ELWATAN-ALHABIB
vendredi 26 octobre 2007
  Attentats de 1995: la piste des généraux algériens


Une journaliste, témoin au procès de Rachid Ramda, relance la thèse d'une manipulation des poseurs de bombes par Alger.

Le président Abdelaziz Bouteflika entouré d'officiers algériens, en 2005 (Zohra Bensemra/Reuters).

La thèse controversée est connue depuis de longues années: derrière les attentats de 1995 se cacheraient les généraux algériens. Notamment ceux des services secrets. Développée par des journalistes, puis par des déserteurs de l'armée, elle sera ce lundi matin au coeur des débats de la cour d'assises spéciale, à Paris, qui juge Rachid Ramda, le financier du réseau.

Les juges vont en effet entendre un témoignage inédit: Nicole Chevillard, journaliste spécialiste du Maghreb, affirme que plusieurs hauts responsables des services français connaissaient l'implication des militaires algériens, dès 1995! La preuve? Ils lui ont commandé une étude pour mener une opération de représailles contre les durs du régime...

Deux rendez-vous avec le patron de la DST

L'histoire commence le 9 octobre 1995, trois jours après un attentat à la station de métro Maison-Blanche, qui a fait 18 blessés. Depuis trois mois, la France essuie une campagne d'attentats comme elle n'en a pas connue depuis dix ans. Bombe à la station RER Saint-Michel, 8 morts, bombe au RER de la gare d'Orsay, 26 blessés, sans compter de nombreuses tentatives... Les services de renseignement sont sous tension.

Journaliste à la lettre confidentielle Nord-Sud Export, Nicole Chevillard est convoquée par le patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST), le préfet Philippe Parant, qui la reçoit avec Raymond Nart, numéro 2 de la DST en charge de la lutte anti-terroriste.

Les deux hommes s'intéressent à l'étude que cette spécialiste des risques-pays au Maghreb a réalisée fin 1994 et début 1995 sur les structures de l'armée algérienne. Qui fait quoi? Quels sont les réseaux structurants du coeur du pouvoir? Lors de ce premier rendez-vous qu'elle décrit comme une "prise de contact", les deux hommes évoquent les généraux algériens.

Puis lors d'un deuxième rendez-vous, le préfet Parant lui dit qu'il a été tout à fait éclairé par son analyse du pacte de San Egidio. Fin 1994, la communauté catholique de San Egidio a abrité à Rome des pourparlers entre les acteurs de la scène politique algérienne, pour aboutir à une plate-forme permettant de revenir à la démocratie. L'idée est de revenir au processus électoral interrompu par le coup d'Etat des généraux, en janvier 1992. Ces derniers subissent un coup dur lorsqu'un accord est finalement trouvé, début 1995.

L'initiative San Egidio est saluée par Bill Clinton, Jacques Chirac et Alain Juppé. Edouard Balladur et Charles Pasqua sont plus réservés. En mai 1995, Jacques Chirac gagne la présidentielle, Alain Juppé s'installe à Matignon.

Ce deuxième rendez-vous avec le directeur de la DST a lieu le 12 octobre 1995, au petit déjeuner, à l'hôtel de la Trémoille à Paris. Après avoir évoqué le pacte de San Edigio, Nicole Chevillard découvre que les services français aussi s'interrogent sur l'implication des généraux algériens dans les attentats. Voici le récit qu'elle fait de cette rencontre:



La journaliste accepte de réaliser cette étude, dont l'objectif est clairement d'identifier des leviers de pression sur les durs d'Alger, pour les forcer à accepter une normalisation du jeu politique. Avoirs à l'étranger, soins réguliers à Paris, visas accordés aux intéressés: tous les moyens sont méthodiquement recensés.

Après un repas arrosé, des généraux se vantent d'utiliser les terroristes

Nicole Chevillard se met au travail, lorsque se pose la question du paiement de cette étude. La DST propose à son patron de Nord-Sud Export de la laisser travailler gracieusement, "pour la France". Refus de l'intéressée. Finalement, un contact avec Rémy Pautrat, numéro 2 du Secrétariat général pour la Défense nationale, permet de trouver un arrangement. Le SGDN paie l'étude à la livraison.

C'est l'occasion pour la journaliste d'avoir une longue et étonnante discussion avec le préfet Pautrat en janvier 1996. Où il lui révèle qu'au cours d'une soirée arrosée, les principaux responsables des services algériens se "sont vantés d'avoir retourné Djamel Zitouni", l'émir des Groupes islamiques armés (GIA).



Or, Rémy Pautrat n'est pas n'importe quel préfet. Ancien patron de la DST (1985-1986), il a longuement fréquenté la communauté du renseignement sur les deux rives de la Méditerranée. De plus, son récit corrobore les déclarations de plusieurs anciens du renseignement algérien.

Un ancien sous-officier du DRS accuse aussi les généraux de manipulations

Au premier rang de ces témoins, l'adjudant-chef Abdelkader Tigha. Ce sous-officier du Département du renseignement et de la sécurité algérien (DRS) a fui son pays, écoeuré par les manipulations des hommes de l'ombre.

Dans une longue interview réalisée en octobre 2003 à Amman, en Jordanie, dans le cadre de la préparation d'un livre, Françalgérie, il a expliqué au journaliste Jean-Baptiste Rivoire pourquoi et comment les généraux ont manipulé les GIA.

Pour Abdelkader Tigha, il est évident que le DRS est derrière les attentats de 1995. Son objectif? Encourager la France a aider l'Algérie à lutter contre le GIA, et retourner les politiques français, trop bien disposés à l'égard du processus de San Edigio. (Voir la vidéo.)



Evidemment, cette thèse des services algériens commanditaires des attentats commis en France n'exclut pas la participation de groupuscules, croyant oeuvrer pour une cause radicale. Dans les premiers jours du procès de Rachid Ramda, Jean-François Clair, de la DST, détaillait les liens entre Ramda et les GIA. Sans écarter complètement l'hypothèse d'une manipulation. Cela rejoint les explications d'Abdelkader Tigha. (Voir la vidéo.)



A 38 ans, Rachid Ramda a peu de chance de recouvrer la liberté. Le financier présumé des réseaux terroristes algériens de 1995 a déjà passé plus de dix ans en prison. Il encourt aujourd'hui la réclusion criminelle à perpétuité.

Que dire des vrais commanditaires des bombes posées à Paris? Echapperont-ils encore longtemps à la justice internationale? Le général Smaïl Lamari, ancien chef de la Direction du contre-espionnage (DCE), a devancé les juges. Il est mort le 27 août, des suites d'une longue maladie.

 
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