ELWATAN-ALHABIB
jeudi 10 mai 2007
  Le cauchemar géopolitique des Etats-Unis


Une analyse pertinente des sérieuses défaites enregistrées sur plusieurs fronts, internes et externes, par l'administration Bush qui, aux abois, risque de provoquer une nouvelle guerre.



Copyright Asia Times
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Le cauchemar géopolitique des Etats-Unis

En attirant l'attention sur l'Irak et le rôle évident joué par le pétrole dans la politique américaine actuelle, l'administration de Georges Bush- Dick Cheney a juste fait ceci : il a attiré l'attention des puissance mondiales déficitaires en ressources énergétiques sur une bataille stratégique pour l'énergie et plus particulièrement le pétrole.

Ceci a déjà des conséquences sur l'économie mondiale en terme de coût du baril de pétrole actuellement à 75 dollars. Maintenant cela prend la dimension de ce qu'un ex secrétaire à la défense américaine a appelé un « cauchemar géopolitique » pour les Etats-Unis.

La création par Bush, Cheney, le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld et Cie d'un cauchemar géopolitique est aussi la toile de fond pour comprendre le changement politique dramatique au sein de l'administration américaine ces derniers mois, un éloignement de la présidence de Bush. En deux mots : Bush - Cheney et leur bande de néo conservateurs durs pro guerre, qui entretiennent une relation spéciale sur les capacités d'Israël, en Irak et dans tout le Moyen Orient, ont eu leur chance.

Cette chance c'était de remplir le but stratégique des Etats-Unis de contrôler mondialement les ressources pétrolières, pour assurer le rôle hégémonique des Etats-Unis, pour la prochaine décennie et plus. Non seulement ils ont raté cet objectif de cette domination stratégique, ils ont aussi fortement ébranlé la base même de l'hégémonie mondiale continue américaine, ou comme dans le jargon de Rumsfeld / Pentagon : « full spectrum dominance » de domination totale.

La décision du président bolivien Eva Morales, après avoir rencontré ses homologues vénézuelien et cubain, Hugo Chavez et Fidel Castro, de nationaliser les ressources en pétrole et en gaz de son pays, est la dernière démonstration du déclin de la projection du pouvoir des Etats-Unis.

La doctrine de Bush dans la balance

Alors que la réalité de la politique étrangère américaine est obscurcie par la rhétorique sans fin de « défense de la démocratie », et ainsi de suite, c'est utile de rappeler que la politique étrangère des Etats-Unis depuis l'effondrement de l'Union Soviétique était ouverte et explicite. C'était de prévenir à tout prix la concrétisation d'un rassemblement potentiel de nations qui pourraient défier la domination des Etats Unis. C'est la politique américaine telle qu'exposée par Bush dans son discours de juin 2002 à l'académie militaire américaine à West Point, New York.

Là, le président a décrit l'éloignement radical de la politique explicite des Etats-Unis dans deux domaines vitaux : une politique de guerre préventive, si les Etats-Unis étaient menacés par des terroristes ou des états voyous, engagés dans la fabrication d'ADM, deuxièmement, le droit à l'auto défense autorise les Etats-Unis a lancer des attaques par préemption contre des agresseurs potentiels, les détruisant avant qu'ils ne lancent des attaques contre les Etats-Unis.

La nouvelle doctrine américaine, la doctrine Bush, proclamait aussi, « le devoir des Etats-Unis c'est de poursuivre des actions militaires unilatérales quand il est impossible de trouver des solutions multilatérales. » Cette doctrine va plus loin et déclare que la politique américaine c'est que « les Etats-Unis ont eu, et ont l'intention de garder, une puissance militaire non égalée ». Les Etats-Unis mènerait toute action nécessaire pour continuer à être l'unique super puissance militaire mondiale. Ceci ressemble à la politique de l'empire britannique avant la première guerre mondiale, plus précisément que la flotte royale britannique doit être plus grande que les deux plus grandes flottes mises ensemble.

La politique américaine comprenait aussi des actions pour des changements de régime dans le monde sous le slogan d'« étendre la démocratie ». Comme Bush l'a dit à West Point : « l'Amérique n'a pas d'empire à étendre ou d'utopie à établir. Nous souhaitons pour les autres ce que nous souhaitons pour nous – mêmes – sécurité contre la violence, les récompenses de la liberté, et l'espoir d'une vie meilleure. »

Ces fragments d'une politique ont été rassemblés en une politique officielle en septembre 2002, dans un texte du Conseil de Sécurité National intitulé « Stratégie Nationale de Sécurité des Etats Unis ». Ce texte a été écrit pour aval par le président par la conseillère à la sécurité nationale de l'époque Condoleezza Rice.

Elle, de son côté, s'est servi d'un document préparé auparavant en 1992 sous la présidence de Bush père, par le néo conservateur Paul Wolfowitz. La doctrine de Bush et de Rice a été entièrement délimitée en 1992 dans un guide de planification de la défense intitulé « ébauche finale » réalisé par le secrétaire à la défense pour la politique Wolfowitz, et connu à Washington sous le nom de « doctrine de Wolfowitz. ». Wolfowitz déclare alors que, avec la disparition de la menace d'une attaque soviétique, les Etats-Unis étaient la seule super puissance qui devrait poursuivre son agenda mondial, inclus la guerre de préemption et des actions de politique étrangère unilatérales.

Une fuite interne de l'ébauche au New York Times a conduit à l'époque Bush père à dire que ce n'était « q'une ébauche et non la politique américaine ». en 2002 c'était devenu la politique américaine.

La doctrine Bush stipulait que des actions « militaires de préemption » étaient légitimes quand la menace « émergeait » ou était « suffisante », même s'il restait des incertitudes quant au moment, l'endroit, de l'attaque de l'ennemi. » Ceci laissait un trou suffisamment large pour qu'un tank Abrams puisse s'y engouffrer, selon des critiques. L'Afghanistan, par exemple, a été déclaré une cible légitime pour un bombardement militaire américain parce que le régime des talibans avait dit qu'il livrerait Osama Ben Laden seulement quand les Etats Unis auraient apporté la preuve qu'il était derrière les attaques du World Trade Center et du Pentagon le 11 septembre 2001. Bush n'a pas donné de preuve. Il a effectivement lancé une guerre de préemption. A l'époque, peu ont pris la peine de se pencher sur les subtilités des lois internationales.

La doctrine de Bush était et est une doctrine néo conservatrice de guerres préventives et de préemption. Cela s'est avéré être une catastrophe stratégique pour les Etats-Unis pour son rôle d'unique super puissance. Ceci est la toile de fond pour comprendre tous les évènements d'aujourd'hui comme ils se déploient dans et autour de Washington.

Le futur de cette doctrine de politique étrangère de Bush – et en fait la future capacité des Etats-Unis à s'accrocher à cette position d' unique super puissance ou unique quelque chose – c'est ce qui est actuellement mis en jeu en ce qui concerne le futur de la présidence de Bush. Il est utile de noter que Wolfowitz écrivait dans son ébauche de 1992 pour le secrétaire à la défense de l'époque, Dick Cheney.

L'administration Bush en crise

Le signe le plus fascinant d'un changement important au sein de l'administration politique américaine à l'égard de la doctrine de Bush et de ceux qui sont derrière celle-ci, c'est le débat qui se développe sur le texte de 83 pages d'abord publié sur le site officiel de l'université d'Harvard, critiquant le rôle dominant d'Israël dans la fabrique de la politique étrangère des Etats-Unis.

Cependant, ce qui est profondément significatif cette fois c'est que les principaux medias, inclus Richard Cohen dans le Washington Post, ont défendu les auteurs Stephen Walt et John Mearsheimer. Même une partie de la presse israélienne l'a fait. Le tabou de parler publiquement de l'agenda pro Israël des néo conservateurs a, apparemment, été brisé. Ceci suggère que la veille garde de l'administration de la politique étrangère, des gens comme Brzezinski et Brent Scowscroft et leurs alliés, accroissent leur pression pour reprendre en main la direction de la politique étrangère. Les néo cons ont prouvé être un échec colossal dans leur défense des intérêts stratégiques américains tels que les perçoivent les réalistes.

Cet article « Le lobby israélien et la politique étrangère américaine »* a été écrit par deux personnes forts respectées, des réalistes en matière de politique étrangère américaine qui conseillent le département d'état. Les auteurs sont ni des skinheads néonazis, ni antisémites. Mearsheimer est professeur de science politique et codirecteur du programme sur la politique de sécurité internationale à l'université de Chicago. Walt est un recteur d'académie et a une chaire d'enseignement à la Kennedy School of Government d'Harvard. Tous les deux sont membres de la Coalition pour une Politique Etrangère Réaliste. On les appelles les « réalistes », et cela inclus Henri Kissinger, Scowcroft, et Brzezinski.

