Fin septembre dernier, Israel Adam Shamir était de passage à Paris en voyage d’agrément et il a daigné nous accorder une interview. Pas toujours enclin à partager ses travaux et ses opinions pendant ses déplacements personnels nous lui en sommes donc très reconnaissants tout comme envers Maria Poumier, sans laquelle cette entrevue n’eut pas eu lieu et Ginette Hess-Skandrani, qui a bien voulu nous héberger « au pied levé » le temps de cet entretien.
Il s’agissait donc de saisir l’opportunité de recueillir l’opinion de l’un des penseurs israéliens anti-sionistes et pro-palestiniens les plus éminents de sa génération sur l’actualité tandis que le monde semble glisser vers la conflagration guerrière, parmi les cris déchirants des victimes des guerres de ressources impérialistes et l’effarant tintamarre de la « politique-spectacle » aux USA – et ailleurs. Au delà de la relation des faits nous avons cherché à entendre son avis sur le rôle d’Israël dans l’évolution de la crise syrienne. En l’espèce, Tel-Aviv semble préférer voir s’éterniser la guerre dans cette république arabe nationaliste, et qu’elle soit la proie de pseudo-rebelles « djihadistes » sanguinaires plutôt que de la voir conserver la puissance militaire qu’elle possédait encore il y a cinq ans.
Cette attitude de l’état israélien envers ses voisins reflète les conseils contenus dans le « plan Oded Yinon » établi pendant les années 1970 en Israël par l’homme qui porte son nom, et qui travaillait au sein de l’administration israélienne. Ce plan enjoignait le pouvoir exécutif du pays à considérer la sécurité nationale sous l’angle de l’affaiblissement de ses voisins tous considérés comme des rivaux et de potentielles sources de menaces, puisque le monde musulman n’a jamais réellement toléré l’invasion sioniste du territoire palestinien. Son application passait, par exemple, par l’assistance aux forces contestataires des pays concernés et par l’ingérence dans leur politique intérieure, en exploitant des clivages préexistants dans leurs diverses communautés. Le but de ces complots était de parvenir à l’effondrement de l’état, et ensuite à la fragmentation du pays selon les clivages prédéfinis. Un telle « balkanisation » du Proche-Orient aurait, selon Oded Yinon, hissé Israël en puissance quasi-impériale dans la région, entouré d’états-clients et de principautés cacochymes.
Dans cette perspective, le soutien avéré des autorités israéliennes en faveur des groupes rebelles en Syrie, constatable dans l’assistance médicale fournie aux combattants « djihadistes » en Israël via le Plateau du Golan, et reconnu à demi-mot par des responsables israéliens eux-mêmes s’accorde avec la réalisation de cette stratégie. À une autre échelle qui est celle des intérêts géostratégiques des États-Unis l’affaiblissement et la destruction de la Syrie, en plus de servir les désirs de la politique étrangère israélienne, permettent d’influer sur la politique et sur l’économie de l’ensemble de la région et, dans la mesure où leur influence reste encore prédominante au niveau mondial de peser sur l’avenir de l’ensemble de l’Eurasie, et par extension du monde.
Le bloc eurasiatique du « Heartland » qui s’étend du Nil à l’Indus d’ouest en est, et des steppes russes à l’Océan Indien du nord au sud englobant le fameux « Croissant Fertile », a depuis longtemps été considéré par les stratèges US comme « la clé du contrôle total de la planète », comme le suggérait Halford John Mackinder dans sa « théorie du Heartland« ; repris par l’ancien Conseiller à la Sécurité Nationale US Zbigniew Brzezinski dans son livre « Le Grand Échiquier » en 1997 ce corpus d’idées voit, dans la soumission des nations composant ce « Heartland » à la volonté étasunienne, la garantie de continuité de l’hégémonie politique, militaire, économique et culturelle des USA au cours de ce vingt-et-unième siècle.
Si ces plans US ne sont appliqués qu’en dernier recours par le déploiement de la force armée, ils sont précédés par le déploiement de forces économiques, diplomatiques et médiatiques qui vont toutes dans le même sens: c’est-à-dire qu’elles sont conçues pour affaiblir, isoler et ostraciser leurs cibles. En revanche, ces moyens ne peuvent être mis en œuvre que par le concours d’acteurs économiques, politiques et médiatiques de premier plan, ce qui implique obligatoirement le concours d’une formidable puissance financière capable d’influer sur l’orientation économique, sur la représentation politique et sur le discours médiatique.
Aussi la question d’une alliance entre le pouvoir financier – celui qui tient les cordons de la bourse – et le pouvoir temporel – celui qui tient le bâton – aux dépens d’autres forces sociales concurrentes s’impose-t-elle (selon cet auteur) pour expliquer les invraisemblables connivences, et les concordances d’intérêts qui se sont énormément renforcées entre ces éléments de la société depuis ces vingt-cinq dernières années et la chute de l’Union Soviétique, qui ont mené à un appauvrissement croissant de la majorité de la population mondiale (en dépit d’un accroissement global des richesses) et à une hécatombe de vies humaines qui, elle aussi, s’en va croissant (en dépit des bonnes volontés professées ici et là). Accompagnés et renforcés par le porte-voix de leurs acolytes médiatiques qui se sont embarqués dans cette aventure mégalomane sur un strapontin, ils semblent être à l’origine ou complices d’une très longue liste de crimes et de manipulations aussi tragiques qu’elles sont éminemment condamnables.
En dépit des faux-semblants, des leurres et des distractions médiatiques ou politiques, les élections présidentielles aux États-Unis présentent cette année une configuration inédite et sensiblement fatidique, alors que s’affrontent une représentante du système politico-financier ci-dessus décrié, inféodée à Wall Street comme aux luttes de pouvoir du Beltway et un « golden-boy » issu du « meilleur » de ce que le « rêve américain » a su produire, et qui a l’air aussi bravache qu’un John Wayne dopé au luxe et au succès (…). Nonobstant son caractère parfois outrecuidant et les frasques dont il est accusé, Donald Trump semble hérisser l’establishment de Washington d’une telle façon qu’elle est elle aussi tout à fait inédite, promettant de relancer l’économie domestique aux USA en focalisant la puissance de l’administration US sur la réparation des excès néoconservateurs des vingt-cinq dernières années, sur le territoire national comme à l’étranger.
Par conséquent et de ce point de vue, et passant outre ses éventuels manquements vis-à-vis de son propre programme, l’élection de Donald Trump plutôt que de Hillary Clinton à la Maison Blanche témoignerait d’un certain réveil de la population des USA quant aux manipulations dont elle fait l’objet, et qui provoquent ou entretiennent en dépit d’elle tellement de conflits et de misère à travers le monde. Car au delà de la bien-pensance et de la langue de bois, il y a l’intégrité intellectuelle et la sincérité de parole; au delà des clichés prémâchés et des lubies confortables, il y a l’incarnation de ses convictions et les vérités révélatrices. Alors que le monde continue de glisser dangereusement vers la guerre mondiale et que l’Occident menace de sombrer dans la déchéance civilisationnelle, il serait peut-être temps de prendre un bon remontant pour se réveiller même si cela passe, aux USA, par un homme dont l’apparence et la réputation détonnent tellement avec le modèle habituel.
Lawrence Desforges
source:https://globalepresse.net/2016/10/31/israel-adam-shamir-et-si-cetaient-les-anglais-qui-controlaient-les-juifs/