Les think tanks américains prennent très au sérieux l’idée de faire tomber Bachar Al-assad par tous les moyens possibles. Rappelons que beaucoup d’entre eux s’inspirent désormais d’une stratégie mise en place par la CIA en 1983, en pleine guerre entre l’Iran et l’Irak, pour faire tomber Hafez al-Assad, le père de Bachar Al-assad
Si vous pensez que la guerre en Syrie date d’il y a seulement six ans, alors vous vous trompez certainement. La révolution a en effet commencé en 2011, mais le plan de guerre avait été élaboré il y a plus de deux décennies par la CIA, service de renseignement américain. Et un document de la CIA rédigé en 1983 le confirme.
Dans un document rédigé le 14 septembre 1983, l’ex agent de la CIA, Graham Fuller, avait insisté sur l’importance de la Syrie pour les intérêts américains au Proche et au Moyen-Orient. Dans ce document, l’agent de la CIA avait déjà élaboré un plan bien déterminé pour abattre le régime syrien, à l’époque dirigée par Hafez Assad, père de Bachar al-Assad.
Graham Fuller écrivait : « les Etats-Unis devraient sérieusement faire monter la pression sur Assad en menant secrètement des attaques militaires simultanées contre la Syrie à partir de trois pays hostiles à la Syrie : l’Irak, Israël et la Turquie ». Dans son plan, l’ex agent de la CIA avait justifié le choix de chacun des trois pays cités.
Graham Fuller estimait en effet que l’Irak pourrait mener des frappes aériennes contre la Syrie avec l’unique but d’ouvrir le gazoduc. Israël pourrait, pendant ce temps, faire monter la pression au niveau de la frontière avec le Liban sans pour autant chercher à déclencher une guerre. La Turquie, quant à elle, pourrait mener des frappes aériennes contre des camps terroristes dans le nord de la Syrie.
Dans le document, l’ex agent de la CIA ajoute : « face à trois fronts agressifs, Assad pourrait probablement être obligé d’abandonner sa politique qui consiste à fermer le gazoduc. Une telle concession pourrait soulager la pression économique qui pèse sur l’Irak et ainsi pousser l’Iran à mettre fin à la guerre ».
Dans le document, Graham Fuller estime que la Syrie entrave deux intérêts clés des Etats-Unis au Moyen-Orient :
  • « le refus de la Syrie de retirer ses troupes du Liban garantit l’occupation israélienne dans le sud ;
  • « la fermeture du gazoduc irakien par la Syrie a été un facteur clé ayant permis de mettre à genoux l’économie irakienne, incitant ainsi l’internationalisation de la guerre dans le Golfe ».
Dans le document, l’ex agent de la CIA avait souligné que Hafez al-Assad avait parfaitement bien calculé le jeu de force dans la région et avait compris que ces jeux lui étaient « faiblement » destinés. Pour ce faire, la stratégie de la CIA était claire et précise : les Etats-Unis devraient faire usage de force pour menacer le pouvoir d’Assad.
Le document rédigé en pleine guerre entre l’Iran et l’Irak insistait sur l’importance pour les Etats-Unis de forcer l’Irak à transférer cette guerre vers la Syrie. « Si Israël pourrait faire monter la pression contre la Syrie en même temps avec une initiative irakienne, la pression contre Assad monterait rapidement. Une pression turque pourrait l’accabler psychologiquement », écrit l’ex agent de la CIA.
La stratégie de l’ex agent de la CIA est claire : « le seul but de l’Irak est de demander à la Syrie d’ouvrir le gazoduc ». Graham Fuller estime qu’en faisant cela, l’Irak gagnerait la sympathie de tous les Etats arabes, sauf la Libye du colonel Kadhafi. « Sa cause (la cause de l’Irak) en des termes arabes serait juste », souligne Fuller.
Ce dernier estime en effet que l’ouverture du gazoduc ne réglerait pas tous les problèmes des Etats-Unis au Moyen-Orient. Toutefois, une telle ouverture permettrait de soulager l’Irak financièrement et éviterait le grand risque de fermer le Golf à l’expédition du pétrole. D’après Fuller, cette ouverture est d’autant plus importante qu’elle infligerait un sacré coup aux récentes victoires de la Syrie dans la région, en l’obligeant à céder à la pression des Etats arabes largement unis pour défendre l’Irak.