Certaines de leurs conclusions à propos du lobby israèlien soulignent que :

« aucun lobby n'a réussi à autant détourner la politique de l'intérêt national américain tel qu'on peut l'envisager, tout en convaincant simultanément les américains que les intérêts des Etats-Unis et ceux d'Israël étaient essentiellement les mêmes. "

Ceux qui soutiennent Israël ont fait la promotion de la guerre contre l'Irak. Les hauts fonctionnaires de l'administration qui ont conduit la campagne étaient aussi à l'avant garde du lobby pro israélien, comme Wolfowitz ; le sous secrétaire à la politique de défense Douglas Feith ; Elliott Abrams, responsable à la Maison Blanche des affaires du Moyen Orient, David Wumser, responsable des affaires du Moyen Orient auprès de Dick Cheney vice président, Richard Perle, le plus néo con des néo cons, directeur du comité de politique de défense, un organisme de conseil regroupant des experts en stratégie.

Un effort similaire est actuellement mené pour bombarder les installations nucléaires iraniennes.

L'AIPAC (le Comité pour les Affaire Publiques Américaines et Israéliennes) se bat pour ne pas être enregistré comme groupe d'agents étrangers, parce que cela mettrait de sérieuses limites à ses activités auprès du Congrès, particulièrement dans le domaine des élections législatives. Les politiciens américains sont très sensibles aux campagnes de financement et autres formes de pression politique et les principaux médias continueront probablement de montrer de la sympathie pour Israël quoiqu'il fasse.

C'est utile de citer les buts officiels de la Coalition pour une Politique Etrangère Réaliste, dont Walt et Mearsheimer font partie, pour avoir une meilleure compréhension de leur position dans le combat que se joue actuellement entre les différentes factions de l'élite américaine. Le site internet de cette Coalition affirme :

"Sur fond d'un conflit de plus en plus meurtrier en Irak, la politique étrangère américaine se déplace dans une direction dangereuse, celle d'un empire. Des tendances impérialistes inquiétantes sont apparentes dans la stratégie de Sécurité Nationale Américaine de l'administration Bush. Ce document plaide pour le maintient de la domination militaire américaine du monde, et il le fait d'une façon qui encourage d'autres nations à former des coalitions et alliances pour faire contre poids. Nous pouvons nous attendre, et nous le voyons maintenant, à ce que de multiples contre pouvoirs se forment contre nous. Les peuples répugnent et résistent à la domination, aussi bénigne soit-elle."

Les auteurs Walt et Mearsheimer notent également, que Perle et Feith ont mis leur nom sur un document de politique en 1996 réalisé pour le gouvernement de l'époque de Benjamin Netanyahu en Israël et intitulé « Une rupture nette : une nouvelle stratégie pour renforcer la nation »*

Dans ce document, Perle et Feith conseillaient à Netanyahu que pour reconstruire le sionisme on doit abandonner toute idée d'échanger la terre pour la paix avec les palestiniens, et d'abroger les accords d'Oslo. Ensuite, Saddam Hussein doit être renversé, et la démocratie établie en Irak, ce qui se montrerait contagieux ensuite chez les autres voisins arabes d'Israël. C'était en 1996, 7 ans avant que Bush ne lance une guerre presque unilatérale pour un changement de régime en Irak.

Quand Tim Russert, de la TV NBC dans l'émission très populaire « Meet The Press » a posé des questions à Perle sur sa liste géopolitique de changements de régimes au bénéfice d'Israël, il a répondu :« qu'est ce qu'il y a de mal à cela. »

Pour que tout cela puisse réussir, Perle et Feith ont écrit : « Israël aura à obtenir un soutien américain étendu. » Pour s'assurer de ce soutien, ils ont conseillé au premier ministre israélien d'utiliser « un langage familier aux américains, en s'inspirant des thèmes utilisés par les administrations américaines précédentes pendant la guerre froide, et qui s'appliquent aussi à Israël ». Un chroniqueur du journal israélien Haaretz a accusé Perle et Feith de « marcher sur une ligne mince entre leur loyauté aux gouvernements américains et les intérêts israéliens. »

Aujourd'hui, Perle a été obligé de faire profil bas à Washington après avoir initialement été à la tête du directorat de la politique de la défense de Rumsfeld. Feith a été obligé de quitter le département d'état, pour le secteur privé. Ceci c'était il y a plus d'un an.

Des vagues de démissions chez Bush

Le directeur du personnel de la Maison Blanche, un homme loyal à la famille Bush depuis 25 ans, Andrew Card, est parti, et dans une annonce qui a apparemment choqué les durs chez les néo conservateurs, tel que William Kristol, vendredi, Porter Goss le dirigeant pro néo conservateur de la CIA a annoncé brusquement sa démission en une phrase.

Le départ de Goss a été précédé d'un scandale qui monte en puissance et qui implique le N°3 de la CIA, le directeur exécutif Kyle « Dusty » Foggo. En décembre dernier, l'inspecteur général de la CIA a ouvert une enquête sur le rôle de Foggo dans un contrat frauduleux CIA Pentagon. Foggo est aussi lié à un scandale sexuel entrain de faire surface qui implique le parti républicain à la Maison Blanche et qui ferait pâlir l'affaire de Monika Lewinsky qui a provoqué de nombreux problèmes pour Bill Clinton. Comme Goss a violé la priorité à l'ancienneté en nommant Foggo N°3 de la CIA, les medias font le lien entre la démission de Goss et les scandales imminents sexuels et de chantage qui vont éclaté autour de Foggo.

Le cas Foggo est lié à l'affaire concernant le membre républicain du Congrés tombé en disgrâce Randall « Duke ». Des procureurs fédéraux ont accusé, l'un des amis les plus proches de Foggo, comme co-conspirateur non écroué, l'homme d'affaires de San Diego Brent Wilkes, d'avoir participé à un plan pour faire chanter Cunningham, l'ex représentant au congres de San Diego.

Cunningham, lui, est lié au républicain condamné pour blanchiment d'argent Jack Abramoff. Foggo supervisait des contrats dont l'un d'entre eux au moins avait été passé avec la société accusée de payer des pots de vin au membre du Congres Cunningham. Le Wall Street Journal, rapporte que Foggo était un ami proche depuis le lyçée avec le sous traitant pour la Défense Brent R. Wilkes, et qu'une enquête criminelle est en cours se concentrant sur le fait de savoir « si Mr Foggo a utilisé sa position à la CIA pour malhonnêtement orienter des contrats vers les sociétés de Mr Wilkes. »

Wilkes a été impliqué dans les accusations contre Cunningham co-conspirateur non inculpé, qui aurait payé 630 000 dollars en pots de vin à Cunningham pour aider à obtenir des contrats de la défense fédérale et autres. Aucune plainte n'a été déposée contre Wilkes, bien que les procureurs fédéraux travaillent au montage d'un dossier contre lui et Foggo.

Le FBI et les procureurs fédéraux, enquêtent sur des preuves que Wilkes a offert des cadeaux à Foggo, et a payé pour différents services, notamment des orgies à Watergate ( maintenant Westin) tandis que Foggo était dans une position de l'aider à obtenir certains contrats de la CIA.

La démission de Goss fait suite aux demandes du public pour la démission immédiate de Rumsfeld à cause de la débâcle militaire en Irak, à la suite des critiques émises par un chœur grandissant d'anciens généraux de l'armée américaine.

Dernière péripétie dans ce processus de sape du régime de Bush, un incident à Atlanta jeudi dernier devant une audience supposée favorable à la politique étrangère et où Rumsfeld a pris la parole. Pendant le temps des questions, il s'est trouvé confronté à ses mensonges concernant les raisons s'entrer en guerre contre l'Irak.

Ray Mac Govern, un vétéran ayant passé 27 ans à la CIA et qui autrefois faisait les brèves synthèses en matière de renseignement le matin auprès de Bush père, a engagé un long débat avec Rumsfeld. Il a demandé pourquoi Rumsfeld avait insisté avant l'invasion de l'Irak qu'il y avait une évidence sûre liant Saddam et al Qaeda.

« Etait ce un mensonge, Mr Rumsfeld, ou était ce une production venant d'ailleurs ? Parce que tous mes collègues de la CIA avaient mis ceci en doute de même que la commission sur le 11 septembre. » Mc Govern a dit à Rumsfeld médusé « Pourquoi nous avez-vous menti pour nous entraîné dans cette guerre qui n'était pas nécessaire ? »

Ce qui suit est significatif des changements opérés dans les médias influents concernant leur approche actuelle de Rumsfeld, Cheney et Bush. Le Los Angeles Times rapporte:

« Au début de la discussion, Rumsfeld est resté imperturbable comme d'habitude : « je n'ai pas menti ; je n'ai pas menti à cette époque ; » avant de se lancer dans une défense vigoureuse des déclarations de l'administration avant la guerre sur les ADM.

Mais Rumsfeld s'est inhabituellement tu quand Mc Govern l'a pressé sur des affirmations faites qu'il savait ou se trouvait ces armes non conventionnelles.

« Vous avez dit que vous saviez où elles étaient », a dit Mc Govern.

« Je ne l'ai pas dit. J'ai dit que je savais où se trouvaient des sites suspects » a rétorqué Rumsfeld.

