par Michel Warschawski
Depuis une dizaine de jours, les « confrontations » comme appellent avec indécence les médias internationaux les tirs a balles réelles de snipers israéliens sur des manifestants palestiniens non armés, à la frontière de Gaza se sont calmées. Que les Netanyahou et Lieberman ne crient pas trop tôt victoire : la raison principale de cette accalmie est le Ramadan, ce mois où les musulmans vivent les longues heures du jeune au ralenti. Après l’Aïd qui clôturera ce mois, les manifestations reprendront, et, sans doute, le massacre.
Non, il ne s’agit pas de confrontations mais d’un massacre, quand des soldats bien protégés dans des positions défensives tirent – souvent avec des fusils à lunette – sur des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui manifestent les mains nues derrière un système de clôture électronique large de plus de cinquante mètres, cette même clôture qui fait de Gaza la plus grande prison de la planète.
En un seul jour, ce funeste 14 mai, soixante manifestants sont assassinés par les soldats israéliens (qui n’ont pas eu un seul blessé) : massacre est donc bien le mot, et ceux qui, comme le Figaro, parlent d’ »affrontements meurtriers » deviennent par la même complices de ce véritable crime contre l’humanité.
On attendrait du Président palestinien Mahmoud Abbas qu’il saisisse la Cour Pénale Internationale pour y traduire en justice les dirigeants politiques et militaires israéliens… mais la haine qu’il voue au Hamas qui, ne l’oublions pas, avait largement battu le parti du Président aux dernières élections, a déteint sur les deux millions de résidents palestiniens de la Bande de Gaza, comme si, après leur vote, ils n’étaient plus ses concitoyens.
Que de la classe politique israélienne on n’ait pas entendu ne serait-ce qu’un murmure d’indignation n’est pas pour nous surprendre : elle est aujourd’hui totalement à droite, qu’elle soit dans le gouvernement ou dans l’opposition, et même le Meretz qui dans le passé s’était singularisé par ses positions contre la guerre et l’occupation, n’a pas cette fois fait entendre une voix dissidente, confirmant une fois de plus que même pour la gauche, Gaza n’était pas un territoire peuplé de deux millions d’être humains, mais un sanctuaire de terroristes, une menace existentielle.
Mais ce qui est plus grave c’est le silence assourdissant de l’opinion publique. Hormis des rassemblements de quelques centaines de personnes dans les villes (quelques milliers dans les localités arabes), le massacre n’a provoqué ni la colère, ni la honte des bonnes âmes israéliennes. Cette absence marque le tournant à droite que vit la société israélienne dans son ensemble. La guerre du Liban (années quatre-vingt) et le processus d’Oslo (années quatre-vingt dix) avaient divisé l’opinion israélienne en deux, et une moitié de celle-ci avait su se mobiliser et trouver les forces pour mettre fin à la guerre puis pour obliger le gouvernement à reconnaître l’OLP et mener des négociations de paix avec ses dirigeants. Aujourd’hui, le seul rassemblement de masse à Tel Aviv a été pour fêter la victoire d’Israël a l’Eurovision.
Israël a retrouvé son unité dans une espèce de mélange nauséabond entre ceux qui applaudissent les exploits de « nos soldats » à Gaza, et ceux qui gardent un silence complice face au massacre ; dans une certaine mesure, ces derniers sont encore pire que les supporters de Netanyahou et de sa politique criminelle.
« Honte à quiconque n’a pas honte de [notre] pays » écrit l’éditorialiste du Haaretz B. Michael (16 mai 2018). Une voix isolée dans le désert moral israélien qui mérite pour cela de conclure cette chronique.