce jour l’unique moyen d’exercer ce droit.
Donc tout contrôle d’Internet risque d’être contraire aux droits de l’homme.

Sauf à s’exonérer des grands principes fondamentaux, et donc à vivre dans une société totalitaire, le contrôle ou le filtrage d’Internet se heurtera toujours à la liberté d’expression. Les états peuvent l’accepter, et à l’instar de l’Islande décider d’en profiter, ou refuser de le voir et, à l’instar de la France, se heurter sans cesse à un mur en essayant encore et encore de réguler ce qui ne peut l’être. Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé. Autant s’y faire.

framablog.org

[1] J.C.R Licklider et Robert Taylor, The Computer as a Communication Device in Science and Technology, April 1968

 
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