Mc Govern a alors lu des déclarations que le secrétaire à la défense avaient faites que les armes étaient situées près de Tikrit, Iraq et Bagdad… »

Rumsfeld est resté plongé dans un silence tombal. La totalité de cette discussion a été filmée et retransmise à la télévision.

Il est clair que les jours de Rumsfeld sont comptés. Karl Rove devrait être co-inculpé avec l'aide de Cheney, Lewis « Scooter », pour l'affaire des fuites concernant Valérie Plame. Rappelons que cette affaire portait sur des supposées preuves concernant de l'uranium acheté par Saddam Hussein, et qui ont servi à persuader le Congrès à renoncer à une déclaration de guerre et à donner carte blanche à Bush.

Tous ses fils sont entrain d'être prudemment rassemblés par une faction réaliste ré -émergeante, en une tapisserie qui peut conduire à une mise en accusation en temps voulu, peut être aussi du vice président, le vrai pouvoir derrière la présidence.


Une politique étrangère désastreuse avec la Chine

Dans ce contexte, l'insulte diplomatique de Bush au président chinois Hu Jintao venu en visite, est désastreuse pour les Etats-Unis sur la scène internationale. Bush a agi selon un script écrit par des néo conservateurs anti Chine, délibérément rédigé pour insulter et humilier Hu à la Maison Blanche.

D'abord, il y a eu l'incident au cours duquel un journaliste de Taiwan, un membre du Falungong, présent dans une salle de conférence de la Maison Blanche dont les entrées sont passées au peigne fin, a déclamé une tirade contre les violations par la Chine des droits de l'homme, et ce, pendant plus de trois minutes, sans qu'on n'essaie de le faire sortir, à une conférence de presse filmée.

Puis, l'hymne national chinois a été joué pour Hu, présenté comme l'hymne national de la République de Chine – Taiwan. Ce n'était pas un lapsus de la part des responsables du protocole à la Maison blanche, mais un effort délibéré pour humilier le dirigeant chinois.

Le problème, c'est que l'économie américaine est devenue dépendante des importations chinoises, également du fait que les chinois détiennent des bons du trésor américains. La Chine est actuellement celui qui détient le plus de ces réserves américaines soit environ 825 billions de dollars. Si Beijing décide de sortir du marché des bons américains, même seulement en partie, cela provoquerait une chute du dollar et l'effondrement du marché immobilier de 7 trillions de dollars, une vague de banqueroutes, et un chômage massif. C'est une option réelle, même si elle est peu probable actuellement.

Hu, n'a cependant pas perdu son temps à déplorer les affronts faits par Bush. Il est allé immédiatement en Arabie Saoudite, pour une visite d'état de 3 jours, pour signer des accords commerciaux, de défense, et de sécurité. Ceci n'est pas une petite claque à la figure de Washington lancée par la famille royale saoudienne traditionnellement « loyale » aux USA.

Hu a signé un accord pour que la SABIC (Saudi Basic Industries Corp) un puissant congloméra industriel saoudien, construise une raffinerie de pétrole et réalise un projet de pétro chimie d'une valeur de 5,2 billions. Au début de cette année, le roi d'Arabie Saoudite, Abdullah, a fait une visite d'état à Beijing.

Depuis l'accord passé entre la maison des Saud et l'administration américaine sous F. Roosevelt offrant une concession exclusive à Aramco, entreprise américaine, et non aux anglais, pour développer le pétrole saoudien en 1943, l'Arabie Saoudite était considérée par Washington comme sphère d'intérêt stratégique commun.

Puis Hu est allé au Maroc, au Niger, et au Kenya, tous vus comme des « sphères d'intérêts américains ». Il y a seulement 2 mois, Rumsfeld était au Maroc pour offrir des armes. Hu offre de financer l'exploration de sources d'énergie dans ces pays.


Le SCO et les évènements avec l'Iran

Les derniers développements concernant l'Organisation de Coopération de Shanghai (Shanghai Coopération Développement, SCO) et l'Iran, montre une fois de plus les changements dramatiques concernant la position géopolitique des Etats-Unis.

Le SCO a été crée à Shanghai en juin 2001, par la Russie et la Chine, avec 4 autres républiques d'Asie Centrale de l'ancien Union soviétique : le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l'Uzbekistan. Avant le 11 septembre 2001, et la déclaration par les USA de « l'Axe du Mal » en janvier 2002, le SCO était juste un groupe de discussion sur la toile de fond géopolitique pour Washington.

Aujourd'hui, le SCO, dont évitent de parler les medias influents américain, est entrain de définir une nouvelle politique de contrepoids à l'hégémonie américaine et son monde « unipolaire ». Au prochain rendez vous du SCO, le 15 juin, l'Iran sera invité à devenir un membre à part entière.

Et le mois dernier à Téhéran, l'ambassadeur chinois Lio G Tan a annoncé qu'un accord pétrolier et sur le gaz était en voie d'être signé entre la Chine et l'Iran.

Cet accord porte sur 100 billions de dollars, et comprend le développement du vaste champ pétrolifère de Yadavaran. La compagnie chinoise Sinopec serait d'accord pour acheter 250 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié pendant 25 ans. Pas étonnant que la Chine ne se précipite pas pour soutenir Washington contre l'Iran au Conseil de Sécurité de l'ONU. Les Etats-Unis ont essayé de mettre une forte pression sur Bejing pour arrêter l'accord, pour des raisons géopolitiques évidentes, mais sans succès. Une autre défaite majeure pour Washington.

L'Iran avance aussi d'autres plans pour délivrer du gaz naturel via un pipeline au Pakistan et à l'Inde. Les ministres de l'énergie des trois pays se sont rencontré à Doha récemment et on prévu de se revoir ce mois ci au Pakistan.

Les progrès concernant le pipeline est un mauvais coup contre les efforts de Washington d'écarter les investisseurs de l'Iran. Ironiquement, l'opposition américaine poussent ces pays dans les bras les uns des autres, « un cauchemar géopolitique pour Washington ».

A la réunion du SCO le mois prochain, l'Inde, que Bush essaie personnellement de booster comme un « contre poids « à la Chine sur la scène géopolitique asiatique, sera aussi invitée à se joindre à l'organisation, de même que la Mongolie et le Pakistan. Le SCO est entrain de gagner de manière conséquente en poids géopolitique.

Le député ministre des affaires étrangères iranien Manouchehr Mohammadi a dit à Itar –Tass (agence de presse russe ndt) à Moscou le mois dernier que la position de membre du SCO de l'Iran pourrait « faire que le monde soit plus juste ». Il a aussi parlé de la construction d'un arc pétrole gaz Iran Russie, dans lequel les deux grands producteurs d'énergie pourraient coordonner leurs activités.

Les Etats-Unis sont laissés en zone froide en Asie

L'admission de l'Iran au sein du SCO ouvre beaucoup d'options pour l'Iran et la région. Du fait d'être membre du SCO, l'Iran pourra participer aux projets de celui-ci, ce qui veut dire en retour avoir accès à une technologie très recherchée, aux investissements, au développement du commerce et des infrastructures. Ceci aura des implications majeures pour la sécurité énergétique mondiale.

Le SCO a mis sur pied une commission de travail comprenant des experts avant la réunion au sommet de juin pour développer une stratégie commune du SCO en Asie, discuter des projets de pipelines, d'exploration pétrolière et d'activités liées. L'Iran se trouve sur la deuxième plus importante réserve de gaz du monde, et la Russie a la plus grande. La Russie est le deuxième plus important producteur de pétrole après l'Arabie Saoudite. Tout ceci, ce ne sont pas de petits mouvements.

L'Inde a désespérément besoin d'un accord avec l'Iran pour son approvisionnement en énergie, mais est aussi sous pression de Washington de ne pas le faire.

L'année dernière, l'administration Bush a essayé d'obtenir le « statut d'observateur » au SCO mais sa demande a été repoussée. Ceci, avec les demandes du SCO que Washington réduisent sa présence militaire en Asie Centrale, la coopération plus profonde entre la Russie et la Chine, et les déboires de la diplomatie américaine en Asie Centrale – ont accéléré une réévaluation de la politique de Washington.

Apres son tour en Asie centrale en octobre 2005, Rice a annoncé une réorganisation du bureau de l'Asie du sud du département d'état, pour inclure les états d'Asie centrale, et un nouveau plan américain d' « Asie centrale élargie ».

Washington essaie d'éloigner les états d'Asie centrale de la Russie et de la Chine. Le gouvernement du président Hamid Karzai à Kabul n'a pas répondu aux ouvertures faites par le SCO. Etant donné ses liens avec Washington, il a peu de choix.

Gennady Yefstafiyev, un ancien général des services secrets russes a dit : « les objectifs à long terme américains en Iran sont évidents : de provoquer la chute du régime actuel, d'établir son contrôle sur le pétrole et le gaz, et d'utiliser le territoire iranien comme la route la plus courte pour le transport des hydrocarbures sous contrôle américain des régions d'Asie centrale et de la mer caspienne, en contournant la Russie et la Chine. Ceci sans oublier la signification stratégique et militaire de l'Iran.