Pour ce qui est de l’Etat d’Israël, Graham Fuller écrivait en 1983 que l’Etat hébreux ne voulait pas d’une guerre contre la Syrie. Toutefois, Israël pourrait faire monter les tensions avec le Liban voisin pour préoccuper Hafez Assad. « Assad pourrait vouloir faire face à cette menace israélienne de manière isolée », disait Fuller, avant d’ajouter que l’Irak ne posait pas une grave menace pour Israël.
Pour ce qui est du rôle de la Turquie face à la Syrie, Graham Fuller avait souligné la colère turque contre la Syrie pour les raisons suivantes :
  1. Le soutien de la Syrie aux terroristes arméniens
  2. Le soutien de la Soutien aux guérillas kurdes qui combattent en Irak au niveau des frontières turques
  3. Le soutien de la Syrie aux terroristes turcs qui opèrent depuis le nord de la Syrie contre la Turquie
Graham Fuller estimait en effet que la Turquie, qui envisageait de mener des frappes aériennes contre des camps terroristes basés dans le nord de la Syrie, n’hésiterait pas à proférer des menaces diplomatiques contre la Syrie. Mais, pour l’ex agent de la CIA, l’Irak était vraiment le cœur de l’affaire.
Dans son document, Graham Fuller avait souligné un détail non moins important. Il avait évoqué en effet l’hypothèse que l’Irak ait peur de se faire piéger par les Etats-Unis qui lui ouvriraient deux fronts (Iran et Syrie) dans l’intention de l’affaiblir. L’Irak, selon Graham, pourrait également craindre de passer pour le pigeon sioniste en s’attaquant unilatéralement à la Syrie.
Pour Graham Fuller, les craintes de l’Irak pourraient néanmoins dissiper si le régime de Saddam Hussein voit que la Turquie et Israël s’attaquent en même temps à la Syrie et voit que les Etats-Unis se dirigeraient vers l’Irak en lui fournissant des renseignements pour l’aider à préparer une attaque contre la Syrie.
A la fin du document, l’ex agent de la CIA avait souligné l’implication de l’Union Soviétique dans ce jeu. Graham Fuller révélait que l’URSS avait en effet plusieurs fois demandé à Assad d’ouvrir le gazoduc pour venir en aide à l’Irak, un pays avec lequel l’URSS avait de bonnes relations. Fuller soulignait que les Russes seraient dans un grand dilemme de voir leurs deux alliés (Syrie et l’Irak) en guerre.
Plus de deux décennies plus tard, cette même stratégie proposée par la CIA est reprise par les think tanks américains. Brookings Institution, think tank américain, dans un mémo datant de 2012 et intitulé : « Sauver la Syrie : évaluer les options pour un changement de régime », remettait le rôle de la Turquie au centre du conflit en Syrie.
Il écrivait : « la participation de la Turquie est vitale pour réussir et Washington devrait encourager les Turcs à jouer un rôle plus important que celui qu’ils ont déjà joué. Bien qu’Ankara ait perdu patience avec Damas, il a pris très peu de mesures concrètes qui auraient fait monter la pression sur Bachar Al-assad (et ainsi contrarier l’Iran) ».
Au même moment, en Israël, des voix se lèvent pour faire tomber Assad en instrumentalisant l’élite syrienne. Les récents déplacements de l’opposition syrienne en Israël pourraient confirmer cette hypothèse.
Dans son mémo, Brookings Institution avait évoqué six options pour faire tomber Bachar Al-Assad :
  1. Option 1 : diplomatie
  2. Option 2 : changement de régime par l’intimidation
  3. Option 3 : armer l’opposition syrienne
  4. Option 4 : libérer la Syrie à travers des frappes aériennes et avec l’aide de l’opposition syrienne
  5. Option 5: changement de régime par l’invasion
  6. Option 6 : une intervention de la communauté internationale : solution Boucles d’or ?
Cheikh Dieng