Washington a basé sa stratégie sur le fait que le Kazakhstan soit son partenaire clé en Asie centrale. Les Etats-Unis veulent étendre leur contrôle physique sur les réserves en pétrole de ce pays, et concrétiser le transport du pétrole Kazakh via le pipeline Baku-Ceyhan, de même que se créer un rôle dominant dans la sécurité de la mer Caspienne. . Mais le Kazakhstan ne joue pas le jeu. Le président Nursultan Nazarbayev s'est rendu à Moscou le 3 avril pour réaffirmer sa dépendance continue aux pipelines russes. De même, la Chine passe des accords importants en matière d'énergie et de pipeline avec le Kazakhstan.

Pour rendre pire les problèmes géopolitiques de Washington, bien que s'étant assuré d'un accord militaire d'utilisation d'une base en Uzbekistan après septembre 2001, les relations de Washington avec l'Uzbekistan sont désastreuses. Les efforts de Washington pour isoler le président Islam Karimov, en utilisant les mêmes tactiques de la « révolution orange » ukrainienne, ne fonctionnent pas. Le premier ministre indou Manmohan Singh s'est rendu à Tashkent le mois dernier.

De même, le Tajikistan dépend étroitement du soutien de la Russie. Au Kirghizstan, malgré des tentatives clandestines de créer des dissensions au sein du régime, l'alliance du président Kurmanbek avec le premier ministre Félix Kulov qui a le soutien de Moscou, tient.

En l'espace de 12 mois, la Russie et la Chine ont réussi à bouger leurs pièces sur l'échiquier géopolitique d'Eurasie de telle sorte que ce qui était au départ un avantage géostratégique en faveur de Washington devienne l'opposé, avec des Etats-Unis de plus en plus isolés.

C'est potentiellement la plus grande défaite stratégique de projection de la puissance des Etats-Unis de la période post seconde guerre mondiale. C'est aussi la toile de fond de la ré-émergence de cette soi disante faction réaliste dans la politique US.

F. William Engdahl

Article paru le 9 mai 2006 sous le titre « The US's géopolitical nightmare « sur la site Asia times on line www.atimes.com. Copyright Asia Times traduction bénévole pour information à caractère non commercial par MD pour Planète Non Violence.

F.William Engdahl est auteur de « A Century of War: Anglo-American Oil Politics and the New World Order, Pluto Press Ltd.
Pour le contacter : www.engdahl.oilgeopolitics.net.




 
Commentaires:
La « pax americana » ou la « Realpolitik impérialiste »
L’expression des relations internationales sous-entend que l’Etat-nation est nécessairement le fondement de leur organisation. Or, il s’agit d’une idée qui n a vu le jour en Europe qu’à la fin du XVIIIe siècle et qui s’est essentiellement répandue à travers le reste du monde par l’intermédiaire du colonialisme européen . Ce système international a connu quatre ruptures majeures ; 1664, avec le traité Westphalie ; 1815, le traité de vienne ; 1918 et l’ordre de Versailles ; 1945, l’ordre de Yalta et l’avènement d’un ordre bipolaire. Il y a quinze ans, l’effondrement de l’URSS avait entraîné un mélange d’espoir, d’incertitude et de déception, laissa la place à un système fondamentalement bouleversé, sans pour autant permettre la naissance d’un « nouvel ordre international ». Ce nouvel ordre oscille entre un monde unipolaire dominé par l’hyper-puissance américaine, un monde multipolaire en gestation, un monde uni-multipolaire ou anarchique et profondément déstabilisé. Autrement, une nouvelle phase de transition5 entre un ordre qui est mort et un ordre nouveau qui se cherche et plus que jamais dépourvu d’une « grammaire politique ».

Toute rupture oblige une nouvelle lecture et une nouvelle interprétation. Il y a environ 300 ans, l’auteur mercantiliste allemand Von Hornigh a observé ceci : « Une nation est-elle puissante et riche ? De nos jours la réponse ne dépend pas de la quantité de la puissance et de richesse de cette nation ou de la sécurité de celle-ci, mais bien de la question : ses voisins en possèdent-ils plus ou moins qu’elle ?». A cet égard, dans la derrière décennie du XXe siècle, un glissement tectonique s’est produit dans les affaires du monde : pour la première fois, une puissance s’est érigée en puissance globale. Un jour devant la chambre des Lords, Disraëli décrit ainsi l'empire britannique ; «Dans l’histoire ancienne comme de nos jours rien ne peut être comparé à l’empire britannique. Ni César, ni Charlemagne n’ont présidé aux destinées d’une telle puissance. Ses provinces s’étendent à toutes les latitudes et son pavillon flotte sur toutes les mers ». Pour autant, la puissance britannique n’a pas été globale, puisqu’elle n’a jamais pu imposer une réelle domination sur le continent européen. La suprématie des États-Unis aujourd’hui est d’un genre nouveau. Elle se distingue entre toutes par son envergure planétaire et les modalités qu’elle revêt. Une puissance dont le poids et la capacité d’intervention est sans précédent.

Vieux principes, nouvelles méthodes
Dans un monde qui semble de plus en plus petit et dont toutes les parties paraissent liées les unes aux autres, les engagements successifs américains ont tous leur logique. Aujourd’hui, l’Amérique voulait, pour reprendre l’expression de H. Kissinger, « un ordre où […] on imaginait le monde à l’image des cieux. Un seul Dieu régnait au ciel, un seul empereur devait donc gouverner le monde séculier, et un seul pape d’Eglise universelle ». Si, selon A. Joxe, « l’Europe comme identité organisant une paix interne est une expression politique récente, l’Amérique comme empire également ». De ce fait, semble-t-il légitime de s’interroger, selon l’expression d’Arnold Toynbee : « L’histoire est-elle à nouveau en mouvement ? ». Déjà au cours même de la guerre froide, dans un message d’avertissement à l’URSS, Dean Rusk disait en mai 1965 « Cette planète est devenue toute petite. Nous devons nous préoccuper de toutes ses parties, terres, mers, air et de l’espace qui nous entoure ». La fin de la bipolarisation, en laissant la place mondialisation capitaliste, « le langage unique », devrait se traduire sur le plan militaire par une puissance de feu capable de ramener à l’âge de pierre à coups de bombes n’importe quel Etat qui gênerait la suprématie états-unienne.

Au plan international, Etats-Unis tentent d’imposer au monde une domination sans partage qui conjugue vassalisation des autres Etats occidentaux et asservissement des pays les plus faibles. Selon les États-Unis, « un Etat n’est allié que s’il est soumis ». Et comme les États-Unis, selon J. Nye, auraient du mal à maitriser parfaitement le « soft power » que le « hard power » qui est « la capacité à obtenir ce que l’on désire en attirant l’autre au lieu de le menacer ou le soudoyer ». Alors mieux vaut être craint qu’aimé. Ce qui motive les dirigeants états-uniens appartiennent au registre des objectifs économiques et géostratégiques. Leur hégémonie combinait les dimensions économique, politique, militaire et idéologique, chacune d’entre elles pouvant jouer, à un moment précis, un rôle plus important que les autres pour maintenir leur hégémonie globale. Dans la période actuelle, à l’unilatéralisme des décisions et à l’affirmation brutale de la supériorité militaire s’ajoute l’utilisation d’un discours pseudo-messianique. Ainsi Bush déclara, le 20 septembre 2001 : « C’est ce pays qui définira notre temps, et pas le contraire ».

Wilson, rejetant l’idée de l’intérêt national, déclarait ; « Cette époque […] réclame un nouvel ordre des choses dans lequel les seules questions seront : Est-ce bien ? Est-ce juste ? Est-ce dans l’intérêt de l’humanité ? ». Si cela fait désormais partie du patrimoine historique des Etats-Unis, « le Pearl Harbor terroriste du 11 septembre », selon la formule de P. RICHARDT, n’est pour rien, comme l’explique Olivier Roy : « La nouvelle doctrine américaine est un patchwork de décisions déjà prises avant le 11 septembre. L’impact de la réaction américaine au 11 septembre fut plus limités que le discours ne l’a laissé entendre. Toutes les grandes évolutions stratégiques qui sont aujourd’hui présentées comme des conséquences du 11 septembre, à l’exception de la compagne d’Afghanistan, étaient déjà à l’œuvre avant cette date. »

Nonobstant les formulations déférentes et quelques nuances dans l’application des orientations, les deux grands partis (démocrates et républicains) inscrivent leurs programmes dans un fond idéologique commun. Telle est la culture politique dans laquelle travaillent les hommes politiques américains. Lyndon Johnson expliquait ainsi l’objectif des États-Unis en intervenant au Vietnam : « Nous ne convoitons rien dans cette région, nous n’y recherchons rien – aucun territoire, aucune position militaire, aucune ambition politique». La proclamation de G. Bush, en juin 2002, emprunte des termes similaires : « L’Amérique n’a pas d’empire à étendre ou d’utopie à établir ». Mais encore faut-il identifier dans la rhétorique à l’œuvre les thèmes récurrents d’une Amérique et une complexité dont les racines plongent dans l’histoire et les fondements des Etats-Unis : « l’anti-impérialisme à l’égard des européens, qui se manifestera aussi par l’anticolonialisme, s’accompagne pourtant chez les américains d’un expansionnisme continu », en se référant à Brezinski.

Bien que les parallèles historiques ne soient pas toujours parfaits, la référence aux empires du passé ne manque évidemment pas de pertinence, à condition de tenir compte de deux déférences majeures qu’il faut penser ensemble : d’une part, aucun empire du passé, si puissant fut-il, n’a exercé sa domination au plan mondial comme les Etats-Unis ; d’autre part, la problématique de l’annexion a perdu de sa pertinence, la puissance impériale des États-Unis procède de sa capacité à maitriser un système économique mondial qui s’accommode parfaitement du maintien, certes plus formel que réel, les souverainetés politiques. Selon Michael Parentin, « historiquement, le capitalisme américain était bien moins intéressé par l’acquisition de nouvelles colonies que par de nouvelles richesses, préférant soustraire les trésors des autres pays sans se soucier de posséder ou d’administrer ces pays eux-mêmes. Sous le néo-impérialisme, la bannière étoilée reste dans les armoires tandis que le dollar se balade partout, souvent accompagné d’épée ». L’épée accompagne le dollar. Parfois le dollar qui accompagne l’épée, quand la puissance militaire crée des opportunités de nouveaux investissements.

Empire vient du mot latin imperium qui désigne l’autorité, la domination absolue. La force est au cœur du phénomène. En quelque sorte, il figure la version dure de l’hégémonie. Comme le rappelait J-B Duroselle : « Aussi loin que nous remontions, nous trouvons des empires. Le temps, les lieux leur imposent des structures propres. Mais le phénomène est identique. La conquête insatiable, la soumission de peuples à la domination d’autres peuples, la force, l’élargissement, l’imperium ». Barnet note que « les coûts pour maintenir un privilège impérial excédent toujours les gains ». Il en a déduit que des empires ne valent tout simplement pas de tels dépenses et efforts. Bien avant Barnet, la Round Table des responsables politiques impérialistes britanniques voulaient nous faire croire que l’empire n’était pas maintenu par l’intérêt : « D’un point de vue strictement matérialiste, l’empire est un fardeau plus qu’une source de profits ».

Z. Brezinski décrit cette nouvelle situation ainsi : «Rampant avec le modèle usuel des empires du passé, structure selon une hiérarchie pyramidale, ce système vaste et complexe s’appuie sur un maillage planétaire au centre duquel se tient l’Amérique. Son pouvoir s’exerce par le dialogue, la négociation permanente et la recherche de consensus formel, même si, en dernière analyse, la décision émane d’une source unique : Washington, DC. Telle est la règle ». L’ONU et les autres institutions internationales sont de fait de nouvelles pièces dans le mécanisme d’exploitation des Etats satellites. Les autres puissances restent absentes, ou font figure de « brillants seconds ». L’Europe continue son déclin amorcé en 1918 et «fait difficilement l’apprentissage de la coopération », d’après P. Camus, PDG du groupe EADS. C’est pour cela que Kagan ironisait « l’Europe n’a pas tenu sa promesse ».

La pax Democratia et la fin de l’innocence
La paix, comme toujours et plus que jamais, reste illusoire. La nouveauté est que l’idée de la paix dépend surtout du progrès d’institutions démocratiques reste, encore aujourd’hui, un des encrages de la pensée américaine. Alexandre Hamilton, quant à lui, contestait l’idée selon laquelle les Républiques constituaient, par essence, une forme de gouvernement plus pacifique que les autres : « Sparte, Athènes, Rome et Carthage étaient des républiques. Deux d’entres elles, étaient commerçantes. On les vit aussi souvent engagées dans des guerres offensives et défensives que les monarchies voisines […]. Dans le gouvernement de la Grande-Bretagne, les représentants du peuple forment une branche de la législature nationale. Le commerce depuis des siècles, le but principal de ce pays. Peu de nation, cependant, ont plus souvent fait la guerre». Au antipode, pour Clinton : «Les démocraties ne font pas la guerre ». Cela reste une illusion pour deux raisons (1) la démocratie est une idée, un principe. Ce qui existe, ce sont des phénomènes, des processus, des cycles démocratiques ; naissances, développement, approfondissement, consolidations mais aussi régressions et faillite (2) Toute démocratie reste enracinée dans un Etat et n’est pas légitime que si elle assume les intérêts de cet Etat.

Un rapport sur l’utilité de la guerre intitulé La paix indésirable établi par un groupe d’experts américains en 1962, affirmant que tout le système interétatique et étatique est fondé sur la guerre et « c’est le système qui a, dans l’histoire, gouverné la plus grande partie des sociétés humaines, comme il le fait encore aujourd’hui ». Pis encore, « les systèmes économiques, les philosophies politiques et le corps des lois sont au service de la guerre et la prolongent, non l’inverse ». Le même rapport soulignait que « la priorité accordée, à l’intérieur d’une société, au pouvoir virtuel de faire la guerre, sur les autres éléments qui la caractérisent, n’est pas le résultat d’une quelconque menace présumée exister à un moment quelconque et venant des autres sociétés. Ceci serait le contraire de la situation véritable : les menaces contre l’intérêt national sont généralement crées ou précipitées en vue de faciliter les besoins nouveaux du système fondé sur la guerre ». A en croire aux conclusions de ce rapport, le monde comme démocratie ou comme dictature, «la paix est une situation normale qui met fin aux revendications et définit un cadre juridique permanent et la recherche de sécurité absolue est utopique », parlant avec Kissinger.
J-J Roche a employé la formule « empire sans rival » à propos des démocraties, imaginant que celles-ci puissent exercer une hégémonie collective, une Pax Democratia, qui selon lui « n’annonce …ni un monde sans guerre, ni l’avènement du règne de loi (mais)…tout au plus…la promesse d’un ordre à peine moins imparfait que celui qu’il remplace et l’espoir d’un avenir un peu plus pacifique, un peu plus juste et donc, un peu plus stable ». Dans les empires de longue durée, le moindre problème devient une question intérieure, car le monde extérieure n’offre plus de contrepoids. C’est ainsi que, selon Kissinger, « le Congrès ne se contente pas de légiférer sur la tactique à suivre en matière de relations internationales, il cherche à imposer un code de bonne conduite à d’autres Etats par une pléthore de sanctions » et que « leur effet cumulé confère à la politique étrangère américaine un caractère d’unilatéralité et, à cette occasion de tyrannie. L’action législative tend à se résumer à une formule de ce genre « c’est à prendre ou à laisser », équivalent opérationnel de l’ultimatum ».

En 1821, John Quincy, alors secrétaire d’Etat, soutenait ; « Partout où le drapeau de la liberté et de l’indépendance a été ou sera employé, se trouveront le cœur de l’Amérique […] Mais […] elle ne prend les armes que pour la défense des siennes. Elle sait fort bien qu’en s’engageant une seule fois sous d’autres bennières que les siennes […] elle s’engageait irrémédiablement dans toutes les guerres d’intérêt et d’intrigue, de cupidité, d’envie d’ambition individuelles qui se parent des couleurs de la liberté et usurpent ses drapeaux […] Elle pourrait devenir le dictateur du monde. Elle ne serait plus maitresse de son propre esprit ». Bien avant lui, c’était James Madison écrivant à Thomas Jefferson en 1798 : « C’est peut-être une vérité universelle que la perte de la liberté soit le prix à payer chez soi pour se prémunir contre un danger, réel ou fictif, venant de l’étranger ».
Dans son ouvrage Athènes, une démocratie, Robert Cohen consacra un chapitre à l’impérialisme démocratique, et concluait que la crise qui « éclata soudain en 440 n'empêche qu’elle allait ruiner l'empire et Athènes avec lui. Est-ce parce que les dépenses qu'elle avait provoquées épuisèrent le trésor gardé par la déesse Athéna? Non : les pertes d'argent furent vite réparées. Est-ce parce que tant d'hommes périrent dans cette aventure qu'Athènes en fut affaiblie pour de longues années? Non : l'armée et la flotte d'Athènes sont intactes. C'est parce qu'elle éclate aux yeux des moins prévenus cette contradiction, sur laquelle repose l'existence de l'Etat athénien depuis un quart de siècle, entre le libéralisme de ses principes à l'intérieur et despotisme de sa conduite à l'extérieur. […] ils ne voyaient qu'une chose : les uns ont déjà perdu leur autonomie; d'autres craignaient de la perdre. Tous avaient l'impression de faire les frais d'une expérience qui leur semblait comporter pour eux plus de risques que de profits. Ils désirèrent sa fin et s'unirent dès qu'ils crurent pouvoir la hâter en conjuguant leurs efforts ».

Le stalinisme, stade suprême de la superpuissance hors-la-loi.
Pour les conseillers de la Maison-Blanche, l’enjeu derrière l’expansion de l’archipel militaire planétaire ne se résume pas au contrôle des ressources énergétiques et des matières premières. Il s’agit de renforcer un « périmètre de sécurité » : un échelon supérieur du système de défense et de l’économie nationale, verrouillant les expansions potentielles des rivaux. Le concept de « nouvelles frontières », est désormais affirmé, les bases militaires d’outre-mer se trouvent assimilées aux unités de cavalerie, ces forces mobiles d’autrefois aux avant-postes de la défense et de l’expansion territoriale. Il ne s’agit plus de gains territoriaux, aux sens classique, d’annexions, mais de contrôle d’espace, d’extension, à terme universelle, de la zone d’influence, d’imposition du libre marché, d’endiguement et de sape des concurrents potentiels, au sein du même modèle, et de tout système autre.

Dans le proche avenir, les États-Unis continuent à jouer le rôle du Shérif qui reflète leur culture. Ou encore « le gendarme du monde », ce qui parait une insulte à aux gendarmes, dont le rôle est de respecter la loi, non de la transgresser contrairement à l’oncle Sam, pour qui le reste du monde doit dire « oncle » comme le président Reagan l’avait exigé du Nicaragua révolutionnaire. Les États-Unis sont prisonniers d’un dilemme diplomatique et stratégique à l’échelle mondial pour lequel il n’existe pas de solution satisfaisante. Un dilemme que Georges Bernard shaw évoquait en ces termes : « Il y a deux tragédies dans la vie. L’une est de perdre le désir. L’autre est de l’acquérir. » Bref, les motivations sont complexes : toujours encore plus. La phrase de Robert Browning est explicative en ce sujet : « L’homme doit vouloir plus qu’il ne peut tenir. Sinon, à quoi bon avoir conçu le paradis ? ». Mais le reste du monde n’est pas une masse morte et selon R. Aron : « Par définition, les Etats souverains tiennent comme ennemi le prétendant à l’hégémonie, c’est-à-dire celui qui pourrait les priver de leur autonomie, de leur capacité de prendre librement leurs décisions ».

Les crainte de Bismarck ne sont pas sans fondement, puisqu’il « craignait l’accroissement excessif des forces du Reich. Que la force de son pays fut au service de la justice et de l’ordre européen, c’était là, aux yeux du chancelier de fer, la condition nécessaire de la sécurité allemande, le moyen d’éviter la coalition de rivaux, que les victoires de la Prusse ne devaient ni humilier ni inquiéter ». Sur la même ligne de longueur, Machiavel soutenait qu’un conquéreur ne garde ses conquêtes qu’en se conduisant « de manière à enrichir à la fois son pays et le pays qu’il a conquis au lieu de les appauvrir ». Excès de puissance ou déclin, sans rester fidele au bon sens et à la politique du possible et tout en perpétuant une vision de la guerre froide, l’Amérique aujourd’hui, selon Z. Laїdi, veut « dominer le monde, sans se sentir d’obligation vis-à-vis de celui-ci. Elle veut un monde à son image sans avoir à être à l’image du monde. Elle veut américaniser le monde sans mondialiser l’Amérique ». La guerre préventive n’est qu’une partie du puzzle avec conséquences : un déplacement de la préoccupation du jus in bello (droit de la guerre) vers celle du jus in bellum (droit à la guerre).

« Plus les canons sont nombreux, plus ils ont tendance à tirer vite, tout seuls», cette expression de Bismarck est révélatrice des propos du Président Bush du 15 septembre 2001, comme quoi la guerre anti-terroriste sera « sans champ de bataille ni plage de débarquement ». Mais le but grand-stratégique est-il sans doute de créer un foyer durable d’insécurité contrôlée. Dans ce cas, c’est le monde qui devient à la fois champ de bataille et plage de débarquement. Le Commandant Ralph Peters ne peut être plus clair sur ce spectre du monde extérieur qui hante la nouvelle Amérique : « Nous entrons dans un nouveau siècle américain, au cours duquel nous deviendrons plus riches […] plus puissants. Nous exciteront des haines sans précédent. Il n’y aura pas de paix. […] Le rôle de facto des forces américaines sera de maintenir le monde comme lieu sûr pour notre économie et un espace ouvert à notre dynamisme culturel. Pour parvenir […] nous ferons un bon paquet de massacres […] Nous sommes en train de construire un bon système militaire […] pour ces massacres ». Avec le même cynisme, général Zinni énonçait, à la fin de l’intervention en Somalie de 1993 : « Je ne compte pas les corps, ça ne m’intéresse pas ».
Depuis que la Maison-Blanche est occupée par des gens qui pensent avec leurs fusils, la planète est devenue moins sûre. Le monde s’adaptera également. Si Proudhon voyait dans la guerre« une juridiction incorruptible, sans magistrats, sans témoins, sans jury, sans auditoire, dont les arrêts sont sans appel », Saint-Augustin, quant à lui, soutenait que « la paix est normalement le but de la guerre. Au contraire, la guerre n’est pas le but de la paix ». Autrement, la seule guerre qui mérite d’être soutenue est celle que Benjamin Franklin appelait « la meilleure guerre » : celle qui n’est jamais menée. La sagesse de Sun Tsé reste une référence en la matière : «N’oubliez jamais que votre dessein, en faisant la guerre, doit être de produire la paix de l’Etat et non d’y apporter la désolation. Si tu uses du sabre pour régler un problème politique, sache au moins que tu t’engages dans une guerre longue et jamais gagnée». L’histoire de l’Union soviétique a prouvé qu’il est impossible de miser durablement et exclusivement sur la puissance militaire. Pour faire simple, la célèbre remarque de Bismarck fait toujours cas d’école : « Toutes les puissances voyagent sur le fleuve du temps ; elles ne peuvent ni le créer ni le diriger, mais elles peuvent naviguer dessus avec plus au moins d’habileté et d’expérience».
 
La « pax americana » ou la « Realpolitik impérialiste »


L’expression des relations internationales sous-entend que l’Etat-nation est nécessairement le fondement de leur organisation. Or, il s’agit d’une idée qui n a vu le jour en Europe qu’à la fin du XVIIIe siècle et qui s’est essentiellement répandue à travers le reste du monde par l’intermédiaire du colonialisme européen . Ce système international a connu quatre ruptures majeures ; 1664, avec le traité Westphalie ; 1815, le traité de vienne ; 1918 et l’ordre de Versailles ; 1945, l’ordre de Yalta et l’avènement d’un ordre bipolaire. Il y a quinze ans, l’effondrement de l’URSS avait entraîné un mélange d’espoir, d’incertitude et de déception, laissa la place à un système fondamentalement bouleversé, sans pour autant permettre la naissance d’un « nouvel ordre international ». Ce nouvel ordre oscille entre un monde unipolaire dominé par l’hyper-puissance américaine, un monde multipolaire en gestation, un monde uni-multipolaire ou anarchique et profondément déstabilisé. Autrement, une nouvelle phase de transition5 entre un ordre qui est mort et un ordre nouveau qui se cherche et plus que jamais dépourvu d’une « grammaire politique ».

Toute rupture oblige une nouvelle lecture et une nouvelle interprétation. Il y a environ 300 ans, l’auteur mercantiliste allemand Von Hornigh a observé ceci : « Une nation est-elle puissante et riche ? De nos jours la réponse ne dépend pas de la quantité de la puissance et de richesse de cette nation ou de la sécurité de celle-ci, mais bien de la question : ses voisins en possèdent-ils plus ou moins qu’elle ?». A cet égard, dans la derrière décennie du XXe siècle, un glissement tectonique s’est produit dans les affaires du monde : pour la première fois, une puissance s’est érigée en puissance globale. Un jour devant la chambre des Lords, Disraëli décrit ainsi l'empire britannique ; «Dans l’histoire ancienne comme de nos jours rien ne peut être comparé à l’empire britannique. Ni César, ni Charlemagne n’ont présidé aux destinées d’une telle puissance. Ses provinces s’étendent à toutes les latitudes et son pavillon flotte sur toutes les mers ». Pour autant, la puissance britannique n’a pas été globale, puisqu’elle n’a jamais pu imposer une réelle domination sur le continent européen. La suprématie des États-Unis aujourd’hui est d’un genre nouveau. Elle se distingue entre toutes par son envergure planétaire et les modalités qu’elle revêt. Une puissance dont le poids et la capacité d’intervention est sans précédent.

Vieux principes, nouvelles méthodes
Dans un monde qui semble de plus en plus petit et dont toutes les parties paraissent liées les unes aux autres, les engagements successifs américains ont tous leur logique. Aujourd’hui, l’Amérique voulait, pour reprendre l’expression de H. Kissinger, « un ordre où […] on imaginait le monde à l’image des cieux. Un seul Dieu régnait au ciel, un seul empereur devait donc gouverner le monde séculier, et un seul pape d’Eglise universelle ». Si, selon A. Joxe, « l’Europe comme identité organisant une paix interne est une expression politique récente, l’Amérique comme empire également ». De ce fait, semble-t-il légitime de s’interroger, selon l’expression d’Arnold Toynbee : « L’histoire est-elle à nouveau en mouvement ? ». Déjà au cours même de la guerre froide, dans un message d’avertissement à l’URSS, Dean Rusk disait en mai 1965 « Cette planète est devenue toute petite. Nous devons nous préoccuper de toutes ses parties, terres, mers, air et de l’espace qui nous entoure ». La fin de la bipolarisation, en laissant la place mondialisation capitaliste, « le langage unique », devrait se traduire sur le plan militaire par une puissance de feu capable de ramener à l’âge de pierre à coups de bombes n’importe quel Etat qui gênerait la suprématie états-unienne.

Au plan international, Etats-Unis tentent d’imposer au monde une domination sans partage qui conjugue vassalisation des autres Etats occidentaux et asservissement des pays les plus faibles. Selon les États-Unis, « un Etat n’est allié que s’il est soumis ». Et comme les États-Unis, selon J. Nye, auraient du mal à maitriser parfaitement le « soft power » que le « hard power » qui est « la capacité à obtenir ce que l’on désire en attirant l’autre au lieu de le menacer ou le soudoyer ». Alors mieux vaut être craint qu’aimé. Ce qui motive les dirigeants états-uniens appartiennent au registre des objectifs économiques et géostratégiques. Leur hégémonie combinait les dimensions économique, politique, militaire et idéologique, chacune d’entre elles pouvant jouer, à un moment précis, un rôle plus important que les autres pour maintenir leur hégémonie globale. Dans la période actuelle, à l’unilatéralisme des décisions et à l’affirmation brutale de la supériorité militaire s’ajoute l’utilisation d’un discours pseudo-messianique. Ainsi Bush déclara, le 20 septembre 2001 : « C’est ce pays qui définira notre temps, et pas le contraire ».

Wilson, rejetant l’idée de l’intérêt national, déclarait ; « Cette époque […] réclame un nouvel ordre des choses dans lequel les seules questions seront : Est-ce bien ? Est-ce juste ? Est-ce dans l’intérêt de l’humanité ? ». Si cela fait désormais partie du patrimoine historique des Etats-Unis, « le Pearl Harbor terroriste du 11 septembre », selon la formule de P. RICHARDT, n’est pour rien, comme l’explique Olivier Roy : « La nouvelle doctrine américaine est un patchwork de décisions déjà prises avant le 11 septembre. L’impact de la réaction américaine au 11 septembre fut plus limités que le discours ne l’a laissé entendre. Toutes les grandes évolutions stratégiques qui sont aujourd’hui présentées comme des conséquences du 11 septembre, à l’exception de la compagne d’Afghanistan, étaient déjà à l’œuvre avant cette date. »

Nonobstant les formulations déférentes et quelques nuances dans l’application des orientations, les deux grands partis (démocrates et républicains) inscrivent leurs programmes dans un fond idéologique commun. Telle est la culture politique dans laquelle travaillent les hommes politiques américains. Lyndon Johnson expliquait ainsi l’objectif des États-Unis en intervenant au Vietnam : « Nous ne convoitons rien dans cette région, nous n’y recherchons rien – aucun territoire, aucune position militaire, aucune ambition politique». La proclamation de G. Bush, en juin 2002, emprunte des termes similaires : « L’Amérique n’a pas d’empire à étendre ou d’utopie à établir ». Mais encore faut-il identifier dans la rhétorique à l’œuvre les thèmes récurrents d’une Amérique et une complexité dont les racines plongent dans l’histoire et les fondements des Etats-Unis : « l’anti-impérialisme à l’égard des européens, qui se manifestera aussi par l’anticolonialisme, s’accompagne pourtant chez les américains d’un expansionnisme continu », en se référant à Brezinski.

Bien que les parallèles historiques ne soient pas toujours parfaits, la référence aux empires du passé ne manque évidemment pas de pertinence, à condition de tenir compte de deux déférences majeures qu’il faut penser ensemble : d’une part, aucun empire du passé, si puissant fut-il, n’a exercé sa domination au plan mondial comme les Etats-Unis ; d’autre part, la problématique de l’annexion a perdu de sa pertinence, la puissance impériale des États-Unis procède de sa capacité à maitriser un système économique mondial qui s’accommode parfaitement du maintien, certes plus formel que réel, les souverainetés politiques. Selon Michael Parentin, « historiquement, le capitalisme américain était bien moins intéressé par l’acquisition de nouvelles colonies que par de nouvelles richesses, préférant soustraire les trésors des autres pays sans se soucier de posséder ou d’administrer ces pays eux-mêmes. Sous le néo-impérialisme, la bannière étoilée reste dans les armoires tandis que le dollar se balade partout, souvent accompagné d’épée ». L’épée accompagne le dollar. Parfois le dollar qui accompagne l’épée, quand la puissance militaire crée des opportunités de nouveaux investissements.

Empire vient du mot latin imperium qui désigne l’autorité, la domination absolue. La force est au cœur du phénomène. En quelque sorte, il figure la version dure de l’hégémonie. Comme le rappelait J-B Duroselle : « Aussi loin que nous remontions, nous trouvons des empires. Le temps, les lieux leur imposent des structures propres. Mais le phénomène est identique. La conquête insatiable, la soumission de peuples à la domination d’autres peuples, la force, l’élargissement, l’imperium ». Barnet note que « les coûts pour maintenir un privilège impérial excédent toujours les gains ». Il en a déduit que des empires ne valent tout simplement pas de tels dépenses et efforts. Bien avant Barnet, la Round Table des responsables politiques impérialistes britanniques voulaient nous faire croire que l’empire n’était pas maintenu par l’intérêt : « D’un point de vue strictement matérialiste, l’empire est un fardeau plus qu’une source de profits ».

Z. Brezinski décrit cette nouvelle situation ainsi : «Rampant avec le modèle usuel des empires du passé, structure selon une hiérarchie pyramidale, ce système vaste et complexe s’appuie sur un maillage planétaire au centre duquel se tient l’Amérique. Son pouvoir s’exerce par le dialogue, la négociation permanente et la recherche de consensus formel, même si, en dernière analyse, la décision émane d’une source unique : Washington, DC. Telle est la règle ». L’ONU et les autres institutions internationales sont de fait de nouvelles pièces dans le mécanisme d’exploitation des Etats satellites. Les autres puissances restent absentes, ou font figure de « brillants seconds ». L’Europe continue son déclin amorcé en 1918 et «fait difficilement l’apprentissage de la coopération », d’après P. Camus, PDG du groupe EADS. C’est pour cela que Kagan ironisait « l’Europe n’a pas tenu sa promesse ».



La pax Democratia et la fin de l’innocence


La paix, comme toujours et plus que jamais, reste illusoire. La nouveauté est que l’idée de la paix dépend surtout du progrès d’institutions démocratiques reste, encore aujourd’hui, un des encrages de la pensée américaine. Alexandre Hamilton, quant à lui, contestait l’idée selon laquelle les Républiques constituaient, par essence, une forme de gouvernement plus pacifique que les autres : « Sparte, Athènes, Rome et Carthage étaient des républiques. Deux d’entres elles, étaient commerçantes. On les vit aussi souvent engagées dans des guerres offensives et défensives que les monarchies voisines […]. Dans le gouvernement de la Grande-Bretagne, les représentants du peuple forment une branche de la législature nationale. Le commerce depuis des siècles, le but principal de ce pays. Peu de nation, cependant, ont plus souvent fait la guerre». Au antipode, pour Clinton : «Les démocraties ne font pas la guerre ». Cela reste une illusion pour deux raisons (1) la démocratie est une idée, un principe. Ce qui existe, ce sont des phénomènes, des processus, des cycles démocratiques ; naissances, développement, approfondissement, consolidations mais aussi régressions et faillite (2) Toute démocratie reste enracinée dans un Etat et n’est pas légitime que si elle assume les intérêts de cet Etat.

Un rapport sur l’utilité de la guerre intitulé La paix indésirable établi par un groupe d’experts américains en 1962, affirmant que tout le système interétatique et étatique est fondé sur la guerre et « c’est le système qui a, dans l’histoire, gouverné la plus grande partie des sociétés humaines, comme il le fait encore aujourd’hui ». Pis encore, « les systèmes économiques, les philosophies politiques et le corps des lois sont au service de la guerre et la prolongent, non l’inverse ». Le même rapport soulignait que « la priorité accordée, à l’intérieur d’une société, au pouvoir virtuel de faire la guerre, sur les autres éléments qui la caractérisent, n’est pas le résultat d’une quelconque menace présumée exister à un moment quelconque et venant des autres sociétés. Ceci serait le contraire de la situation véritable : les menaces contre l’intérêt national sont généralement crées ou précipitées en vue de faciliter les besoins nouveaux du système fondé sur la guerre ». A en croire aux conclusions de ce rapport, le monde comme démocratie ou comme dictature, «la paix est une situation normale qui met fin aux revendications et définit un cadre juridique permanent et la recherche de sécurité absolue est utopique », parlant avec Kissinger.
J-J Roche a employé la formule « empire sans rival » à propos des démocraties, imaginant que celles-ci puissent exercer une hégémonie collective, une Pax Democratia, qui selon lui « n’annonce …ni un monde sans guerre, ni l’avènement du règne de loi (mais)…tout au plus…la promesse d’un ordre à peine moins imparfait que celui qu’il remplace et l’espoir d’un avenir un peu plus pacifique, un peu plus juste et donc, un peu plus stable ». Dans les empires de longue durée, le moindre problème devient une question intérieure, car le monde extérieure n’offre plus de contrepoids. C’est ainsi que, selon Kissinger, « le Congrès ne se contente pas de légiférer sur la tactique à suivre en matière de relations internationales, il cherche à imposer un code de bonne conduite à d’autres Etats par une pléthore de sanctions » et que « leur effet cumulé confère à la politique étrangère américaine un caractère d’unilatéralité et, à cette occasion de tyrannie. L’action législative tend à se résumer à une formule de ce genre « c’est à prendre ou à laisser », équivalent opérationnel de l’ultimatum ».

En 1821, John Quincy, alors secrétaire d’Etat, soutenait ; « Partout où le drapeau de la liberté et de l’indépendance a été ou sera employé, se trouveront le cœur de l’Amérique […] Mais […] elle ne prend les armes que pour la défense des siennes. Elle sait fort bien qu’en s’engageant une seule fois sous d’autres bennières que les siennes […] elle s’engageait irrémédiablement dans toutes les guerres d’intérêt et d’intrigue, de cupidité, d’envie d’ambition individuelles qui se parent des couleurs de la liberté et usurpent ses drapeaux […] Elle pourrait devenir le dictateur du monde. Elle ne serait plus maitresse de son propre esprit ». Bien avant lui, c’était James Madison écrivant à Thomas Jefferson en 1798 : « C’est peut-être une vérité universelle que la perte de la liberté soit le prix à payer chez soi pour se prémunir contre un danger, réel ou fictif, venant de l’étranger ».
Dans son ouvrage Athènes, une démocratie, Robert Cohen consacra un chapitre à l’impérialisme démocratique, et concluait que la crise qui « éclata soudain en 440 n'empêche qu’elle allait ruiner l'empire et Athènes avec lui. Est-ce parce que les dépenses qu'elle avait provoquées épuisèrent le trésor gardé par la déesse Athéna? Non : les pertes d'argent furent vite réparées. Est-ce parce que tant d'hommes périrent dans cette aventure qu'Athènes en fut affaiblie pour de longues années? Non : l'armée et la flotte d'Athènes sont intactes. C'est parce qu'elle éclate aux yeux des moins prévenus cette contradiction, sur laquelle repose l'existence de l'Etat athénien depuis un quart de siècle, entre le libéralisme de ses principes à l'intérieur et despotisme de sa conduite à l'extérieur. […] ils ne voyaient qu'une chose : les uns ont déjà perdu leur autonomie; d'autres craignaient de la perdre. Tous avaient l'impression de faire les frais d'une expérience qui leur semblait comporter pour eux plus de risques que de profits. Ils désirèrent sa fin et s'unirent dès qu'ils crurent pouvoir la hâter en conjuguant leurs efforts ».


Le stalinisme, stade suprême de la superpuissance hors-la-loi.


Pour les conseillers de la Maison-Blanche, l’enjeu derrière l’expansion de l’archipel militaire planétaire ne se résume pas au contrôle des ressources énergétiques et des matières premières. Il s’agit de renforcer un « périmètre de sécurité » : un échelon supérieur du système de défense et de l’économie nationale, verrouillant les expansions potentielles des rivaux. Le concept de « nouvelles frontières », est désormais affirmé, les bases militaires d’outre-mer se trouvent assimilées aux unités de cavalerie, ces forces mobiles d’autrefois aux avant-postes de la défense et de l’expansion territoriale. Il ne s’agit plus de gains territoriaux, aux sens classique, d’annexions, mais de contrôle d’espace, d’extension, à terme universelle, de la zone d’influence, d’imposition du libre marché, d’endiguement et de sape des concurrents potentiels, au sein du même modèle, et de tout système autre.

Dans le proche avenir, les États-Unis continuent à jouer le rôle du Shérif qui reflète leur culture. Ou encore « le gendarme du monde », ce qui parait une insulte à aux gendarmes, dont le rôle est de respecter la loi, non de la transgresser contrairement à l’oncle Sam, pour qui le reste du monde doit dire « oncle » comme le président Reagan l’avait exigé du Nicaragua révolutionnaire. Les États-Unis sont prisonniers d’un dilemme diplomatique et stratégique à l’échelle mondial pour lequel il n’existe pas de solution satisfaisante. Un dilemme que Georges Bernard shaw évoquait en ces termes : « Il y a deux tragédies dans la vie. L’une est de perdre le désir. L’autre est de l’acquérir. » Bref, les motivations sont complexes : toujours encore plus. La phrase de Robert Browning est explicative en ce sujet : « L’homme doit vouloir plus qu’il ne peut tenir. Sinon, à quoi bon avoir conçu le paradis ? ». Mais le reste du monde n’est pas une masse morte et selon R. Aron : « Par définition, les Etats souverains tiennent comme ennemi le prétendant à l’hégémonie, c’est-à-dire celui qui pourrait les priver de leur autonomie, de leur capacité de prendre librement leurs décisions ».

Les crainte de Bismarck ne sont pas sans fondement, puisqu’il « craignait l’accroissement excessif des forces du Reich. Que la force de son pays fut au service de la justice et de l’ordre européen, c’était là, aux yeux du chancelier de fer, la condition nécessaire de la sécurité allemande, le moyen d’éviter la coalition de rivaux, que les victoires de la Prusse ne devaient ni humilier ni inquiéter ». Sur la même ligne de longueur, Machiavel soutenait qu’un conquéreur ne garde ses conquêtes qu’en se conduisant « de manière à enrichir à la fois son pays et le pays qu’il a conquis au lieu de les appauvrir ». Excès de puissance ou déclin, sans rester fidele au bon sens et à la politique du possible et tout en perpétuant une vision de la guerre froide, l’Amérique aujourd’hui, selon Z. Laїdi, veut « dominer le monde, sans se sentir d’obligation vis-à-vis de celui-ci. Elle veut un monde à son image sans avoir à être à l’image du monde. Elle veut américaniser le monde sans mondialiser l’Amérique ». La guerre préventive n’est qu’une partie du puzzle avec conséquences : un déplacement de la préoccupation du jus in bello (droit de la guerre) vers celle du jus in bellum (droit à la guerre).

« Plus les canons sont nombreux, plus ils ont tendance à tirer vite, tout seuls», cette expression de Bismarck est révélatrice des propos du Président Bush du 15 septembre 2001, comme quoi la guerre anti-terroriste sera « sans champ de bataille ni plage de débarquement ». Mais le but grand-stratégique est-il sans doute de créer un foyer durable d’insécurité contrôlée. Dans ce cas, c’est le monde qui devient à la fois champ de bataille et plage de débarquement. Le Commandant Ralph Peters ne peut être plus clair sur ce spectre du monde extérieur qui hante la nouvelle Amérique : « Nous entrons dans un nouveau siècle américain, au cours duquel nous deviendrons plus riches […] plus puissants. Nous exciteront des haines sans précédent. Il n’y aura pas de paix. […] Le rôle de facto des forces américaines sera de maintenir le monde comme lieu sûr pour notre économie et un espace ouvert à notre dynamisme culturel. Pour parvenir […] nous ferons un bon paquet de massacres […] Nous sommes en train de construire un bon système militaire […] pour ces massacres ». Avec le même cynisme, général Zinni énonçait, à la fin de l’intervention en Somalie de 1993 : « Je ne compte pas les corps, ça ne m’intéresse pas ».
Depuis que la Maison-Blanche est occupée par des gens qui pensent avec leurs fusils, la planète est devenue moins sûre. Le monde s’adaptera également. Si Proudhon voyait dans la guerre« une juridiction incorruptible, sans magistrats, sans témoins, sans jury, sans auditoire, dont les arrêts sont sans appel », Saint-Augustin, quant à lui, soutenait que « la paix est normalement le but de la guerre. Au contraire, la guerre n’est pas le but de la paix ». Autrement, la seule guerre qui mérite d’être soutenue est celle que Benjamin Franklin appelait « la meilleure guerre » : celle qui n’est jamais menée. La sagesse de Sun Tsé reste une référence en la matière : «N’oubliez jamais que votre dessein, en faisant la guerre, doit être de produire la paix de l’Etat et non d’y apporter la désolation. Si tu uses du sabre pour régler un problème politique, sache au moins que tu t’engages dans une guerre longue et jamais gagnée». L’histoire de l’Union soviétique a prouvé qu’il est impossible de miser durablement et exclusivement sur la puissance militaire. Pour faire simple, la célèbre remarque de Bismarck fait toujours cas d’école : « Toutes les puissances voyagent sur le fleuve du temps ; elles ne peuvent ni le créer ni le diriger, mais elles peuvent naviguer dessus avec plus au moins d’habileté et d’expérience».
 

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